Pourquoi nous ne sommes pas Charlie
Article rédigé par Yves Meaudre, le 14 janvier 2015 Pourquoi nous ne sommes pas Charlie

Il y a comme une gigantesque méprise dans les multiples conceptions de la liberté qui se sont exprimées lors de la "marche républicaine" du 11 janvier. Dans ses gènes, le radicalisme de l'athéisme militant est un appel à la violence. La liberté ne peut grandir que dans la paix, la paix est impossible sans le respect des consciences.
 

LE CRIME EST ODIEUX. Il n’est pas odieux seulement comme crime contre la liberté, il est odieux parce que des innocents ont été massacrés de façon lâche et ignoble. Ce n’est pas un principe qu’on défend, ce sont des êtres de chair et de sang qui ne sont plus là pour ceux qui les aiment. Jeannette Bougrab l’a dit avec une rare dignité et une justesse émouvante. Aborder cet assassinat par la souffrance des hommes et des femmes terrassés par un deuil injuste évite de donner prise à la formidable mise en scène orchestrée par la classe politique dont la responsabilité est écrasante.

Le crime frappe une société fondée sur le principe même de la liberté, fruit d’une culture qui refuse de confondre Dieu et César. Le catholicisme, par la distinction des domaines temporels et spirituels, a structuré la société civile de notre civilisation. Dieu veut donner son amour pour les hommes et parce que c’est une condition même d’aimer, il lui donne la liberté. L’homme est libre de le refuser ou de se donner. Le “non” à Dieu de ces journalistes jusqu’à l’absurde est une conséquence de la liberté voulue par le Créateur.

Libre devant Dieu

Cette simple vision de Dieu est le fondement même des sources de notre nation. Celle-ci possède ce principe jusqu’à sa contradiction en rendant totalitaire ce droit que le Créateur donne à sa créature. Ce qui est évidemment à des années lumières de toute idéologie qui définit ce que doit penser l’homme, qu’il soit musulman ou républicain. L’homme est libre devant Dieu et cela depuis la Genèse. On comprend le désarroi des athées qui ne comprennent plus rien des conséquences de leurs actes. Ils refusent Dieu et l’insultent dans le même temps où ils lui font procès de ne pas intervenir dans les drames où ils se fourrent ! Si Dieu existait, cela ne se serait pas passé… affirment-ils.

Lors de la « Marche républicaine » à la mémoire des victimes, ce vide métaphysique était prégnant. On défilait beaucoup au nom d’un principe ignorant l’exigeante grandeur de l’homme. La déesse Liberté était une énorme auberge espagnole dont les plus habiles ont kidnappé le sens.

Mais mettre en cause l’absence de culture de nos compatriotes ainsi que la confusion des réactions conditionnées par l’émotion et, comme l’a fort bien dit un journaliste de LCI, par « la remarquable mise en scène de l’événement par la communauté politique », ne suffit pas.

Il est stupéfiant que le drapeau fût mis en berne pour ceux qui crachaient dessus, qu’ont fît sonner le glas à Notre-Dame pour ceux qui se réclamaient d’un athéisme rageur, et que cinquante chefs d’État soient venu solennellement rendre hommage à ceux qui conspuaient les hommes politiques sans vergogne. Quelle extraordinaire ironie !

« Achevez les handicapés »

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La population choquée ne peut pas comprendre ou ne veut pas comprendre que l’humour de la haine appelant à « achever les handicapés, étrangler les curés, fusiller les militaires, écrabouiller les policiers » (policiers qui donneront leur vie aux rédacteurs) de ce numéro de Noël mémorable de Charlie Hebdo est en lien direct avec l’appel de certains musulmans à tuer ceux qui ridiculisent leur Prophète.

Lorsqu’il y a tout juste un an, le Premier ministre Valls désigne le « danger à combattre » « de l'ultra-droite catholique » lors des débats sur l'avortement ou le mariage homosexuel [1], indifféremment mêlés aux intégristes musulmans, on comprend que la laïcité, principe hérité de l’Église, participe ici de l’athéisme d’État. C’est-à-dire la forme intégriste de la laïcité. N’enlève-t-il pas ainsi à la nation française sa capacité de réponse à la menace dont on vient de découvrir le prix sanglant ? Ne rentre-t-il pas dans une logique sectaire qui menace la liberté de croire ?

Les banlieues ont été dressées depuis des décennies dans la haine de notre civilisation chrétienne au nom de la détestation de notre histoire et de notre identité par ceux là-mêmes qui s’indignent de la haine des enfants contre « les principes républicains ». Le ministre de l’Intérieur Cazeneuve ne craignait-il pas d’affirmer en 2012 qu’« évoquer les racines chrétiennes de la France, c’est faire une relecture historique frelatée qui a rendu la France nauséeuse » ? Et c’est le même qui trouvait sur RTL, le 214 août dernier, que « ce n’est pas un délit de prôner le djihad ». On ne peut pas aller plus loin dans l’incohérence mentale. Quant au philosophe dont François Hollande fit un ministre de l’Education nationale, il prétendait qu’« on ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique », ce que Charlie ne peut qu’apprécier.

Une liberté à géométrie variable

Tacite refusait de plaindre les personnes qui maudissaient les effets dont ils chérissaient les causes. Et si écrire cette vérité leur est aujourd’hui un affront, c’est bien la preuve que la liberté est à géométrie variable dans ces consciences confuses. C’est bien ces contradictions dont l’incohérence est massive que relève le rappeur Abdallah, y compris dans ses propres excès : le respect des convictions intimes, même si elles sont religieuses, font partie du principe même de la liberté.

Il faut lire ce qu’écrit avec pertinence ce fameux rappeur lorsqu’il explique pourquoi la violence des mots appelle la violence des actes. Il ne justifie pas ce qu’il condamne comme odieux mais il explique avec une hauteur de vue qui surprend. En réponse, l’équipe de Charlie Hebdo affirme qu’elle va encore publier des caricatures du Prophète pour prouver qu’elle ne cède pas… On fait monter les rages à leur maximum pour rendre inéluctable la guerre à outrance. Un ministre d’Amérique latine m’expliquait lors d’une menace de conflit, qu’il lui avait fallu contenir la violence des foules. Il fallait que l’État garde la liberté de choisir la paix ou la guerre, car si le pays était chauffé à blanc, il n’aurait plus eu de marge de manœuvre face à la puissance d’une foule exaspérée.  

Gigantesque méprise

Il y a comme une gigantesque méprise dans les multiples conceptions de la liberté qui se sont exprimées ces derniers jours ; l’un considère qu’elle est sans limite et que l’insulte et le désir de salir en sont les suprêmes expressions, l’autre qu’elle doit être tempérée par le respect de l’intime religieux des personnes (Abdallah). Il me semble plus que jamais que le chrétien, comme en témoignent les papes, sont en première ligne pour appeler à la paix.

Le chrétien pense que la liberté ne peut pas s’exprimer par l’insulte et le mépris de l’autre, mais il a vu que son Dieu accepte d’aimer l’homme jusqu’à se faire crucifier par lui… ce que ne peut pas comprendre le disciple de Mahomet.

Dieu-Amour infiniment respectueux ne s’impose jamais au risque de laisser l’homme assumer complètement sa revendication d’autonomie par rapport à lui-même. Ce principe inscrit dans nos gènes chrétiens n’est pas compris par l’islam qui impose la soumission du croyant à son Dieu où la notion même d’amour est absente, comme il n’est pas compris par l’athéisme qui ignore tout amour en revendiquant une puissance sans limite pour l’homme, une toute puissance qui assume l’insulte à Dieu et à ses pauvres.

La bêtise de l’athéisme insolent

Ne pas croire dans l’islam pas plus que dans le bouddhisme, le shintoïsme ou le christianisme est un droit que défend l’Église dans Pacem in terris. Mais insulter ce qui est le plus intime à des millions de croyants est une agression inutile et source de violences. On peut combattre par l’intelligence et le raisonnement ce qui choque notre conscience intime, on ne moque pas en amalgamant sans discernement ce qui est au plus cher au cœur d’un croyant aux dérives dont lui-même est victime. On peut faire la guerre comme elle a été faite pour protéger des populations terrorisées ou des assassins mais insulter le fait religieux par défi est très bête. C’est mal connaître le cœur humain et ici, le cœur d’innombrables honnêtes musulmans « qui ont une conscience droite », que de les obliger à se soumettre à l’athéisme insolent (Pacem in Terris).

Ces journalistes de Charlie Hebdo sont-ils morts martyrs de leur conviction ou pour une cause dont eux-mêmes ne cernaient pas la réalité ? Un des leurs survivants, Jean-Baptiste Thoret, responsable de la culture du journal ne disait-il pas lui-même que cette génération âgée était naïve et ne comprenait pas l’époque où nous vivions car ils s’étaient arrêtés en 1968 ? Sont-ils comme les héros des Justes de Camus, morts pour la glorification du nihilisme, c’est-à-dire au sens propre du terme pour rien ou pour la seule liberté d’insulter et de blesser ce qui n’était pas eux ?

Revendiquaient-ils une condamnation de l’islam en soi ou de toute forme dérivée d’une interprétation du Coran qui asservit les femmes, massacre les chrétiens et menace l’humanité comme ils auraient pu condamner la République en la résumant aux massacres de Carrier à Nantes, aux fusillades de Lyon ou au génocide vendéen ? La laïcité est-elle l’héritière de son intégrisme qui appelle à la mort ceux qui refuse de penser comme elle : « Il n’y a pas de liberté aux ennemis de la liberté » ?

L’appel « à l’achèvement des handicapés » a-t-il son parallèle dans cet islamisme qui réclame la mort des incroyants et qui aujourd’hui a trouvé ses exécuteurs de basses œuvres ? C’est là où je pose la question de la cohérence de leur courage et du sens de « leur martyre ». Car enfin, leur fin tragique a-t-elle autant de sens que celle de ceux qui étaient juifs, mes frères morts en raison même de la négation de leur humanité ?

L’esprit de Charlie ou l’esprit d’Assise

Non, « nous ne sommes pas Charlie » et nous le réclamons au nom même de cette liberté dont chacun se revendique la main sur le cœur. Nous nous sentons solidaires de ces « frères contraires » dans leur souffrance et celle de leur famille. Non pour leur droit à insulter. Nous ne comprenions pas leur cheminement intellectuel que nous jugions absurde et méchant, même s’ils restent des frères.  

Pourquoi ? Notre réponse est une réponse fondée sur la seule intelligence de l’Amour, du désir ardent de leur faire connaître qu’ils valaient autrement plus que leurs violences verbales conscientes ou superficielles qui nous blessaient. Nous aurions tant voulu leur dire que la solution à la violence n’est pas l’appel à la violence surtout contre les plus démunis et les plus innocents (les handicapés). La violence se nourrit de la violence, la haine antisociale (les policiers, les soldats, les musulmans, les curés… dans un amalgame absurde) est une impasse suicidaire. Elle l’a été.

La provocation ne pousse qu’à jeter les communautés les unes contre les autres alors qu’il faut en appeler à l’esprit d’Assise. Je veux bien combattre pour ma patrie mais sûrement pas pour le droit d’insulter les faibles, les innocents et les croyants.

Il nous reste la prière pour que face au Dieu d’amour qui a dû submerger les journalistes de Charlie, ils aient pu répondre : « À travers nos cris, nous te cherchions à l’envers mais nous te cherchions ».

Yves Meaudre

 

Pour triste mémoire :

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[1] Le 22 janvier 2014, devant les députés socialistes à l’Assemblée nationale.