Un florilège des fautes habituelles de la droite au gouvernement : voilà ce qu'est devenue l'affaire du Contrat Première Embauche (CPE). À ce jour, on ne sait comment le conflit se dénouera, si le Conseil constitutionnel censurera l'irrégularité de procédure commise lors du dépôt du projet au Parlement, si le Premier ministre cèdera aux injonctions présidentielles de renouer le dialogue et s'il sauvera la face ou non.

Mais il déjà possible d'en tirer une leçon sur les erreurs comportementales de la droite au gouvernement, celles qu'elle doit s'interdire définitivement si elle veut conserver une chance de l'emporter en 2007. Ces fautes, si souvent réitérées et jamais corrigées tant elles lui collent à la peau, sont au nombre de trois.

1/ Réformer par la bande

On sait qu'il faut réformer le Code du travail. Il a vieilli, irrémédiablement marqué par la grande industrie caractéristique du milieu de XXe siècle ; les adjonctions successives de dispositifs divers s'y empilent dans une complexité extrême où la plupart des intéressés ne se retrouvent pas sauf les spécialistes ; il est surtout devenu beaucoup trop rigide à force de barrières érigées à toutes les pages, parfois sous l'empire de bonnes intentions, souvent parce que le chef d'entreprise y est considéré a priori comme un délinquant potentiel.

Le premier résultat de ce dispositif est de surprotéger les salariés en place, notamment dans les grandes entreprises, au détriment de tous les autres ; et davantage encore ceux qui bénéficient d'un mandat ou d'une délégation syndicale, dont l'inflation est parfois impressionnante (ils peuvent représenter jusqu'à 10% du personnel !) ; avec tous les effets pervers qui en résultent, à commencer par ce frein à l'embauche dont tout le monde sait la réalité et une rigidité de plus en plus contre-productive dans la gestion des personnels.

Oui, mais voilà aussi pourquoi toute velléité de réforme est vite étouffée : elle supposerait de s'attaquer à des forteresses, pas seulement intellectuelles mais aussi politiques et surtout matérielles, considérées comme inexpugnables. Donc pas question de l'aborder frontalement ; on tangente les problèmes, on ouvre des exceptions, on crée des échappatoires ; en un mot, on biaise systématiquement. Mais on obtient en général l'effet contraire à celui qui serait souhaitable, c'est à dire davantage de complexité et un surcroît de méfiance.

L'introduction du CPE n'a pas dérogé à la règle. Plutôt que d'ouvrir le dossier des procédures de licenciement afin d'en rechercher un assouplissement réel, fût-ce dans les limites qu'impose une acceptabilité sociale réduite, on a inventé un "machin" supplémentaire. Or, considéré à froid et sans passion, il est indéfendable : une période dite d'essai, de quelque nom qu'on l'affuble, qui dure deux ans n'a pas de sens ; autoriser un licenciement sans motif, donc arbitraire, pendant cette même période n'en a pas davantage ; et introduire une discrimination par l'âge, au détriment des jeunes, c'était de la provocation ! Elle a trop bien réussi, hélas... Et ce n'est pas en invoquant la précarité causée par le chômage qu'on le rend plus opératoire ni plus acceptable ; au contraire.

Or dès le départ, les chefs d'entreprise qui ont eu à s'exprimer sur ce sujet, avec précaution pour ne pas paraître torpiller l'initiative d'un gouvernement de droite mais de façon claire, ont été presque unanimes à constater que ce mécanisme engendrerait plus de complexité là où il aurait fallu davantage de souplesse, et qu'il était inapproprié à son objet. Moyennant quoi, toute perspective de réforme sérieuse des procédures d'embauche et de licenciement a été saccagée et renvoyée à un avenir indéterminé : chat échaudé craint l'eau froide.

2/ Réformer à la hussarde

Corollaire d'une démarche biaisée : l'escamotage du débat pour passer par surprise ou en force.

Les précédents sont innombrables ; le dernier en date a probablement servi de modèle au Premier ministre. Il s'agit du Contrat Nouvelle Embauche, introduit pendant l'été par voie d'ordonnance en faveur des PME (autre exemple de réforme par la bande). La méthode et le moment ont pris les partenaires sociaux de court. Outre l'effet de surprise, l'opinion a fait crédit à Dominique de Villepin de sa volonté d'agir pour l'emploi par un tel moyen.

Trois mois plus tard, ce crédit est consommé dans la mesure où le CNE se révèle sensiblement moins attractif qu'on ne l'avait prétendu et empreint de fragilités majeures, notamment sur le plan juridique ; user de la même justification en faveur du CPE nécessitait donc plus que des affirmations de principe, des arguments qui faisaient précisément défaut. Tandis que les adversaires du gouvernement étaient désormais sur leurs gardes.

D'où la volonté gouvernementale de les prendre de vitesse pour empêcher leur mobilisation.

La question de la validité de la procédure d'introduction du projet devant le Parlement est soumise au Conseil constitutionnel. Mais quelle que soit sa réponse, il est clair que le Premier ministre a obtenu l'effet inverse de celui qu'il cherchait. L'absence de débat de fond sur le bien fondé et le dispositif technique du projet a permis le développement d'une thématique purement politique et une cristallisation de l'opposition sur ses terrains favoris, l'idéologie et les manifestations de rue. À ce jeu, elle est plus efficace que la droite et gagne presque à coup sûr.

Pourquoi ? Parce qu'aucune réforme tant soit peu importante ou sensible ne peut aboutir qui n'ait auparavant été expliquée, débattue et comprise. L'expérience des retraites aurait dû servir : rien n'a été possible tant qu'on n'a pas pris le temps de faire percevoir par tout un chacun la réalité de la situation, et de faire tomber les idées fausses qui polluaient la question. Tous les adversaires n'ont certes pas été désarmés ; mais ils se sont trouvés suffisamment isolés dans leurs archaïsmes pour ne plus être capables de faire obstacle au mouvement. Et si la réforme a été imparfaite, le train a été lancé et continuera de rouler. Évidemment, il a fallu du temps ; on peut le déplorer, et déplorer aussi cette fâcheuse propension des Français à ne pas renoncer facilement à leurs phantasmes politico-économiques. Mais le fait est là, fruit d'un modèle politique et social plus que cinquantenaire ; et mieux vaut réussir avec le temps qu'échouer en le violant.

C'est bien l'un des problèmes majeurs de la droite que cette peur du débat, de l'explication, de la discussion qui va au fond des choses. En vérité, elle n'a pas confiance en elle-même et en ses propres idées de réforme parce qu'elle n'est pas complètement sortie du moule intellectuel dans lequel elle a été élevée et qui est aussi celui de ses adversaires ; et elle a encore moins confiance en ses électeurs, dont elle voudrait faire le bonheur sans eux, voire malgré eux. Elle rêve encore à un despotisme éclairé qui fascinait Voltaire, ou à un bonapartisme qui l'a toujours subjugué.

3/ Réformer sans mandat

À dire vrai, la faute incombe moins ici à Dominique de Villepin qu'à Jacques Chirac et aux conditions dans lesquelles celui-ci a été réélu en 2002.

Non, Jacques Chirac n'a pas été reconduit à la présidence de la République pour faire des réformes douloureuses, ni pour s'attaquer aux "sujets qui fâchent", encore moins pour attenter aux "acquis sociaux". Non, 82% des votants du second tour ne se sont pas exprimés "pour" lui, mais "contre" Jean-Marie Le Pen. Quant à lui-même, après un premier tour minable, dans une autre configuration il eût peut-être été battu... Et ce, après une campagne où il s'était singularisé par des promesses distribuées généreusement et des généralités consensuelles. Dans ces conditions, il n'a clairement pas reçu mandat pour s'engager sur le terrain social avec un tel projet.

Sa majorité parlementaire non plus, élue dans son sillage sur un programme bâclé. Les quelques réformes substantielles qu'elle a votées et qui sont désormais acceptées, pour imparfaites qu'elles soient (les retraites certainement, l'assurance maladie probablement), n'ont été possibles qu'en raison des longs et nombreux débats dont elles avaient fait l'objet auparavant. En revanche, la décentralisation imposée par J.-P. Raffarin, qui y croyait sans doute mais qui n'a pas su ni pu ouvrir un débat national préalable sur son contenu et ses modalités, ne peut pas être tenue pour définitivement acquise quelle que soit sa pertinence éventuelle : elle suscite encore trop de protestations véhémentes, y compris de la part des élus locaux de droite, en raison de son impréparation et de l'ignorance dans laquelle chacun est resté de ses conséquences au moment de son adoption.

A fortiori en ce qui concerne un sujet aussi sensible que le droit du travail.

Rien n'est tabou ; aucune réforme n'est impossible, même sur les enjeux les plus conflictuels. Mais à condition d'en prendre les moyens qui sont au nombre de deux : un travail approfondi d'élaboration préalable qui implique tous les intéressés ; et l'acceptation du débat, de préférence au cours d'une campagne électorale, afin que le mandat conféré par les électeurs soit incontestable.

Au lieu de quoi les partis de droite font en général l'inverse : des campagnes électorales d'image pour n'effrayer personne ; ensuite, parce qu'il faut bien s'attaquer aux problèmes ou parce qu'un ministre veut laisser sa marque, des réformes plus ou moins improvisées, dont le contenu est en réalité concocté en chambre par l'administration, se fige au gré d'arbitrages ministériels rendus à partir de considérations tactiques ou technocratiques, et reste toujours subordonné à des effets d'annonce. Trente ans d'échecs n'ont pas réussi à la guérir ; sans doute parce que ses dirigeants sont majoritairement issus de cette haute administration qui n'imagine pas d'avoir tort et n'envisage pas de se soumettre à des électeurs qu'elle ne tient pas en grande estime.

Voilà pourquoi elle bute toujours sur des réformes de fin de mandat qui ne "passent pas", et souvent sur les jeunes et tout ce qui gravite autour de la jeunesse, à commencer par l'Éducation nationale et l'Université. Voilà pourquoi elle risque fort d'achopper à nouveau, cette fois-ci sur ce fameux "modèle social à la française" que le Président et le gouvernement sont mal venus de vouloir chahuter alors qu'ils en ont fait par ailleurs un cheval de bataille.

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À chaque élection, son thème dominant et son enjeu ; s'ils sont clairs, la suite le sera aussi. Mais il ne sert à rien de vouloir brusquer les choses, sauf à courir le risque de les bloquer et de les rendre encore plus difficiles par la suite. Rendez-vous en 2007.

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