La tentation chimérique du transhumanisme
Article rédigé par Jean-Michel Castaing, le 21 février 2014 La tentation chimérique du transhumanisme

Une tentation taraude certains cercles de pensée : dépasser l'homme. Tel est le projet du "transhumanisme" : franchir les limites de l'homme, son corps, son intelligence, puis sa pensée, sa morale, sa religion…

L’IDEOLOGIE du transhumanisme désire se servir de tous les moyens technologiques et scientifiques à notre disposition afin d'augmenter les capacités de l'homme. À cette fin, le transhumanisme milite pour la maîtrise et l'utilisation de la robotique, de l'informatique, des moteurs de recherche, de l'intelligence artificielle, des nanobiotechnologies, du séquençage ADN, de la bio-ingénierie, de la cognitique.

Un projet inscrit dans l'ADN du nihilisme

Ce n'est pas là un scénario de film de science-fiction. Ainsi on vient d'apprendre que Ray Kurzweil, le « pape » de cette idéologie, a été nommé ingénieur en chef du moteur de recherche chez Google. Dans un entretien accordé au JDD, l’expert en technologies du futur Laurent Alexandre, explique :

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« Google est certainement l’une des entreprises les plus fascinantes de ce début de siècle. L'objectif des dirigeants de Google est de transformer leur moteur de recherche en intelligence artificielle. Progressivement ils s'en rapprochent. En fait, personne ne l'a vu venir, ni les utilisateurs quotidiens du moteur de recherche, ni ses concurrents. Il a fallu du temps pour que la stratégie des dirigeants de Google soit comprise. Je suis bluffé par la vitesse à laquelle cette société contrôle les industries clés du XXIe siècle. »

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Des chercheurs prévoient qu'autour de 2040, des machines apparaîtront qui dépasseront en intelligence les capacités du cerveau humain. La tentation sera encore plus grande pour l'homme de vouloir suivre le train en « s'augmentant » par tous les moyens possibles.

D'un autre côté, la surenchère dans la performance comme marque distinctive du nihilisme ne pouvait pas ne pas prendre comme terrain d'application l'homme lui-même. Il était inéluctable en effet que l'homme allait devenir un objet parmi d'autres dans ce désir d'optimisation des performances tous azimuts.

Pour aboutir à quoi ? À faire plus ? Plus d'Homme, ou plus d'hommes : soit qu'on prenne l'expression dans le sens de sa disparition, soit dans celui du dépassement de sa condition humaine. Pourquoi s'en priverait-il d' ailleurs, quand les techno-sciences lui donnent les moyens de réaliser son rêve fou ?

Le nihilisme, ayant fait table rase du passé, et s'étant rendu le présent invivable, ne possède plus comme seule ressource afin de persévérer dans l'être, que la projection dans l'avenir. Or cette fuite en avant ne peut tirer sa légitimité que d'un plus de performance. Ayant épuisé les ressources de la planète, ce plus va opérer une reconversion en se penchant sur un autre domaine d'application. Celui-ci ne concernera plus le monde extérieur à l'homme, mais l'homme lui-même.

Même si cette idéologie présente son projet sous des dehors alléchants, comme par exemple l'utopie de lutter contre la mort, il vaut la peine de se pencher sur ses présupposés. Ces derniers traduisent tout le désarroi anthropologique de notre monde contemporain. Serions-nous fatigués de nous-mêmes ? Voudrions-nous nous fuir ? Dans quelle direction ? Et que « dépasser » dans l'homme ?

La course aux chimères

D'abord le corps. Selon cette nouvelle gnose il faut dépasser le corps, ce complexe d'organes et de viscères qui, dans sa réalité crue, rappelle trop inopportunément à l'homme d'aujourd'hui le rien sur lequel il estime être bâti. Cette faiblesse, ce signe de finitude et de mort, il y a moyen de le conjurer. Non plus, comme Faust, en pactisant avec l'ange ténébreux, mais plus simplement avec le mirage de la technique.

Muni de son barda techno-scientifique, le mutant transhumaniste va ainsi entreprendre de se rendre le plus performant possible, de gommer tout ce qui en lui relève encore de la faiblesse, de l'involontaire. Par exemple l'enfant à naître ne sera plus le fruit d'une union charnelle mais le résultat d'une technique. Non pas l'heureux couronnement d'un désir mystérieux, mais le succédané d'un projet conçu a priori. Le mystère cède la place à la planification. Le corps se technicise. Toutefois sous couvert de l'optimisation des capacités, un regard perspicace entend dans ce projet la petite musique du dégoût que le corps lui inspire.

« Pensez rationnellement, nous nous chargeons du reste ! »

Après le corps, l'esprit va devenir l'objet de tous les soins de cette volonté de dépasser l'humain. Il s'agit de le rendre le plus logique et rationnel possible. Cependant comme l'homme est assez rétif de ce côté-là, et qu'il n'est pas très raisonnable de vouloir l'être trop (ainsi que Pascal l'avait bien vu), les apprentis sorciers du transhumanisme se heurteront à des résistances du côté de sapiens sapiens. Pour se rassurer, ils mettront ces obstacles sur le compte des traditions ou des religions, ce qui les confortera dans leur choix initial de les avoir abandonnées pour leurs chimères.

Vais-je devoir aimer ma femme « rationnellement » ? Devrais-je avoir avec elle le même rapport qu'avec le meilleur produit de la gamme proposé par le supermarché du coin ? Le choix de l'épouse idéale sera-t-il analogue à la fonction d'achat que les experts en marketing se chargent d'étudier, d'influencer et de manipuler lorsqu'il s'agit de produits de consommation courante ?

Plus généralement, nos cerveaux seront-ils augmentés à l'avenir de microprocesseurs ? Dans quel but ? Afin de mettre en sourdine l'angoisse liée au mystère de l'existence ? De nous empêcher de nous poser des questions sur les fins dernières ?

« Rationaliser » notre esprit équivaudrait à la longue à chloroformer la pensée en l'empêchant de se confronter aux interrogations métaphysiques. Un tel programme ne rendra pas l'homme plus sage, comme on peut s'en douter. Il existe même de fortes probabilités qu'il régresse ainsi vers davantage d'animalité. Qui veut faire l'ange fait la bête.

La morale de l'athée

Le projet de dépasser l'homme requiert aussi une nouvelle morale. Aucune idéologie ne peut faire l'impasse sur l'étude de ce qu'il faut faire ou éviter de faire. Toute la question est de savoir si celle du transhumanisme sera originale. Il y a fort à parier que non.

Les raisons en sont simples. L'individu de la postmodernité se rêve comme le « dernier homme » : dans son esprit, cette expression n'a pas la connotation péjorative que lui a donnée Nietzsche. Elle désigne au contraire le stade le plus avancé de l'hominisation qu'il pense avoir atteint. Le dernier homme est en effet sincèrement persuadé d'être arrivé au faîte de l'évolution de l'humanité.

Cette haute estime de soi (qui n'est pas contradictoire avec le mépris qu'il s'inspire à lui-même, sinon pourquoi voudrait-il se « dépasser » en direction du « transhumain » ?) va se faire l'auxiliaire du rejet de toute morale traditionnelle.

Ce que les hommes de toujours ont adoré, porté au pinacle, le dernier homme, dans sa supposée « supériorité », va le vilipender, le discréditer afin d'avoir les mains libres pour ses projets transgressifs.

La morale du transhumanisme se propose de rejeter dans les ténèbres extérieures tout ce qui ne va pas dans son sens, à commencer par les croyances traditionnelles en l'existence d'un Bien objectif dont il ne serait pas à l'origine. Ce Bien, censé préserver en l'homme la marque de la divinité, sera voué aux gémonies comme « puissance conservatrice », signe d'aliénation « obscurantiste », refus rétrograde et maladif de la « modernité ».   

Loin de représenter une réponse intelligente et sensée à la question : « Que dois-je faire ? », la morale, dans l'optique du transhumanisme, est reconvertie en arme de guerre. Elle est pervertie, c'est-à-dire détournée de sa fin véritable. Dans l'esprit de cette idéologie suicidaire, la morale n'a pas à proposer un travail de soi sur soi à ses adeptes. Elle est plutôt instituée afin de légitimer sa prétention à porter la main sur le mystère de la personne humaine, se donner bonne conscience en commettant ce sacrilège.

La préoccupation « morale » du transhumanisme s'apparente davantage à la délivrance d'un sauf-conduit qu'à une réflexion désintéressée sur l'éthique de la science.

En finir avec l'homme

Après le corps, l'esprit et la morale, quel terrain d'expérimentation à sa déconstruction reste-t-il au transhumanisme pour en finir avec l'homme et justifier son « dépassement » ? Il faut encore faire descendre celui-ci du piédestal sur lequel l'a hissé la religion en en faisant un fils de Dieu, créé à son image et ressemblance. Dans l'esprit de cette idéologie s'impose le devoir d'en finir avec le privilège que le christianisme accorde à ce prétentieux et hypocrite bipède.

Le transhumaniste a bien compris en effet que la foi chrétienne était le principal obstacle à ses desseins. En discréditant les prises de position du Magistère en matière de moeurs, notre nihiliste fait coup double. Non seulement il se débarrasse d'un concurrent, mais de plus il entérine la soumission de l'homme à l'ordre biologique, ce qui lui permettra de lui présenter son offre sous un jour plus alléchant encore. « D'accord, vous n'êtes qu'une masse de nerfs et d'os, promis à la mort ! Mais patience ! Je vous promets de faire reculer pour de bon l'issue fatale ! Et pourquoi pas vous offrir l'immortalité, l'élixir de jouvence ? »

On comprend pourquoi le transhumanisme désire éloigner la religion le plus possible de ses cabinets, de ses cornues : la sagesse immémoriale de cette dernière aura tôt fait de démasquer l'imposture de son projet. Le haut degré de crédulité que celui-ci demande de la part de ses victimes potentielles s'accorde mal avec la foi en un Dieu unique.

De source sûre, la foi chrétienne est en effet assurée que Dieu tient l'humanité en une si haute estime que son Fils unique s'est fait homme lui-même ! Pour les chrétiens, l'homme n'est donc pas une affaire à « dépasser », une chose indigne devant laquelle nous devrions nous voiler la face, encore moins une machine pas assez performante qu'il faudrait « augmenter » ! De mauvais clients pour le transhumanisme, ces chrétiens…

 

Jean-Michel Castaing est essayiste. Il vient de faire paraître 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).

 

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