La loi " fin de vie " a été adoptée définitivement le mardi 12 avril 2005. Le Sénat l'ayant votée dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, le débat parlementaire est maintenant clos.

Ce texte est né de l'émotion suscitée par l'euthanasie de Vincent Humbert le 24 septembre 2003. Une mission parlementaire présidée par Jean Leonetti a réalisé un travail de grande qualité. Le débat aura permis de réaffirmer la dignité de la personne malade, l'exigence de soulager la douleur, le rôle essentiel des soins palliatifs et la nécessité d'en garantir l'accès à tous les malades qui en ont besoin, le droit du malade de refuser des traitements, le devoir du médecin de ne pas débuter des soins disproportionnés ou de les interrompre. Des pratiques injustes et pourtant régulièrement décelables dans notre système de santé (soins disproportionnés, non-écoute des patients, piqûre létale...) ont été clairement condamnées.

L'état de l'opinion et de la représentation nationale pouvaient nous faire craindre une dépénalisation explicite de l'euthanasie. Alors que la logique euthanasique pouvait apparaître comme inéluctable, le travail de cette mission aboutit finalement à une proposition de loi qui, fait remarquable, est acceptée à l'unanimité des participants à la mission. Le texte sera voté en première lecture à l'Assemblée nationale le 30 novembre dernier, avec quelques modifications mineures. Sans doute le pire a-t-il été évité.

Mais la loi votée en première lecture est loin d'être parfaite, elle souffre de graves ambiguïtés. Le point le plus sensible me semble concerner l'alimentation. L'exposé des motifs affirme en effet que l'alimentation est un traitement. Or le malade peut refuser " tout traitement " (article 3) et peut formuler ce refus par des " directives anticipées " qui s'appliqueront s'il est dans l'incapacité de s'exprimer. D'ailleurs, les débats ont montré que des parlementaires souhaitaient que des euthanasies, qu'ils ne nomment pas ainsi, puissent avoir lieu sur la base de cette loi. Pierre-Louis Fagniez (UMP) s'est référé aux protocoles d'arrêts simultanés d'hydratation et d'alimentation jugés "efficaces" dans l'État américain de l'Oregon : ils entraînent la mort progressive, sans douleur - affirme-t-on - surtout si on accompagne ce processus d'une sédation. Selon eux, le cas Humbert aurait pu être " traité " ainsi.

L'actualité récente, avec la mort de Terri Schiavo, illustre clairement ce risque : une famille s'est déchirée à propos de la poursuite de l'alimentation artificielle d'une personne incapable de s'exprimer par elle-même, aboutissant dans ce cas à la faire délibérément mourir de faim. Il faut souligner, sans rien occulter du désarroi de cette famille dans l'épreuve, que le mari qui a réclamé et obtenu l'euthanasie de son épouse après quinze années de coma avait entre temps " refait sa vie " avec une autre femme dont il a eu des enfants. Il suffit d'imaginer quel malaise aurait provoqué pour lui le réveil de Terri. Il faut souligner aussi que, contrairement à l'affaire Humbert, les parents de la jeune femme se sont battus pour lui éviter cette fin... L'affaire Schiavo a donc confirmé la réalité de l'euthanasie par arrêt d'alimentation et d'hydratation. Même si elle semble concerner des situations marginales, elle pourrait devenir un moyen particulièrement pernicieux de mettre fin aux jours de personnes vulnérables, notamment celles qui seraient incapables de s'exprimer.

L'Église a pris fortement position sur ces questions. Jean-Paul II, dans un discours devant des médecins catholiques le 20 mars 2004 affirmait : " L'administration d'eau et de nourriture, même à travers des voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de maintien de la vie, et non pas un acte médical. Son utilisation devra donc être considérée, en règle générale, comme ordinaire et proportionnée, et, en tant que telle, moralement obligatoire, dans la mesure où elle atteint sa finalité propre, et jusqu'à ce qu'elle le démontre, ce qui, en l'espèce, consiste à procurer une nourriture au patient et à alléger ses souffrances. "

Mgr Elio Sgreccia, président de l'Académie pontificale pour la vie s'est – ce qui est exceptionnel – prononcé sur le cas de Terri Schiavo : " La décision du congrès des États-Unis d'éditer un décret de loi contresigné par le président Bush qui pourrait sauver la vie de Terri Schiavo était un devoir. Cette femme ne court pas le risque d'être soumise à un acharnement thérapeutique. C'est une personne vivante qui attend d'être alimentée et hydratée pour ne pas subir cette condamnation à mourir de faim et de soif, une condamnation douloureuse et en tout cas injuste. "

Si Jean Leonetti a semblé donner des gages pour que sa loi ne permette pas qu'on administre la mort à des personnes comme Terri Schiavo, incapables de s'exprimer (et dont la volonté est inconnue), la loi " fin de vie " qui vient d'être adoptée en France, pourrait donc autoriser une forme particulièrement insidieuse d'euthanasie. D'autant que le sénateur Gérard Dériot, rapporteur de la proposition de loi au Sénat a affirmé que la loi française aurait permis l'arrêt de l'alimentation Terri Schiavo. D'où le communiqué d'alerte publié au lendemain du vote par Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence épiscopale française : il met en garde contre l'abandon de certains patients.

Un autre type de disposition ouvre des risques de dérives, c'est la notion de directives anticipées. Pour rassurer les patients, voire aller dans le sens du " testament de vie " de l'ADMD ou peut-être pour protéger et dédouaner les soignants, on tend à faire croire qu'on peut " à froid " exprimer des désirs en matière de fin de vie. Des personnes vont donc écrire ce qu'elles veulent et ce qu'elles refusent si elles se trouvaient un jour dans l'incapacité de s'exprimer. Accepter ce principe des directives anticipées, c'est inévitablement créer des conflits à court terme entre soignants et familles ou " personnes de confiance " qui demanderont, au nom de ces directives, l'arrêt de l'alimentation ou de soins proportionnés. Par une forme de surenchère de revendication de maîtrise et de protection, on tend à remplacer la confiance entre soignants et soignés par la défiance, et l'exercice de la conscience des uns et des autres dans le présent par des procédures anticipées. Ce fantasme de maîtrise de la mort, pour échapper à l'angoisse, risque en réalité d'ouvrir la porte à des désillusions, à des manipulations, à de nouvelles revendications et à des dérives.

Ce mardi, le débat au Sénat a été révélateur des enjeux, la gauche, PS et PC, revendiquant l'euthanasie active et considérant que le texte ne va pas assez loin. A contrario, de nombreux sénateurs UMP ou UDF ont exprimé la crainte que le texte ne soit une porte ouverte et ont déposé des amendements qui auraient limité les risques. Pour sa part, Philippe Douste-Blazy, après avoir affirmé : "tant que je serai ministre de la santé, je refuserai l'euthanasie", s'est opposé à toute modification.

Quant à la presse, elle s'est largement gardée de pointer les vraies questions, focalisant les commentaires sur de prétendues avancées du texte comme l'instauration d'un droit au "laisser mourir". Comme si les médecins étaient contraints à pratiquer les soins disproportionnés, comme si " l'acharnement thérapeutique " était une obligation. Il est vrai que nous pouvons observer des obstinations déraisonnables mais il n'était point nécessaire de légiférer pour nous en protéger. On a pu lire que le texte autorise l'administration de médicaments anti-douleur même s'ils accélèrent le décès : c'est vrai mais ce n'est pas une nouveauté ; pour soulager la douleur, le médecin peut être amené à prendre des risques, c'est même parfois un devoir car il y a peu de médecine efficace qui soit dénuée de risques. Les soignants n'ont pas attendu 2005 pour appliquer le principe de l'acte à double effet qui n'a pas été formalisé par la représentation nationale mais par saint Thomas d'Aquin !

Ce débat, comme tant d'autres, nous laisse un sentiment de malaise. Nous voilà donc avec un texte moins catastrophique que ce que nous aurions pu craindre et pourtant probablement très dangereux. Seule son application concrète et jurisprudentielle pourra nous le confirmer. Mais, soyons lucides, le moindre changement de majorité risque bien de nous conduire à pire : l'euthanasie explicitement légale.

*Le docteur Xavier Mirabel est président de l'Alliance pour les Droits de la Vie, coordonnateur du collectif " Vigilance fin de vie ", www.sosfindevie.org

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