Le premier bébé-médicament espagnol a été salué par les médias comme un progrès, quand il s'agit d'une transgression scientifiquement inutile. En France, contrairement à ce que beaucoup croient, la pratique est autorisée.

REUSSIR un enfant sur mesure dans le seul but d'en guérir un autre, tous les ingrédients de l'emballement émotionnel étaient réunis pour provoquer l'enthousiasme de nombreux médias européens à l'occasion de la naissance du premier bébé-médicament en Espagne, le 12 octobre dernier [1]. Javier est né à Séville après une sélection embryonnaire rigoureuse pour soigner son grand frère atteint d'une béta-thalassémie, une maladie sanguine fréquente autour du bassin méditerranéen.

La pratique du bébé-médicament repose sur la mise en œuvre d'une assistance médicale à la procréation classique destinée à créer in vitro un maximum d'embryons. Elle est suivie d'un diagnostic préimplantatoire en deux temps, afin non seulement de rejeter ceux qui sont porteurs de la maladie mais également de trier parmi les embryons sains ceux qui seraient compatibles génétiquement avec l'aîné malade. S'il satisfait la totalité de ces critères eugéniques, l'un d'eux, considéré comme un bon donneur , est réimplanté chez la mère dans l'espoir de récolter à la naissance le sang placentaire qui sera administré à l'enfant malade.

Javier n'est pas le premier bébé-médicament dans le monde : Adam Nash est le plus célèbre d'entre eux, né aux États-Unis le 29 août 2000 [2]. Sur le vieux continent, c'est la Belgique qui détient la palme avec les deux premiers bébés-médicaments européens nés en janvier 2005.

En France également
Peu savent que la France s'est dotée de la même procédure. Initialement prévue par la loi de bioéthique du 6 août 2004, c'est la publication discrète et pour tout dire passée inaperçue du décret d'État du 22 décembre 2006 qui en règle les dispositions. Le socle juridique de cette mesure consiste en une dérogation à l'article L. 2131-4 du Code de la santé publique arrêtant la pratique du DPI. Il faut pour cela que les conditions suivantes soient réunies : le couple doit avoir donné naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic et le pronostic vital de cet enfant peut être amélioré de façon décisive par l'application d'une thérapeutique ne portant pas atteinte à l'intégrité du corps de l'enfant né de ce transfert in utero de l'embryon sélectionné par DPI.

Le législateur prévoit une sorte de doublement du test du DPI : le premier, négatif, vise à éliminer les embryons malades, le second, positif, est un test de compatibilité HLA. À ce titre, l'Agence de biomédecine, qui a une fois de plus tout pouvoir pour délivrer les autorisations, a forgé le terme de DPI-HLA. On apprend d'ailleurs dans son dernier rapport qu' entre juillet 2007 et juin 2008, sept demandes ont été faites à l'Agence qui en a autorisé cinq. Depuis, deux tentatives de FIV ont été menées chez l'un des cinq couples. Elles n'ont pas encore permis de grossesse [3] . Il s'en est fallu de peu pour que le premier bébé-médicament français double sur la ligne celui qui est né en Espagne.

Destruction embryonnaire à titre expérimental
Une pratique qui laisse sans voix si l'on met bout à bout les transgressions morales qu'elle implique. Au point d'ailleurs que le décret dispose que cette forme de DPI soit menée à titre expérimental . En effet, la destruction embryonnaire est prévue dès l'initiation du processus : elle est donc programmée. Les parents, et l'équipe qui les assiste, savent en toute connaissance de cause qu'ils ne garderont pas les embryons inutiles. Dans une assistance médicale à la procréation classique, les embryons sont théoriquement conçus, au moins dans un premier temps, à des fins procréatives.

Dans le cas qui nous intéresse, impossible de se voiler la face : l'équipe des biologistes de la reproduction sait que statistiquement le gâchis sera lourd avant d'obtenir l'embryon voulu. Les spécialistes estiment qu'il faut en sacrifier pas moins de 15 pour espérer aboutir à un enfant sain et immunocompatible. Ne faisant par définition l'objet d'aucun projet parental, ceux qui sont rejetés, malades ou non, n'ont d'autre alternative que d'être livrés à la recherche à moins que les parents ne souhaitent leur destruction. Si la technique ne permet pas de se procurer l'embryon susceptible de soigner le frère ou la sœur malade, rien n'oblige en effet les parents à porter ceux qui ont été conçus pour rien . Bien au contraire, la loi française leur permet de revendiquer plusieurs cycles de fécondation in vitro jusqu'à ce qu'ils obtiennent satisfaction, et ce quel que soit l'importance du stock d'embryons générés. La destruction programmée des embryons est donc en outre massive.

Un utilitarisme poussé à l'extrême
D'autre part, la procréation humaine est totalement détournée au profit du projet de création d'un être humain dont la mission principale est d'être un médicament. Projet porteur d'une aliénation radicale de sa liberté puisque sa conception n'est voulue qu'en raison de ses potentialités thérapeutiques. Il n'a d'autre choix que d'endosser le statut de réservoir de cellules pour son aîné malade, soumis à un projet prédéterminé par autrui, en l'occurrence la société, le corps médical et ses propres parents. La science a toute latitude pour exploiter les produits de son corps à la fabrication duquel elle a en grande partie contribué. En cas d'échec, quel sera le poids de culpabilité que devra porter cet enfant venu au monde dans le seul but de sauver son frère malade ? L'utilitarisme est poussé ici à l'extrême, réduisant une personne humaine à un objet jugé à l'aune de son utilité technique. Le bébé-médicament n'est autre qu'un bébé-instrument.

Sur le plan scientifique, le raisonnement ne tient pas une seconde avec les dernières découvertes biomédicales. Vous avez remarqué que l'objet final de la manipulation embryonnaire est le sang placentaire, qu'on appelle aussi sang du cordon, considéré aujourd'hui à juste titre comme un tissu extrêmement riche en cellules souches. Dans un rapport de grande qualité qu'elle a rendu public le 4 novembre 2008 et adopté par la commission des Affaires sociales du Sénat [4], Marie-Thérèse Hermange rappelle en effet que la grande immaturité des cellules souches du sang de cordon optimise l'efficacité de leur greffe qui est en passe de supplanter dans de nombreux pays les greffons de moelle osseuse. Leur immunotolérance permet même de combiner plusieurs greffons de sang de cordon.

Mais surtout, le sénateur de Paris rappelle que dans le monde, tous les patients devant subir une greffe de sang de cordon trouvent un greffon compatible (p. 16), grâce à la mise en réseau des banques de stockage sur le plan international. Ainsi, les malades français qui en avaient besoin on pu en bénéficier bien que la France ait dû en importer 64% en 2007 [5]. Nul besoin de passer par la technique du bébé-médicament pour se procurer du sang de cordon HLA-compatible.

Autant dire que la pratique du bébé-médicament, si elle représente une aberration sur le plan éthique, est de plus sans aucun intérêt dans le champ médical. Le DPI-HLA est l'exemple type du dispositif qui pourrait être abrogé lors de la prochaine révision de la loi de bioéthique. Au vu des dernières données scientifiques, les parlementaires ne devraient pas avoir de difficultés à trouver un consensus pour convenir honnêtement de son inutilité foncière. La lecture du rapport de Marie-Thérèse Hermange devrait pour cela les y aider grandement.

[1] La plupart des arguments développés dans cet article ont été exposés dans L'Homme nouveau n. 1432 du 8 novembre 2008 ; Pierre-Olivier Arduin, "Bébé-médicament ou bébé-instrument ?", p. 3.
[2] Jean-Frédéric Poisson, Bioéthique, L'homme contre l'Homme ?, chapitre IV, "Mon médicament s'appelle Adam", Presses de la Renaissance, Paris, 2007, p. 87-118.
[3] Agence de biomédecine, Bilan d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, Rapport au ministre de la Santé, octobre 2008.
[4] Marie-Thérèse Hermange, Le sang de cordon : collecter pour chercher, soigner et guérir, Les Rapports du Sénat, n. 79, 2008-2009.
[5] Malgré le retard que la France accuse en ce domaine, déjà plus de 27% des greffes allogéniques pratiquées dans notre pays concerne le sang placentaire.

 

 

 

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