A propos du déficit de réalisme catholique
 A propos du déficit de réalisme catholique

Source : un lecteur de Liberté politique

Il va de soi que les quelques lignes qui suivent ne résultent pas d'une imprécation, mais plutôt d'une analyse, qui cherche à comprendre pour quelles raisons, au sein du catholicisme contemporain, il y a, entre autres, des catholiques qui, avant tout, essaient de voir le monde contemporain comme il est, et des catholiques qui, avant tout, réussissent à le voir comme ils voudraient qu'il soit, au point ou, en tout cas, au risque, réel, de préférer la mise en avant d'une utopie à la prise en compte de la réalité.   

Il va aussi de soi que bien des clercs catholiques, qui sont à la fois récepteurs et transmetteurs du mode de raisonnement dont il est question ici, ne sont pas avant tout des coupables, mais sont au contraire des victimes de ce mode de raisonnement ; simplement, il ne tient qu'à ces clercs de ne pas être, ou de ne plus être, des victimes consentantes, et de commencer à se déprendre d'un engrenage mental et d'habitudes verbales qui les conduisent fréquemment à se conformer à un "alignement". 

 

Tout d'abord :

 

1. Depuis déjà un peu plus d'un demi-siècle, les fidèles catholiques peuvent constater que bien des clercs catholiques s'expriment bien plus volontiers, depuis l'intérieur de l'Eglise catholique et vers les hommes et le monde "de ce temps", dans des domaines qui ne relèvent pas de leur compétence spécifique, que sur des questions qui relèvent bien de leur compétence statutaire, pour ainsi dire.  

 

2. C'est ainsi qu'il est aujourd'hui plus facile de trouver un évêque qui rappelle, assez souvent à juste titre, au demeurant, que "le bien, c'est pas mal" et que "le mal, c'est pas bien", en économie, dans les entreprises, en politique, dans la société, qu'un évêque qui rappelle explicitement et spécifiquement, d'une manière courageuse et dissensuelle, au bénéfice et à destination des catholiques, des autres chrétiens, des autres croyants, et des non croyants,

 

- que Jésus-Christ est le Fils unique du seul vrai Dieu, Père, Fils, Esprit, et le seul Médiateur et Rédempteur, le seul Seigneur et Sauveur,

 

- que la religion chrétienne est la seule religion dépositaire, et non, bien sûr, propriétaire, de l'autorité et de la plénitude de la révélation divine, 

 

- que les croyants chrétiens ont vocation à annoncer Jésus-Christ, en tant que Fils unique du seul vrai Dieu, et à exhorter, par la prédication et par le témoignage, les croyants non chrétiens et les incroyants, en vue de leur conversion, sous la conduite et en direction de Jésus-Christ,

 

- que les croyants non chrétiens et les non croyants ont vocation à laisser Jésus-Christ entrer à l'intérieur de leur âme, de leur coeur, de leur esprit et de leur vie, pour commencer puis continuer à suivre Celui qui est le chemin, la vérité et la vie, nul n'allant au Père que par Lui, 

- qu'il y a une différence de nature entre la confession catholique et les autres confessions chrétiennes, qu'il y a une autre différence de nature entre la religion chrétienne et les autres religions, que l'adhésion à un document tel que la déclaration Dominus Iesus n'est pas facultative, et que le contenu de ce document n'est pas escamotable,

 

- que les "manières de croire" présentes dans bien des religions, ou des traditions croyantes, non chrétiennes, ne sont pas seulement des "manières de croire" différentes de la religion chrétienne, mais sont notamment des "manières de croire" qui comportent des risques ou des sources d'amputations, de déformations, d'oublis ou d'erreurs sur Dieu, l'homme, le monde, et sur la révélation divine. 

 

3. La prise en compte catholique de ce qui précède ne doit évidemment pas conduire à la conclusion d'après laquelle les religions non chrétiennes seraient également erronées, entre elles, et uniquement erronées, en elles, ni à celle selon laquelle les croyants chrétiens auraient toujours raison par ailleurs, et les croyants non chrétiens et les non croyants auraient toujours tort par ailleurs : ce serait absurde, inexact, injuste, ubuesque, et non évangélique, dans l'acception vraiment évangélique de ce terme.  

 

4. A partir de ce rappel de ce qui est plus fréquemment mis en retrait, dans le silence, que mis en avant, dans la lumière, il est possible de dire que le problème qui s'impose à nous, depuis déjà un peu plus d'un demi-siècle, est celui de l'autorité, de l'importance, de l'influence, mais aussi de la capacité d'élusion et d'omission qui sont présentes à l'intérieur de ce qu'il est possible d'appeler le "gaudium-et-spisme" : il est fait ici référence à la croyance, car vraiment c'en est une, à cause de laquelle bien des clercs catholiques considèrent qu'ils sont d'autant plus légitimes, à leurs yeux et aux yeux des autres, dont les non catholiques, qu'ils actualisent et pérennisent le positionnement iréniste, voire utopiste, et horizontaliste, voire humanitariste, que l'on trouve dans la deuxième partie de Gaudium et Spes, dans le cadre de leurs analyses et de leurs appréciations sur la culture, l'économie, les entreprises, la politique intérieure, la politique étrangère, la société, les populations, les territoires, etc.   

 

5. A cause de ce gaudium-et-spisme, que l'on trouve notamment dans les chapitres II et IV de la deuxième partie de Gaudium et Spes, bien des hommes d'Eglise s'expriment, sur les hommes et sur le monde, comme des diplomates, des économistes, des philosophes, ou des sociologues, à la fois agnostiques et humanistes, non dénonciateurs ni réprobateurs des évolutions en cours et des orientations à l'oeuvre, et ces hommes d'Eglise s'expriment ainsi parce qu'ils s'imaginent, depuis Vatican II,

 

- qu'ils n'ont pas avant tout, ou qu'ils nont plus avant tout, à exhorter les non chrétiens, croyants ou non, à la conversion vers Jésus-Christ, et à exhorter les catholiques à la confiance, à la fidélité, et aussi à la fermeté, dans la foi, dans l'espérance, dans la charité, en tant que vertus théologales, et non en tant que "valeurs chrétiennes".

 

 - mais qu'ils ont avant tout à procéder à un accompagnement humanisateur, essentiellement conciliateur, sinon exclusivement suiviste, de ces évolutions et de ces orientations, en exhortant le moins possible, d'une manière clairvoyante et courageuse, non seulement au respect et au souci du bien commun et de la personne humaine, mais aussi au respect et au souci de la loi naturelle, de la relation à la vérité la plus honnête possible, de la tempérance, de la force, de la justice, et de la prudence.

 

6. En l'occurrence, l'immigrationisme, médiatiquement et mondialistement correct, mais sur lesquels certains responsables politiques nationaux essaient de revenir, à tout le moins verbalement, n'est pas avant tout "philo-évangélique" ou "anti-évangélique", mais est avant tout imprudent, tout simplement, pour toutes sortes de raisons, notamment culturelles et sociétales, démographiques et territoriales, éducatives et sanitaires, identitaires et sécuritaires, et le simple fait que des hommes d'Eglise réussissent à faire croire que l'accueil inconditionnel, mais aussi inféodé et irréfléchi, notamment des migrants, est "prescrit par l'Evangile", alors que plus on accueille en quantité et moins on intègre en profondeur, en dit assez long, à la vérité, sur le fait qu'en eux la connaissance et la compréhension des réalités a été remplacée par un sentimentalisme incohérent et inconséquent. 

 

Cela dit : 

 

7. Si la question de l'actualisation et de la pérennisation du gaudium-et-spisme, et celle de la nécessité de sortir du gaudium-et-spisme pour "recatholiciser" le discours chrétien sur les hommes et sur le monde, intéressent les fidèles catholiques, il est possible de les renvoyer à la lecture de ce document de l'année 2016 :          

 

http://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2016/10/Texte_Retrouver-le-sens-du-politique.pdf

 

8. Grâce à ce texte, nous sommes témoins des expressions ET des omissions qui sont utilisées, quand des hommes d'Eglise partent du principe qu'ils n'ont presque rien à dire d'explicitement et de spécifiquement porteur de la foi surnaturelle, de la loi naturelle, de l'humanisme exigeant et du réalisme éclairant les plus anti-postmodernes qui soient, en direction du monde contemporain, et quand ils s'expriment sur les hommes d'aujourd'hui et sur le monde d'aujourd'hui, exactement ou, en tout cas, globalement, comme des observateurs et des partenaires des évolutions considérées comme les plus nécessaires, et des orientations considérées comme les plus légitimes, par bien des dirigeants économiques ou politiques.

 

On est ainsi, à la limite, en présence d'un phénomène de non assistance catholique à société en danger, par alignement sur, ou conciliation avec le consensus dominant.  

 

Cela ne veut pas dire que les fidèles catholiques sont en présence d'un document illégitime, mais cela veut dire qu'ils sont en présence d'un texte à caractère introductif, qui aurait eu vraiment bien plus de sens s'il avait été complété et enrichi, par la suite, par un autre texte, beaucoup plus éclairant, exigeant, fortifiant et nourrissant. 

 

9. Or, tant que le catholicisme, évidemment surtout en France, sera gaudium-et-spiste, il aura toujours tendance à être "plutôt pour" et non "plutôt contre" les idées et l'action de personnalités telles que Jacques Delors et Simone Veil, et à n'être "ni pour ni contre, bien au contraire", face à ce qu'il est possible d'appeler, d'une part, l'anthropocratisme individualiste et libertaire, en l'occurence postmoderne, et, d'autre part, le théocratisme communautariste et liberticide, en l'occurence islamique.

 

10. En d'autres termes, de même que nous avons été, hier, en présence, d'évêques qui, au Concile Vatican II, et après le Concile, ont réussi le tour de force de ne condamner formellement ni l'individualisme hédoniste, ni le collectivisme communiste, de même nous sommes aujourd'hui en présence d'évêques qui, en France, ne mettent les fidèles catholiques et les citoyens français clairement en garde ni contre les risques de soumission au progressisme postmoderne, ni contre les risques de soumission à l'intégrisme islamique, alors qu'une telle mise en garde, dans le courage et la franchise, serait à la fois vraiment libératrice et vraiment responsabilisante.  

 

11. Il est nécessaire de mettre un terme à ces quelques lignes, en revenant un instant à l'irréalisme de bien des hommes d'Eglise, cet irréalisme étant souvent considéré, par eux, comme non illégitime, "puisqu'il est bien intentionné", c'est-à-dire intentionné d'une manière tenue pour altruiste, humaniste, compréhensive, coopérative, etc.

 

Pourquoi un tel irréalisme ? Certains ont longtemps cru que c'était uniquement par adhésion, explicite ou inconsciente, à tel ou tel courant de pensée jugé "de gauche" ou situé "à gauche", "donc" souvent jugé bienveillant, bienfaisant, courageux, généreux, comme le communisme, le socialisme, ou comme le sociétalisme, croire-ensembliste, en l'homme, et vivre-ensembliste, en ce monde, mais c'est aussi par complexe de supériorité morale, vis-à-vis des catholiques en particulier, et des Français, en général, qui sont bien obligés, eux (compte tenu des contraintes culturelles et sociales, familiales et parentales, économiques et éducatives, matérielles et professionnelles, auxquelles ils sont confrontés), d'être réalistes, donc assez sceptiques, voire des plus critiques, sur la fécondité et la génialité de l'accueil inconditionnel de migrants que nous n'avons pas les moyens d'intégrer, et qui, de toute façon, n'ont pas, pour bon nombre d'entre eux, le désir de s'intéger, en plénitude, à notre culture et à notre société.

 

12. La vérité oblige à dire que pour de nombreux clercs catholiques, plus on est à la fois catholique et réaliste, au point d'être fermement opposé aux évolutions et aux orientations qui correspondent, globalement, aux intérêts et aux objectifs de nos dirigeants, au moins depuis le milieu des années 1970, notamment sur les questions situées au croisement du culturel et du sociétal (éducation, enseignement ; eugénisme, euthanasie ; identité, sécurité ; immigration, intégration), et plus on on est jugé, par ces clercs, à la fois peu inspiré par la charité chrétienne, ou peu porteur de charité chrétienne, et peu orienté vers les autres, vers les exclus, et vers l'avenir, ou peu tourné vers les autres, vers les exclus, et vers l'avenir, alors que les plus fragiles, les plus précaires, et l'avenir, font partie des victimes de ces évolutions et de ces orientations.

 

Ce qui précède constitue une tentative de mise en perspective de l'état d'esprit qui est à l'origine de bien des difficultés des catholiques réalistes qui sont confrontés à un véritable "plafond de verre" situé entre eux et bien des évêques français ; ces derniers, pour la plupart, mais non pas tous, sont à la fois les serviteurs et les victimes d'un effet de système, ou d'une logique d'appareil, qui fait qu'ils subissent, depuis au-dessus d'eux, un effet de surplomb incapacitant, et certains d'entre eux, de toute façon, ne veulent manifestement pas, et ne voudront vraisemblablement jamais, faire preuve de réalisme catholique, sur les hommes et sur le monde "de ce temps".

   

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est à peu près ceci : jamais certains hommes d'Eglise ne reconnaîtront que les prédécesseurs de leurs prédécesseurs ont été trompés, se sont trompés, puis ont trompé, en amont, au moment, en aval de leur adhésion au gaudium-et-spisme, et leur enracinement dans l'irréalisme bien intentionné, iréniste et utopiste face au monde, constitue un système de défense face à cette erreur, dont ils sont solidaires au point d'en être les complices, alors que si plusieurs d'entre eux, d'un seul coup, commençaient à faire preuve de réalisme, et à exhorter à dire oui, bien sûr, aux vertus surnaturelles, au bien commun, à la loi naturelle, à la personne humaine, à la relation à la vérité, aux vertus naturelles, donc non, bien sûr, à l'immigrationisme, à l'individualisme, à l'islamisation et au libertarisme, d'une part, l'enfer, médiatiquement et mondialistement correct, s'abattrait sur eux, d'autre part, les catholiques les plus attentifs et réfléchis seraient en mesure de demander des comptes aux évêques qui persistent, notamment par soumision à un engrenage et à des habitudes, dans une certaine et fâcheuse tendance au "ni pour, ni contre, bien au contraire".    

 

Un lecteur de Liberté politique