La querelle, qui a pris naissance au Danemark et s'est étendue jusqu'en Asie, à propos de caricatures du prophète de l'Islam, soulève des questions complexes, d'autant qu'elle concerne des aires de civilisation très différentes.

Ce n'est pas pour rien que la célèbre formule du choc des civilisations a resurgi ces jours-ci et que les intellectuels se divisent, souvent avec passion, pour faire le partage entre ce qui relève de la liberté d'expression et du respect des convictions religieuses.

Nous avons pris parti ici-même pour une attitude de prudence, justifiée par la crise traversée par les sociétés musulmanes et qui alimente la fièvre extrémiste. Ce n'est pas pour autant que nous renonçons à la liberté de la pensée. Celle-ci n'est pas seulement liée à une conquête moderne des droits, mais à une exigence intrinsèque à notre foi chrétienne, ainsi que le concile Vatican II l'a solennellement proclamé.

Il est vrai que le régime de chrétienté, qui a existé en Europe jusqu'au XVIIIe siècle, mettait la loi religieuse au centre du dispositif social. Sous un tel régime, le blasphème constituait un crime puisqu'il mettait en cause le fondement sacral de la société. Mais, dès lors que les membres de cette société ne se trouvaient plus en accord avec une foi commune, le blasphème ne pouvait plus être reconnu comme un crime social. Ainsi que le disait Blaise Pascal (photo) : "Ils blasphèment ce qu'ils ignorent." Seuls ceux qui reconnaissent le Dieu vivant et vrai peuvent contrevenir dans leur cœur à la demande du Notre Père : "Que ton nom soit sanctifié."

Imputer comme crime aux athées et aux agnostiques une faute qui ne relève que de la foi intime est gravement injuste. On s'en aperçut en France, au XIXe siècle, quand on voulu rétablir le crime de blasphème dans la loi. Chateaubriand (que cite Jacques Julliard opportunément dans Le Nouvel Observateur) déclarait alors que l'on "blessait l'humanité sans protéger la religion".

Dans un régime de droit commun, l'atteinte aux convictions religieuses s'oppose à une obligation de respect et non à la loi religieuse. Les chrétiens l'ont admis d'autant mieux que, contrairement à la tradition de l'islam, ils se reconnaissent dans une loi naturelle et donc rationnelle, perceptible à tous les hommes doués d'intelligence et de liberté. En dépit des difficultés et des paradoxes inhérents au régime moderne du droit, ils trouvent avantage pour leur propre foi à l'absence de contrainte extérieure puisque celle-ci leur garantit l'inviolabilité de leur conscience et le processus propre à la décision intime.

Comme le proclame Vatican II : "La vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance." Le droit à la liberté religieuse est né ainsi d'un conflit douloureux qui s'est dénoué lorsque la loi commune s'est trouvée déliée de la menace persécutrice. C'est notre histoire d'Occidentaux. Il n'est pas facile de la comprendre quand on vient d'une autre histoire, d'une autre civilisation, d'une autre religion.

*Editorial à paraître dans le prochain n° de France catholique

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