Lettre de Monseigneur Marc Aillet à propos du projet de loi bioéthique

Source [diocese64.org]

La position défendue par le porte-parole de la CEF ayant suscité de vives réactions, nous pouvons nous réjouir de la prise de parole courageuse de plusieurs évêques.

Lire plus particulièrement, la troisième partie de l'article : "Alors que faire ?"

Chers diocésains,

Le projet de loi bioéthique, présenté en Conseil des ministres en juillet dernier et adopté il y a quelques jours en commission spéciale, sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre.

 Les évêques de France se sont exprimés à plusieurs reprises pour alerter le gouvernement, les parlementaires, les fidèles de l’Eglise catholique et l’opinion publique sur les graves enjeux soulevés par ce projet de loi. A la veille du débat parlementaire et avec le sentiment de ne pas avoir été entendus, Mgr Pierre d’Ornellas et le groupe bioéthique, qu’il préside au sein de la Conférence des Évêques de France, publient un livre : « Bioéthique : quel monde voulons-nous ? », pour alerter une dernière fois sur « ces enjeux d’humanité ». Une conférence était organisée aux Bernardins le 16 septembre, au cours de laquelle Mgr Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des Évêques de France, Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, et Mgr Pierre d’Ornellas ont exprimé leurs vives inquiétudes.

Tout en vous renvoyant à ces contributions fort pertinentes et en me situant dans la ligne de cette parole forte des évêques de France, je crois de mon devoir d’évêque d’adresser ce message aux prêtres, consacrés et fidèles laïcs du diocèse de Bayonne, Lescar et Oloron.

Sans doute la « Procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes », que l’on peut appeler la « PMA sans père », est-elle, sous la pression de lobbies ultra-minoritaires, la question la plus présente dans les medias, avec la légalisation, inéluctable à plus ou moins court terme, de la Gestation pour autrui (GPA), car rien n’arrêtera « la roue crantée » qui nous a conduits du Pacs au mariage pour tous, et du mariage pour tous à la PMA, malgré bien des pétitions de principe… Il ne faudrait pas oublier pour autant d’autres sujets non moins inquiétants, comme l’extension de l’expérimentation sur les embryons humains, la fabrication, à des fins de recherche, d’embryons transgéniques et même « chimériques », au croisement de l’homme et de l’animal…

 

1. De graves enjeux éthiques et juridiques portant sur la filiation, la dignité de l’embryon et de la procréation, la marchandisation du corps humain, la vocation de la médecine

 

La PMA sans père

Sans doute y-a-t-il déjà des enfants élevés sans père, dans des familles monoparentales ou homoparentales. Mais ce qui est somme toute le résultat d’accidents de la vie sera légalement organisé par la société : en ouvrant la PMA, jusque-là réservée aux couples hétérosexuels dont l’infertilité est médicalement diagnostiquée, aux couples de femmes ou aux femmes célibataires, on entend légaliser la conception et la mise au monde d’enfants intentionnellement privés de père. Et on invoque le principe d’égalité ou de non-discrimination. Or il n’y a pas discrimination quand les situations sont différentes, comme le souligne le Conseil d’Etat (avis du 11 juillet 2018, confirmé par un arrêt du 28 septembre 2018) : il y a en effet une différence formelle entre un couple hétérosexuel apte naturellement à procréer et un couple de femmes évidemment inapte à la génération.

 

Le bouleversement de la filiation

Non seulement la « PMA pour toutes » nécessitera un Tiers donneur dont la paternité ne sera pas reconnue, mais elle portera atteinte à la réalité même de la filiation : on substituera à la « filiation charnelle ou biologique » une « filiation d’intention » et on proposera même d’indiquer sur l’Etat civil de l’enfant : « mère et mère », ce qui est évidemment un mensonge, car jusqu’à preuve du contraire, il faut un homme et une femme pour concevoir un enfant. L’enfant ainsi conçu sera privé de son père et d’une part de son histoire : en effet, la filiation nous relie charnellement et spirituellement à un père et à une mère et donc à une double lignée familiale qui n’est pas sans incidence sur l’existence et la construction humaine de l’enfant. Il ne s’agit pas de dénier à ces couples de femmes la capacité à donner de l’amour à un enfant, mais celui-ci n’a pas besoin seulement d’amour, il a besoin de repères clairs pour grandir dans son identité, d’un père et d’une mère pour accéder à la véritable altérité. On connaît d’ailleurs bien les effets négatifs sur le développement psychologique des enfants et des jeunes qui sont privés de père, comme l’indique l’Académie Nationale de Médecine qui vient d’émettre de grandes réserves sur cette extension de la PMA.

Et ce n’est pas la possibilité accordée à l’enfant d’accéder à sa majorité aux données concernant son géniteur, si celui-ci le veut bien, qui lui donnera pour autant un père ! De plus, au nom de quelle égalité hommes-femmes, tant revendiquée aujourd’hui, pourra-t-on accepter que l’homme soit ici réduit à n’être plus qu’un « réservoir de sperme » ? Sans compter la marchandisation des gamètes qui s’ensuivra immanquablement, vu la pénurie de donneurs constatée aujourd’hui pour les couples hétérosexuels infertiles.

Un détournement du sens de la loi

La loi se propose donc de convertir en droits les désirs individuels frustrés de quelques-uns, en les imposant à tous les citoyens. Nous sommes en effet tous concernés par cette légalisation de la PMA pour toutes, ne serait-ce que par le remboursement par l’assurance maladie (sic) de cette technique d’assistance médicale à la procréation qui reste d’un coût très élevé et dont le taux de réussite est par ailleurs très bas. Et je ne parle pas de la GPA qui n’est accessible aujourd’hui qu’aux riches !

C’est le « droit à l’enfant » qui est ici inscrit dans la loi, au mépris du « droit de l’enfant » à naître d’un père et d’une mère, reconnu par la Convention internationale des droits de l’Enfant et dont la France est signataire ! Une fois de plus, l’enfant n’est considéré que comme l’objet exclusif du désir de ses parents et asservi à la volonté toute-puissante des adultes : qu’en est-il de « l’intérêt suprême de l’enfant », invoqué paradoxalement pour inscrire à l’Etat civil des enfants nés de GPA à l’étranger ?

Une transformation de la médecine

De plus, on assiste là à une transformation radicale de la médecine : le médecin, dont le rapport au patient est par nature ordonné au soin, devient un simple prestataire au service des désirs individuels de quelques-uns, ne souffrant pourtant d’aucune pathologie diagnostiquée. C’est une révolution qui dénature profondément le geste médical.

L’atteinte à la dignité de l’embryon

La distinction faite entre les embryons humains, pour lesquels l’autorisation de l’expérimentation demeurerait encadrée, et les cellules souches embryonnaires, pour lesquelles l’autorisation serait libérée à des fins de recherche, est fallacieuse. Chacun sait en effet que l’obtention de cellules souches embryonnaires nécessite la destruction des embryons, c’est-à-dire d’êtres humains vivants, et cela s’appelle un meurtre ! D’ailleurs les diverses techniques de PMA ne font pas l’économie d’embryons surnuméraires voués à la destruction ou à l’expérimentation, dès lors qu’il n’y a plus sur eux de projet parental !

Et je ne parle pas des embryons génétiquement modifiés ou « chimériques », dont l’autorisation est inscrite dans le projet de loi où l’on prévoit que des cellules d’embryons humains soient apportées à des embryons animaux. Qui ne serait pas horrifié par un tel projet 

 

2. La méthode utilisée est-elle honnête ?

Il convient de porter maintenant notre attention sur la méthode utilisée par le gouvernement pour en arriver à ce projet de loi bioéthique.

Un large consensus opposé à la PMA pour toutes

Dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, le gouvernement a listé un certain nombre de questions susceptibles d’être révisées et a confié au Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) le soin d’organiser, au premier semestre 2018, des Etats Généraux de la Bioéthique. Or, force est de constater que les débats-citoyens, qui ont rassemblé un nombre de participants dépassant largement les attentes, comme les milliers de contributions postées sur un site internet dédié, ont permis de dégager un très large consensus opposé à la PMA pour toutes, au nom du droit de l’enfant à naître d’un père et d’une mère.

Y avait-il urgence à légiférer ?

Le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres en plein mois de juillet, au cœur des torpeurs estivales, et les auditions ont été reçues par la Commission parlementaire à la hâte, fin août, soit juste avant la rentrée. Alors qu’on ne cesse de proclamer, pour rassurer et minimiser l’enjeu, que cela ne concernera que quelques personnes, on le met au programme de l’Assemblée nationale en priorité, à la rentrée parlementaire de septembre. Comme s’il n’y avait rien de plus urgent en France. Il est vrai que la crise des gilets jaunes semble avoir été temporairement jugulée : les sommes débloquées pour calmer la fronde suffiront-elles cependant à réduire durablement le fossé croissant entre les riches et les pauvres, entre les métropoles urbaines et les territoires devenus de plus en plus périphériques et marginalisés ? A cet égard, le coût élevé, voire exorbitant, des techniques de PMA, sans parler de la GPA à laquelle seuls quelques gens riches peuvent recourir à l’étranger, n’est-il pas choquant lorsqu’un nombre croissant de Français parvient difficilement à boucler ses fins de mois ? Cette revendication de luxe, pour satisfaire des désirs frustrés, n’est-elle pas insolente et provocatrice ?

Le sentiment de ne pas avoir été entendu

Beaucoup de ceux qui ont été auditionnés par la Commission parlementaire ont le sentiment d’avoir été traités par le mépris et affirment ne pas avoir été entendus. On se souvient de la réponse en forme de boutade du Cardinal André Vingt-Trois, auditionné sur le projet de loi Taubira : à la question « avez-vous le sentiment d’avoir été entendu ? », il répondait : « La sonorisation était parfaite » ! C’est ce qu’a affirmé devant la commission parlementaire M. Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita et ce qu’a confirmé Mgr Michel Aupetit dans une interview donnée à Famille chrétienne : « Si nous avons été écoutés, nous avons le sentiment que nous n’avons pas été entendus ».

On ne peut toutefois pas reprocher aux évêques de France de ne pas avoir cru loyalement au dialogue et de ne pas avoir apporté une contribution sage et argumentée ni posé des questions pertinentes, restées d’ailleurs sans réponse. On peut en revanche se demander si les promoteurs de ce projet de loi ont vraiment eu l’intention du dialogue, tant le procédé paraît malhonnête.

Le caractère relatif des sondages

La propagande médiatique va jusqu’à mettre en avant un sondage, commandé à l’IFOP par le quotidien La Croix  (3 janvier 2018) – ce qui est d’ailleurs rappelé insidieusement par les tenants de la PMA -, affirmant qu’une majorité de Français (64%) se prononçaient en faveur de la PMA pour toutes, la question posée portant sur le droit des femmes homosexuelles ou célibataires à recourir à la PMA pour satisfaire leur désir d’enfant. Quelle commune mesure toutefois entre un sondage fait à la sauvette sur un échantillon de 1000 personnes, et par définition ne donnant aucun recul pour la réflexion, et des débats argumentés ayant mobilisé tant de contributeurs (17500 personnes en ligne, 30000 arguments postés et plus de 300000 votes exprimés) lors des Etats Généraux de la Bioéthique ? Ces débats ne reflètent-ils pas mieux l’opinion réelle des Français ? D’ailleurs, quand le même Institut de sondage, en l’occurrence l’IFOP, pose la question de savoir si l’Etat doit garantir aux enfants nés par PMA le droit d’avoir un père et une mère, une écrasante majorité (82%) répond par l’affirmative.

Une bioéthique de la liberté ?

A la veille du débat à l’Assemblée, Monsieur Jean-Louis Touraine, président de la Commission parlementaire qui a adopté le projet de loi, sans tenir compte des résultats des Etats Généraux de la Bioéthique ni des auditions de nombreuses associations et confessions religieuses, publie un plaidoyer militant pour une « bioéthique de la liberté » ! Entendez : la liberté absolue de l’individu, au risque de détruire la liberté d’autrui. Même le principe de la Philosophie des lumières, qui s’avère pourtant très incomplet, de la « liberté des uns qui s’arrête là où commence celle des autres », est balayé. Qu’en sera-t-il en effet de la liberté de l’enfant blessée dès la naissance par l’exclusion de son père ? En prétendant s’affranchir de la loi naturelle, inscrite dans le cœur de l’homme, la liberté s’avère prisonnière des désirs égoïstes de la chair et manifeste ainsi un urgent besoin d’être libérée.

 

3. Alors que faire ?

L’engagement compétent et généreux de ceux qui ont participé loyalement au débat (Etats Généraux de la Bioéthique, interventions argumentées des évêques de France, auditions d’associations et de personnalités dont l’expertise et l’expérience ne sont plus à démontrer…) semble réduit à rien. Serions-nous coupables de croire encore au dialogue quand nos interlocuteurs n’y croient manifestement pas et que leur « roue crantée » tourne inexorablement ? Non, bien sûr.

Parler à la conscience des gens

Il reste que la bataille politique et juridique à court-terme est sans doute perdue, à moins d’un miracle ou d’un retournement significatif, toujours possible dans des circonstances exceptionnelles. Les chrétiens toutefois s’inscrivent, non dans le temps court des échéances électorales, mais dans le temps long du salut public et du salut des âmes ! Quand tous les ressorts du dialogue, fondé en raison, ont été épuisés et se heurtent à une fin de non-recevoir, il reste une parole prophétique à proclamer haut et fort, et à adresser à la conscience des gens. Nous devons miser sur la conscience qui a toujours besoin d’être éclairée et même réveillée, surtout quand elle risque d’être anesthésiée par la propagande politico-médiatique ambiante et muselée à grands renforts de dispositions législatives.

Le droit des citoyens à faire entendre leur voix

C’est le droit et le devoir des citoyens, dans une démocratie participative, que de faire entendre leur voix, dès lors que la dignité inviolable de la personne humaine est en jeu et les évêques ont montré sans conteste possible que c’est en effet le cas.

J’appelle les fidèles du diocèse à alerter leurs concitoyens, dans les relations de proximité qui font la vie sociale, sur les graves enjeux du projet de loi en cours. Je les invite à contacter leurs élus, députés et sénateurs, censés les représenter au Parlement, pour leur faire entendre leurs inquiétudes, leur oui à la dignité de la personne humaine, à commencer par la plus petite et la plus fragile, et leur non à tout ce qui la blesse et la détruit. Ils pourront ainsi apprécier la liberté de leurs élus face aux pressions des lobbies et à la discipline de parti et ils sauront en tenir compte lorsque ceux-ci brigueront à nouveau leurs suffrages.

Mais quand tous les ressorts du dialogue et de l’argumentation pour alerter l’opinion publique et ceux qui président au Bien commun ont été épuisés, sans succès, alors il reste le droit, voire le devoir, de manifester, du moment que c’est sans violence et sans condamnation des personnes.

Les chrétiens sont appelés à rendre témoignage à la Vérité

Pour les chrétiens, cela appartient même au mandat missionnaire du Christ qui nous appelle à rendre témoignage à la Vérité, si tant est que l’on soit bien convaincu de la Vérité sur l’homme, accessible à la raison, éclairée par la foi et enseignée par l’Eglise, avec l’autorité du Christ. Comme le rappelle la Constitution du Concile Vatican II, Gaudium et Spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « Nouvel Adam, le Christ […] manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (n. 22). Et en faisant référence à tout ce que la Constitution a affirmé sur la dignité de la personne humaine (nn. 12-21), le texte conclut : « Il n’est donc pas surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en lui leur source et atteignent en lui leur point culminant » (Ibid.). La constitution de la personne humaine, créée homme et femme à l’image de Dieu, fondement de sa dignité, le mariage et la procréation, l’importance de la filiation charnelle, car la personne humaine est « une de corps et d’âme », la dignité inviolable de l’embryon humain, appartiennent à la Vérité sur l’homme et relèvent de l’Evangile de la Vie que nous avons le devoir de proclamer à toute la Création (Mc 16, 15). Comme nous y invite l’Apôtre Pierre : « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous, devant tous ceux qui vous en demandent raison. Pourvu que ce soit avec douceur et respect » (1 P 3, 15-16). Il ne s’agit certes pas d’imposer la Vérité, mais de la proclamer : « Elle ne m’a pas demandé de vous le faire croire, mais de vous le dire », disait Sainte Bernadette Soubirous.

Un encouragement à manifester le 6 octobre

Certes, la Conférence des Évêques de France n’est pas habilitée à donner des mots d’ordre citoyens. Il appartient en effet aux fidèles laïcs d’animer chrétiennement les réalités temporelles, à la lumière de la foi et de l’enseignement de l’Eglise, de leur propre initiative. Mais à titre personnel, en tant qu’évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, je n’hésite pas à encourager les fidèles du diocèse, dans la mesure où ils le choisiront en conscience, à participer à la Manifestation « Marchons enfants », le dimanche 6 octobre à Paris. Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, s’est lui-même exprimé en ce sens : « La plupart des citoyens n’ont souvent pour seul moyen d’expression que la manifestation publique. Ils doivent pouvoir s’exprimer. Donc cette démarche est non seulement licite, mais vraiment utile » (Famille chrétienne du 21 septembre 2019). Et Mgr Eric de Moulins-Beaufort a affirmé devant les medias, en marge de la conférence des Bernardins le 16 septembre : « Personnellement je ne vois pas comment nous pourrions empêcher des citoyens, catholiques ou non, inquiets de ce projet de loi, de manifester s’ils pensent que c’est un moyen utile pour se faire entendre. J’aurais tendance même à dire qu’ils ont le devoir de le faire ». On aura bien compris qu’il s’exprimait ici à titre personnel et n’engageait bien évidemment pas l’ensemble des évêques de France.

Un tel encouragement est-il clivant ?

J’ai bien conscience qu’un encouragement épiscopal à manifester pourra être taxé hâtivement de « clivant », selon l’expression consacrée. J’en prends le risque, car ce n’est pas la posture, mais c’est la Vérité qui a un effet clivant ! En effet la Vérité, comme « adéquation de l’intelligence au réel », non à ce que l’on ressent subjectivement mais à ce qui est objectivement posé devant soi, est l’objet de l’intelligence. Aussi le premier principe de la connaissance intellectuelle est-il le principe dit de non contradiction : « ce qui est est, ce qui n’est pas n’est pas », et que Jésus énonce ainsi dans l’Evangile : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non. Tout le reste vient du mauvais » (Mt 5, 37). Que le rappel de la Vérité à temps et à contretemps, en choisissant même le moyen de la manifestation publique, entraîne des incompréhensions et des malaises ne devrait pas nous étonner ; comme l’affirme le vieillard Syméon, au jour de la Présentation de Jésus au Temple : « Cet enfant sera un signe de contradiction, afin que soient révélées les pensées intimes de bien des cœurs » (Lc 2, 34-35). L’essentiel restant de parler à la conscience des gens. Les associations, membres du Collectif organisateur de la manifestation du 6 octobre, ont toutes participé loyalement, et dans un esprit de dialogue, aux Etats Généraux de la Bioéthique ; beaucoup d’entre elles ont été auditionnées et ont apporté des critères de discernement. Elles ont eu le sentiment de ne pas avoir été entendues et parfois d’avoir été traitées par le mépris.

Leur initiative de tenter un dernier recours en appelant les citoyens conscients de la gravité des enjeux de ce projet de loi à descendre dans la rue est pleinement légitime. Pourvu que ce soit sans esprit partisan, dans le respect de tous et en évitant toute attitude discriminatoire envers quiconque, car toute personne doit être respectée en tant qu’elle est une personne, même si elle se trompe et même si elle commet le mal, surtout si c’est par ignorance. Une forte mobilisation, dans un esprit positif et pacifique, peut constituer un signal fort donné au gouvernement et aux élus, et une alerte pertinente pour l’opinion publique.

Un combat spirituel : prière et pénitence

Il va sans dire que les chrétiens ne se contenteront pas d’une démarche citoyenne, mais ils adopteront une posture spirituelle. En effet, nous avons bien conscience que les progrès de la technoscience sont mis ici au service d’une idéologie qui s’oppose directement au dessein créateur de Dieu. Nous sommes donc engagés dans un combat d’ordre spirituel, un combat qui n’est pas le nôtre mais celui de Dieu (cf. 2 Chr 30, 15). Il nous faudra donc confier tout ce que nous entreprendrons au Seigneur par la prière. J’encourage les paroisses qui le pourront à organiser des temps ou des veillées de prière pour demander au Seigneur que les législateurs et les décideurs aient le souci de l’unité du Corps social, à travers la recherche inlassable du Bien commun, qui passe par un a priori de fraternité prenant en compte les plus petits et les plus fragiles. C’est la recommandation insistante de l’Apôtre Paul : « J’encourage avant tout à faire des prières, des intercessions, des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’Etat et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité » (1 Tm 2, 1-2).

Il en va aussi d’une exigence de conversion personnelle et communautaire. La Bible évoque souvent la colère de Dieu devant l’infidélité de son peuple qui se détourne des paroles de l’Alliance, qui transgresse les commandements du Seigneur et s’éloigne de Lui pour retourner à ses idoles. Cette colère, qui exprime l’aversion de Dieu pour le péché, se transforme en compassion pour les pécheurs, et Il envoie son Fils comme victime de propitiation pour nos péchés et ceux du monde entier (cf. 1 Jn 2,2).

A Lourdes, la petite Bernadette a été impressionnée par le visage tout triste de la Vierge Marie : « Elle semblait porter toute la misère du monde », raconte-t-elle. Alors elle l’entendit proclamer : « Pénitence, pénitence, pénitence … pour les pécheurs » !

Devant les comportements transgressifs de l’homme d’aujourd’hui, adoptés au nom du progrès de la science et de la technique et sans doute aussi pour répondre à des souffrances que l’on peut comprendre mais qui conduisent à des effets destructeurs d’ordre ontique et anthropologique, nous sommes nous aussi invités à prendre notre part de pénitence : d’abord par notre propre conversion, en revenant à Dieu de tout notre cœur ; ensuite en unissant l’offrande de nos épreuves et de nos privations à l’offrande sacrificielle du Christ pour le salut du monde. Ainsi, nous apaiserons le visage de Dieu (cf. Ex 32, 11).

 

En confiant ces réflexions à votre discernement, je vous assure de mes sentiments dévoués et fraternels et de ma prière. Que le Seigneur bénisse tout ce que vous entreprendrez pour promouvoir la fraternité entre tous, sans acception des personnes, à commencer par les plus petits, et que la Vierge Marie, Mère de la Vie et de l’Amour, intercède pour vous.

 

          Bayonne, le 22 septembre 2019

         + Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron

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