L’Avent, moment propice pour récuser le fanatisme religieux

Paradoxalement, la période de l’Avent, qui a débuté deux semaines après les terribles attentats djihadistes de Paris, est propice pour s’interroger sur les conditions qui favorisent, au sein de l’islam, le fanatisme fondamentaliste.

Si le temps de l’attente de Noël représente le moment favorable pour un questionnement relatif à la théologie d’une autre religion que la nôtre, cela tient à ce que les chrétiens, en plus de se préparer à la venue de leur Seigneur, font aussi mémoire, durant cette période, de l’attente historique d’un Sauveur par le peuple juif. Tel est le sens des lectures des textes de l’Ancien Testament qui sont faites à chaque célébration de l’Avent.

Mais quel rapport y-a-t-il entre le rappel de la provenance juive de notre religion et la mise en relief des conditions propices à une lecture littéraliste du livre saint dans la religion musulmane ? En fait, il s’agit de comprendre qu’entre la révélation judéo-chrétienne et la révélation coranique (ou la conception de la révélation selon l’islam), existe une différence qui explique la prégnance lourde du fondamentalisme dans cette religion. Essayons dans un premier temps de cerner succinctement la spécificité de la révélation biblique, afin de mieux comprendre la différence entre les deux monothéismes.

Pédagogie du Dieu biblique

En soulignant la généalogie juive du christianisme, nous saisissons que la révélation de Dieu dans la Bible est progressive parce qu’historique. Certes, le Très-Haut confie d’emblée son Nom à Moïse au Sinaï. Mais cela ne sera pas suffisant pour éviter toutes les méprises à Son endroit. L’épisode du veau d’or, qui suit immédiatement cette révélation, en témoigne de façon péremptoire !

Toute l’histoire sainte d’Israël s’apparente ainsi à une formidable pédagogie divine par laquelle le Dieu de l’Alliance essaie de faire entrer son peuple dans la compréhension de Son identité profonde. L’ensemble des écrits bibliques attestent de la difficulté de la chose. Innombrables en effet sont les rechutes du peuple de l’Alliance et de ses élites, dans l’idolâtrie ou l’instrumentalisation politique du Nom divin : par exemple le projet de Jéroboam, après que le schisme eut coupé le royaume de David en deux, suite à la succession de Salomon, de dresser un veau d’or à Béthel en le faisant passer pour Celui qui a délivré Israël d’Égypte (1 R 12-30) ! Lancinante est la confusion, dans les récits bibliques, entre religion et désir de mettre la main sur Dieu dans la but d’obtenir des sécurités mondaines. Tout cela avec les meilleures intentions du monde : que l’on pense à l’assignation à résidence du Très-Haut à Jérusalem que propose de réaliser David, avant d’être « recadré » par le prophète Nathan.

De l’Idole suprême à l’Enfant de Bethléem

Il faudra du temps à Israël pour assimiler la transcendance incomparable de Celui qui veut entrer avec lui dans une relation de liberté, et non dans un rapport de maître à esclaves. Qu’est-ce qu’une idole en effet, sinon la projection fantasmatique d’une puissance dont on attend un bénéfice, et qui au final nous asservit ?

Rien de tel avec le Dieu biblique. Mais combien l’initiation a été dure pour Israël ! Quels trésors de patience Dieu a-t-il dû déployer pour arriver à ses fins ! L’exil à Babylone révèlera aux écrivains sacrés que le Dieu d’Israël est le Dieu universel, le Dieu de tous les hommes. Finalement, cette pédagogie aboutira à l’acceptation par la foi de l’Incarnation, discernant dans l’Enfant désarmé de la crèche le signe même de la Transcendance de l’Amour.

Une conception anhistorique de la révélation

C’est précisément cette dimension historique qui fait défaut à l’islam. Dans cette religion, la révélation divine est directe, immédiate, quasi-intemporelle. D’ailleurs, tous les hommes naissent musulmans. Seules les conditions en lesquelles ils voient le jour les détournent de la « vraie religion ».

Le Dieu de la religion de Mahomet ignore la patience de l’histoire. L’islam n’est pas une alliance entre Lui et l’homme, mais un légalisme. Le Livre (le Coran) n’est pas le fruit d’une aventure historique entre Dieu et un peuple, mais résulte de la réception passive d’une dictée surnaturelle.

Cette caractéristique de la conception coranique de la révélation a de fâcheuses conséquences. La plus évidente est qu’elle ne permet pas une contextualisation historique de l’écriture du Livre. Celui-ci reste intemporel, voire incréé. Dans ces conditions, comment interpréter les versets contradictoires ? Si ceux de la période de Médine abrogent ceux, plus tolérants, du moment inaugural de La Mecque, comment espérer un aggiornamento de l’islam ? On ne pourra pas espérer la récusation des versets les plus durs du livre fondateur de la religion musulmane sans l’acceptation de la dimension historique de sa rédaction.

Une initiation progressive à la non-violence  

Le temps n’est pas l’ennemi de l’homme. Dieu s’en est servi afin d’initier l’humanité à l’intelligence de ce qu’Il est en Lui-même. Pour les chrétiens, cette pédagogie est d’autant plus appropriée à notre nature que celle-ci a été blessée par le péché originel. Cette blessure originelle conduit les hommes à se représenter Dieu, non comme le Miséricordieux empli d’amour pour les hommes, mais comme un Maître dur, puissant, dont il est nécessaire de se concilier les bonnes grâces par des pratiques serviles et superstitieuses. Le pécheur attend un Guerrier qui fera le ménage pour sauver le peuple, et il se retrouve au final avec... un enfant qui l’initiera à la non-violence.

C’est là une leçon qui vaut pour tous. Le moment est venu pour nos frères musulmans de faire une lecture plus contextualisée de leur livre sacré. Les exégètes ayant entamé un tel travail ne leur manquent pas. Malheureusement, ils doivent encore trop souvent se terrer par peur des ultras fondamentalistes.

Dieu est patient. Cependant le temps presse pour démontrer l’imposture de ceux qui arguent de leur foi pour tuer et asservir. Que l’espérance de l’Avent dessille les yeux des fanatiques !

 

Jean-Michel Castaing

 

Illustration : Nicolas Poussin, L’Adoration des mages, 1633 (Dresde, Gemälde galerie).

 

 

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