(source : Breizh-Info) Je me souviens encore du jour où je rencontrai Emmanuel Ratier pour la première fois à Paris, dans l’entrée de Sciences Po, à la charnière des années 1970 et 1980. Il venait de Rouen, on me le présenta comme un ami politique. Je fus aussitôt conquis par son humour, sa truculence, cette façon de prendre les choses à revers, toujours par le côté drôle. Et surtout, il y avait Balder, ce fanzine qu’il éditait avec passion et que je dévorais numéro après numéro. J’en garde encore quelques exemplaires, enfouis dans mes archives les plus secrètes.
Déjà, à cette époque, Emmanuel avait la réputation d’un archiviste redoutable. Mon ami Robert Allo, entre deux expéditions de mercenaire en Afrique, redoutait pour le GRECE ses investigations précoces. Il parlait même d’aller lui « emprunter » ses dossiers en visitant de nuit la maison de ses parents. C’était pure fantaisie, bien sûr, mais cela disait déjà le personnage : infatigable, méthodique, curieux de tout.
Quelques années plus tard, il avait choisi la carrière de journaliste et moi celle d’éditeur. J’eus alors l’opportunité de l’accompagner chez Henry Coston, qui souhaitait vendre son fonds de commerce et surtout sa masse d’archives. La rencontre me marqua. Voir Emmanuel, jeune homme encore, dans ce bureau qui semblait échappé d’une Belle Époque figée, où la seule marque de progrès technique était la machine à écrire, encombré de livres, débordant de piles de dossiers bourrés de coupures de presse remontant aux années cinquante, face à ce vieil archiviste rescapé de l’île de Ré, c’était comme assister à un passage de relais. Emmanuel comprit qu’il avait trouvé son maître et Coston reconnut en lui son héritier naturel. Ils parlaient la même langue, celle des fiches et des réseaux, cette obstination à garder la mémoire longue contre l’oubli organisé.
Ce qu’Emmanuel hérita d’Henry, ce fut une flamme, un désir ardent de chercher, de débusquer, même si, en pratique, les archives papier semblaient condamnées à l’inutilité. Peu de temps après, déjà marié, il publia la première édition de son Encyclopédie politique. Mon épouse lui obtint alors un rabais important sur le papier et l’impression. Il nous en fut reconnaissant, mais je sais qu’il l’aurait publiée de toute façon. Car il croyait au livre, à l’encre sur le papier, quand tout autour déjà se laissait griser par l’éphémère, alors que nous ne soupçonnions pas encore l’impact futur d’Internet.
