Grande-Bretagne : le Brexit et le destin de l’Occident.
Article rédigé par Roberto de Mattei, le 11 juillet 2016 Grande-Bretagne : le Brexit et le destin de l’Occident.

[Source : Salon Beige ]

de Roberto de Mattei dans Correspondance européenne :

 

"Le référendum britannique du 23 juin (Brexit) sanctionne l’effondrement définitif d’un mythe : le rêve d’une « Europe sans frontières », bâtie sur les ruines des États nationaux. 

Le projet européiste, lancé par le traité de Maastricht de 1992, portait en lui-même les germes de son auto-dissolution. Il était tout à fait illusoire de prétendre réaliser une union économique et monétaire avant une union politique. Ou pire encore, d’imaginer se servir de l’intégration monétaire pour mettre en œuvre l’unification politique. Mais tout autant, et encore plus illusoire, était le projet de parvenir à une unité politique, en extirpant ces racines spirituelles qui lient les hommes à une destinée commune. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne approuvée par le Conseil Européen à Nice en décembre 2000, non seulement supprime toute référence aux racines religieuses de l’Europe, mais porte en elle une négation viscérale de l’ordre naturel chrétien. Son article 21, introduisant l’interdiction de toute discrimination relative aux « orientations sexuelles », contient, in nuce, la légalisation du délit d’homophobie et du pseudo-mariage homosexuel. 

Le projet de « Constitution », auquel travailla une Convention sur l’avenir de l’Europe en 2002-2003, fut rejeté par deux référendums populaires, en France le 29 mai 2005 et aux Pays-Bas, le 1er juin de la même année, mais les eurocrates ne s’avouèrent pas vaincus. Après deux ans de « réflexion », le 13 décembre 2007, le traité de Lisbonne, qui aurait dû être ratifié exclusivement par voie parlementaire, fut approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE. Le seul pays appelé à s’exprimer par voie de référendum, l’Irlande, rejeta le traité le 13 juin 2008, mais l’unanimité des Etats signataires étant nécessaire, un nouveau référendum fut imposé aux Irlandais, lequel, grâce à de très fortes pressions économiques et médiatiques donna finalement un résultat positif. 

Dans sa courte vie, l’Union européenne, incapable de définir une politique étrangère et de sécurité commune, s’est transformée en une tribune idéologique, qui produit des résolutions et des directives pour pousser les gouvernements nationaux à se débarrasser de la famille et des valeurs traditionnelles. Au sein de l’UE, la Grande-Bretagne a freiné pour ralentir le plan franco-allemand d’un « super-Etat européen », mais a en revanche appuyé sur l’accélérateur pour propager à l’échelle européenne, leurs « conquêtes civiles » de l’avortement à l’euthanasie, des adoptions homosexuelles aux manipulations génétiques. Cette dérive morale s’est accompagnée en Angleterre d’une ivresse multiculturelle, culminant, en mai 2016, par l’élection du premier maire musulman de Londres, Sadiq Khan. Mais déjà en 2009, le maire conservateur de l’époque, Boris Johnson, avait invité tous les Londoniens à participer, au moins pour un jour, au jeûne du Ramadan et à se rendre ensuite dans une mosquée au coucher du soleil. Plus récemment, le Premier ministre David Cameron, polémiquant avec le candidat à la présidence américaine Donald Trump, s’est qualifié de « proud of representing a country which is one of the most successful multi-racial, multi-faith, multi-ethnic countries in the world » (Huffpost Politics, 15 mai 2016). 

Le Brexit représente certainement un sursaut d’orgueil de la part d’un peuple qui a une longue histoire et une tradition ancienne. Mais l’identité et la liberté d’un peuple se fondent sur le respect de la loi divine et naturelle, et aucun geste politique ne peut rétablir la liberté qu’un Pays perd à cause de sa propre déchéance morale. Le non à l’Union européenne a été la protestation contre l’arrogance d’une oligarchie qui prétend décider, sans le peuple et contre le peuple, quels sont les intérêts du peuple. Mais les pouvoirs forts qui imposent les règles bureaucratiques de Bruxelles sont les mêmes qui défont les règles morales de l’Occident. Qui accepte la dictature LGBT perd le droit de réclamer son propre Independance Day, parce qu’il a déjà renoncé à sa propre identité. Qui renonce à défendre les frontières morales d’une nation perd le droit de défendre ses frontières, parce qu’il a déjà accepté la conception « liquide » de la société globale. Sous cet aspect, l’itinéraire d’auto-dissolution de la Grande-Bretagne suit une dynamique que le Brexit ne peut arrêter et dont il peut au contraire constituer une étape supplémentaire.

L’Ecosse menace déjà de lancer un nouveau référendum pour quitter le Royaume-Uni, suivie par l’Irlande du Nord. En outre, quand la Reine, qui a 90 ans, quittera le trône, il n’est pas exclu que certains pays du Commonwealth déclarent leur indépendance. Certains disent que la reine Elisabeth a été couronnée impératrice du British Empire et mourra peut-être à la tête d’une Little England. Mais cet itinéraire de désunion politique a pour résultat final la républicanisation de l’Angleterre. 

2017 marquera le troisième centenaire de la fondation de la Grande Loge de Londres,  mère de la Franc-Maçonnerie moderne. Mais la Franc-Maçonnerie, qui aux XVIIIème et XIXème siècles se servit de l’Angleterre protestante et déiste pour répandre dans le monde son programme révolutionnaire, semble aujourd’hui déterminée à faire tomber la monarchie britannique, dans laquelle elle voit l’un des derniers symboles encore survivant de l’ordre médiéval. 

Après le Brexit, des scénarios de désintégration peuvent s’ouvrir en Grèce, suite à l’explosion de la crise économique et sociale; en France, dont les banlieues sont menacées par une guerre civile djihadiste; en Italie, du fait des conséquences d’une invasion migratoire imparable; en Europe de l’Est, où Poutine est prêt à profiter de la faiblesse des institutions européennes pour prendre le contrôle du territoire oriental de l’Ukraine et exercer sa pression militaire sur les États baltes. 

Le général britannique Alexander Richard Shirreff, ancien commandant adjoint de l’OTAN de 2011 à 2014, a prévu, sous la forme d’un roman (2017 War with Russia. An Urgent Warning From Senior Military Command, Coronet, London 2016), l’explosion d’une guerre nucléaire entre la Russie et l’Occident en mai 2017, une date qui rappelle quelque chose aux catholiques. Comment oublier, en ce premier centenaire de Fatima, les paroles de la Vierge Marie, selon lesquelles de nombreuses nations seront anéanties et la Russie sera l’instrument dont Dieu se servira pour punir l’humanité impénitente ? 

Face à ces perspectives, les partis conservateurs européens sont eux-mêmes divisés. Si Marine Le Pen en France, Geert Wilders en Hollande et Matteo Salvini en Italie, demandent la sortie de leur pays de l’Union européenne et font confiance à Poutine, bien différentes sont les positions du Premier ministre hongrois Viktor Orban et du leader polonais Jaroslaw Kaczynski, qui voient dans l’UE et l’OTAN une barrière contre l’expansionnisme russe. 

En 1917, parut Le déclin de l’Occident (Der Untergang des Abendlandes) d’Oswald Spengler (1880-1936). Cent ans plus tard, la prophétie de l’écrivain allemand semble être sur le point de se réaliser. 

« Occident », avant d’être un espace géographique, est le nom d’une civilisation. Cette civilisation est la civilisation chrétienne, héritière de la culture classique gréco-romaine qui de l’Europe s’est étendue aux Amériques et aux ramifications lointaines d’Asie et d’Afrique. Elle eut son baptême la nuit du songe de Saint-Paul, quand Dieu donna l’ordre à l’apôtre de tourner le dos à l’Asie pour « passer en Macédoine » annoncer la bonne nouvelle (Actes XVI, 6-10). 

Rome fut le lieu du martyre des saints Pierre et Paul et le centre de la civilisation qui naissait. Spengler, convaincu de l’inexorable déclin de l’Occident, rappelle une phrase de Sénèque: Ducunt volentem fata, nolentem trahunt (« Le destin guide ceux qui veulent être guidés, et entraîne ceux qui ne veulent pas »). Mais à la vision relativiste et déterministe de Spengler, nous opposons celle de saint Augustin qui, tandis que les barbares assiégeaient Hippone, annonçait la victoire de la Cité de Dieu dans l’histoire, toujours guidée par la Providence divine. 

L’homme est l’artisan de son propre destin et avec l’aide de Dieu, le déclin d’une civilisation peut se transformer en l’aube d’une résurrection. Les nations sont mortelles, mais Dieu ne meurt pas, et l’Église ne connaît pas de crépuscule."