Notre ministre de la Défense l'a reconnu : ce sont des chasseurs français qui ont attaqué le convoi dans lequel Mouammar Kadhafi et son fils Moutassim s'échappaient de Syrte le 20 octobre. Les résolutions 1970 et 1973 de l'Onu n'autorisant l'intervention militaire que pour protéger des populations, l'attaque de fuyards est une violation flagrante du droit international comme l'étaient déjà, à vrai dire, les bombardements appuyant les rebelles. En outre, l'affirmation de l'Otan prétendant que les attaquants ignoraient l'identité des fuyards est une farce.  Y'a un loup !  aurait dit la grand-mère de Martine Aubry. Et ce loup a été débusqué par un canard.

Dans son édition du 26 octobre, Le Canard enchaîné fournit des détails trop précis pour être inventés sur le pistage du dictateur libyen par des drones américains Predator et sur la chasse entreprise au sol par des commandos américains et français. L'objectif était de  traiter  Kadhafi et les siens, en clair de les éliminer. Le 20 octobre à 8h30 du matin, un drone américain et deux Mirage attaquent la colonne de 75 véhicules fuyant Syrte à toute allure. Des bombes guidées au laser détruisent 21 véhicules. Kadhafi est blessé. Les vidéos prises ensuite par des téléphones portables ne laissent aucun doute sur le fait que lui-même et son fils ont été pris vivants puis froidement abattus. Cette  exécution extrajudiciaire  vaut aujourd'hui à l'Otan une plainte en justice de la famille de Kadhafi. Un léger inconvénient au regard des révélations très gênantes sur les relations nouées naguère avec les Américains et les Européens  que n'auraient pas manqué de produire Kadhafi et les siens devant la Cour pénale internationale.

Il n'empêche que le trouble est déjà bien présent dans l'opinion publique occidentale à cause du tour que prend la Nouvelle Libye, comme d'ailleurs ses grands voisins, la Tunisie et l'Egypte. Dès le surlendemain de la mort du dictateur libyen, le président du CNT (Centre national de transition), Moustapha Abdeljalil, a douché l'enthousiasme de beaucoup d'Occidentaux par cette déclaration :  Toute loi qui violera la charia sera nulle et non avenue .  Rallié à la révolution, cet ancien ministre de la justice de Kadhafi ne manque pas une occasion de donner des gages aux islamistes et notamment à l'homme fort de Tripoli, Abdelhakim Belhaj (fondateur du GIC, le groupe libyen d'anciens combattants en Afghanistan, celui-ci s'est autoproclamé gouverneur militaire de Tripoli). Certes, le président du CNT avait déjà annoncé à deux reprises au cours de l'été que le gouvernement provisoire aurait pour fondement la loi islamique, mais on avait préféré ne pas y prêter trop d'attention, l'interprétation de la charia étant à géométrie variable. Cette fois l'opinion publique occidentale a sursauté à cause de deux exemples choisis par Moustapha Abdeljalil pour viser des lois de l'ancien régime libyen supposées contraires à la charia : la loi qui restreignait l'usage de la polygamie (notamment en exigeant le consentement de la première épouse) et celle qui autorisait le divorce. La présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, Souhayr Belhassen, n'a pas caché son inquiétude :  Les Libyens et les Libyennes doivent faire preuve de vigilance. Il n'y a pas eu des milliers de morts pour qu'aujourd'hui il y ait un retour en arrière à l'iranienne. Si la France et l'Union européenne ont mollement appelé au respect des droits de l'homme et à une vigilance particulière sur la condition qui sera faite aux femmes, en Libye même, peu de personnes ont eu la volonté ou le courage de s'élever contre ce durcissement annoncé de la charia. Citons comme une exception ce commentaire d'Abdelrahman Al-Chater, un des fondateurs du Parti de la solidarité nationale (centre-droite) : L'annulation de la loi sur le mariage, ferait perdre notamment à la femme le droit de garder la maison familiale en cas de divorce. C'est une catastrophe pour les femmes libyennes. 

Dans ces conditions, l'intervention militaire contre Kadhafi était-elle justifiée ? Rappelons que le mandat de l'ONU fondant l'intervention de l'OTAN était de protéger les habitants de Benghazi menacés d'un bain de sang par les troupes de Kadhafi au début de la guerre civile. Il s'agissait donc strictement d'une   ingérence humanitaire , ce qui rangeait l'intervention armée de la coalition occidentale en Libye dans un cadre jugé légitime, y compris par les autorités de l'Église très regardantes sur les conditions d'une  guerre juste . Jean-Paul II avait réclamé une intervention semblable en faveur de la Bosnie et du Kosovo puis -en vain, hélas- en faveur du Rwanda alors que s'y profilait le génocide. Ce  principe de la responsabilité de protéger  des populations menacées a été solennellement réaffirmé par Benoît XVI dans le discours qu'il a prononcé à New-York, aux Nations Unies, le 18 avril 2008.

Toutefois, dans le cas de la Libye, il est vite apparu que la coalition occidentale ne se bornait pas à protéger des civils mais s'engageait clairement du côté des rebelles en visant la chute de Kadhafi  -et même sa mort. Resté à Tripoli pendant les bombardements de l'Otan, le vicaire apostolique Mgr Giovanni Innocenzo Martinelli avait fermement condamné  les prétendus raids humanitaires  qui faisaient des victimes civiles.  Ce ne sont pas les bombes qui peuvent nous donner la paix , avait-il déclaré, le 22 mars, dans une interview à Radio Vatican.

Tout en adoptant une réserve diplomatique, le Saint-Siège a multiplié sans succès les appels à une négociation entre les belligérants. Si Benoît XVI ne s'est jamais prononcé explicitement sur la légitimité de l'intervention, il a exprimé  sa vive inquiétude  et  sa grande appréhension  devant le cours que prenaient les évènements en Libye (Angélus du 20 mars 2011). Après la mort du colonel, le Saint-Siège a reconnu le Conseil national de transition (CNT) comme représentant légitime du peuple libyen,  conformément au droit international . Sa note officielle salue la fin d'un conflit sanglant et d' un  régime dur et oppressif , tout en mettant en garde contre  de nouvelles violences dictées par un esprit de vengeance  et en appelant les nouveaux dirigeants à  entreprendre au plus vite la pacification et la reconstruction du pays fondées sur la justice et le droit ,  avec l'aide de la communauté internationale. De son côté le cardinal Turkson, président du Conseil pontifical Justice et paix, a souligné qu'il ne suffisait pas de se libérer d'un homme, mais qu'il fallait que tous aient la liberté, en Libye comme dans les autres pays concernés par le printemps arabe . Un printemps déjà assombri chez les deux grands voisins de la Libye par le massacre de coptes par l'armée égyptienne, et par la victoire électorale du parti islamiste Ennahada en Tunisie.

 

Sources : Le Canard enchaîné, Radio Vatican, l'Osservatore Romano, Fides/InfoCatólica, Romandie News, Jeuneafrique.com, lemonde.fr

 

 

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