Entretiens de l’été de Liberté politique : Village Karenni

Tout au long de l’été, Liberté politique ouvre ses colonnes à différentes personnalités amies. Aujourd’hui, nous nous entretenons avec Jean-Marie, fondateur et responsable des opérations de l’Association Village Karenni.

Rencontre avec Jean-Marie, fondateur et responsable des opérations de l’Association Village Karenni.

Liberté politique : Quelle est la situation en Birmanie ?

Jean-Marie : La Birmanie reste ouverte au tourisme, mais de manière strictement encadrée. Un voyageur pourrait ainsi visiter le pays sans se rendre compte qu’il est en proie à une terrible guerre civile depuis plus de quatre ans. En réalité, les zones de conflit couvrent plus de la moitié du territoire. La Tatmadaw, l’armée birmane, y mène des batailles sans merci contre les guérillas des minorités ethniques ainsi que les milices de défense populaire apparues après le coup d’État de 2021.Il existe un réel déséquilibre entre les forces en présence. La junte birmane finance son armée grâce à un puissant conglomérat industriel et bénéficie du soutien de grandes puissances militaires historiques telles que la Chine, la Russie et, dans une moindre mesure, la Corée du Nord, auprès desquelles elle se fournit en équipements et munitions. Le conflit actuel voit l’utilisation d’avions et d’hélicoptères de combat, de puissantes pièces d’artillerie et, plus récemment, de drones militaires de pointe. De leur côté, les armées « rebelles » sont principalement équipées de fusils d’assaut et font face à des difficultés d’approvisionnement en munitions. Leur principal atout réside dans un immense soutien de la population civile, une grande mobilité, une connaissance approfondie du terrain et des combattants généralement très déterminés. Ces avantages leur ont permis d’infliger de sérieux revers aux généraux birmans ces dernières années. Pour contrer cela, la junte n’hésite pas à prendre la population civile en otage afin d’étouffer tout esprit de rébellion, bombardant des camps de déplacés, des hôpitaux, ou menant des raids de terreur, pillant, emprisonnant et assassinant des villages entiers.

LP : Vous êtes fondateur et membre actif de Village Karenni. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce pays si lointain ?

J-M : C’est avant tout l’esprit d’aventure qui m’a motivé, le rejet du confort moderne et la quête d’un engagement absolu. Quoi de mieux qu’une cause considérée à l’époque comme perdue d’avance dans une région si lointaine ? Au fil des années, de véritables amitiés sont nées et des projets concrets ont vu le jour, tissant des liens forts entre les bénévoles occidentaux de notre association et le peuple Karenni. Le soulèvement qui a suivi le coup d’État de 2021 peut être qualifié d’historique. Nous avons vu émerger des personnalités hors du commun, des figures héroïques et charismatiques, rendant cette aventure encore plus passionnante.

LP : Quelles perspectives pour les Karenni et pour votre association ?

J-M : Le peuple Karenni a repris le contrôle d’environ quatre-vingt-dix pour cent de son territoire. Cependant, l’armée birmane tient toujours Loikaw, la capitale, ainsi que d’importantes bases fortifiées et certains nœuds de communication. Elle lance régulièrement des offensives depuis les territoires voisins, repoussées héroïquement par de jeunes Karenni, parfois au prix de leur vie. Après quatre ans de guerre continue, les forces de défense karenni se sont consolidées et structurées, tout comme les organisations civiles et politiques. Les Karenni savent qu’ils doivent tenir coûte que coûte, car c’est le destin de leur peuple qui est en jeu. De notre côté, nous poursuivons notre travail de fourmi pour soutenir la population civile, première victime de la guerre, en fournissant du matériel aux cliniques, en formant et équipant les équipes de secouristes, et en sensibilisant le plus grand nombre à ce qui se passe dans cette région du monde, souvent oubliée des médias occidentaux. Notre plus grande récompense est de côtoyer et de marcher côte à côte avec cette jeunesse héroïque.

(Olivier Frèrejacques, président de Liberté Politique, est également président de Village Karenni)