Courage, fuyons  : voici lapidairement résumée l'impression que laisse la lecture de la décision que vient de rendre le Conseil constitutionnel sur le mariage homosexuel (cf. Le mariage réservé aux hétérosexuels est conforme à la Constitution, Le Fil, 28 janvier).

Le mariage entre un homme et une femme est conforme à la Constitution

À première vue, on pourrait être satisfait de la réponse que les sages ont donnée à la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été posée par la Cour de cassation. Les dispositions des articles 75 et 144 du code civil qui définissent le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme sont conformes à la Constitution.

Pourquoi sont-elles conformes ? La motivation ne laisse pas d'inquiéter. Dira-t-on qu'elle soutient la décision comme une corde le pendu ? Reprenant un à un les moyens soulevés par les requérants qui avaient invité la Cour de cassation à saisir Conseil constitutionnel, celui-ci entre dans leur jeu pour les écarter, non en vertu d'un principe fondamental, mais au terme d'appréciations nuancées.

Des motivations équivoques

La liberté de mariage était-elle invoquée ? Le législateur peut définir les conditions requises pour pouvoir se marier, parmi lesquelles peut figurer le fait d'unir un homme et une femme, dès lors qu'elles ne sont pas contraires à un principe constitutionnel. Autrement dit, la définition du mariage comme union d'un homme et d'une femme n'est pas un principe constitutionnel mais relève des modalités de l'union matrimoniale qui sont simplement d'ordre législatif.

Le droit de mener une vie familiale normale ? Celui-ci n'implique pas que des couples de même sexe puissent contracter mariage au sens juridique du terme : ils peuvent vivre en concubinage ou sous le régime du PaCS. Autrement dit, la famille ne résulte pas du mariage mais de n'importe quelle forme d'union, indépendamment du  sexe des partenaires ; et s'ils sont de même sexe, leur vie commune est susceptible d'être considérée comme une vie familiale.

Le principe d'égalité ? Le conseil fait application de sa jurisprudence classique selon laquelle le législateur, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, peut établir une différence entre couples de mêmes sexes et couples de sexes différents quant aux règles applicables au droit de la famille, dès lors qu'il considère qu'il y a là une différence de situation qui le justifie. Mais à condition que cette justification soit démontrée autrement que par un principe, sous le contrôle du juge évidemment.

La fuite devant la question des fondements de la société

Mais ce que le Conseil constitutionnel a refusé de dire est beaucoup plus important et grave que ce qu'il a dit. En déclarant qu'il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du Parlement et en renvoyant au législateur ces trois aspects de la question, il s'est tout simplement coulé dans le moule qu'il a élaboré en 1975 lorsqu'il a validé la loi Veil et il a suivi exactement le même raisonnement.

Il a commencé par poser un principe sur le caractère limité de son pouvoir d'appréciation. Ce principe n'est pas sans justification. De prime abord en effet, il semble même frappé au coin du bon sens : au Parlement de faire la loi et au juge constitutionnel de vérifier qu'elle est conforme à la Constitution. En réalité, il va beaucoup plus loin : en l'exprimant à nouveau, le Conseil confirme son refus de considérer les fondements de toute société politique et de se pencher sur les questions ontologiques.

La loi se trouve ainsi suspendue dans un vide normatif lorsque les textes supérieurs qui l'encadrent (la Constitution et les déclarations des droits qu'elle comporte) sont silencieux ou insuffisants. Dans l'exercice de son contrôle, le Conseil constitutionnel se limite au respect de la hiérarchie des normes écrites du droit positif, à la régularité procédurale, et, dans une mesure limitée, à la cohérence interne, mais sans aller au-delà.

Peut-être la lâcheté a-t-elle sa part dans la réitération de ce refus : l'éventuelle reconnaissance du mariage homosexuel soulève un débat particulièrement vif entre les tenants de positions irréductibles ; et pas plus ici que sur la défense de la vie, il n'a voulu courir le risque de mettre en jeu son autorité. Ce faisant, convenons qu'il a traduit concrètement la philosophie politique dominante.

On peut gager sans risque que le Parlement sera bientôt saisi d'un projet ou d'une proposition de reconnaissance du mariage homosexuel par la loi, et surtout que le Conseil constitutionnel ne censurera pas cette loi si elle est adoptée : il s'y est quasiment engagé. C'est donc au niveau du Parlement que tout ce jouera en fin de compte.

Les dangers de la question prioritaire de constitutionnalité

Reste à formuler une dernière observation sur la question prioritaire de constitutionnalité. Ce qui a été présenté comme un progrès majeur de l'État de droit en France se révèle être un redoutable instrument pour remettre en cause tous les fondements de la société et pour démolir systématiquement l'ordre juridique.

Il est certain que notre droit est truffé de dispositions sur la constitutionnalité desquelles on peut s'interroger. Mais en permettant aux justiciables de soulever la question sur n'importe quelle affaire, et plus encore en permettant au Conseil constitutionnel de déclarer inconstitutionnelles des dispositions parfois anciennes et de les effacer purement et simplement, on a ouvert la porte à une instabilité juridique très grave qui peut ouvrir des trous béants. Il n'est que de voir le nombre élevé de questions dont le Conseil est saisi, dans tous les domaines. Le Conseil d'État et la Cour de Cassation sont censés les filtrer ; mais, en pratique, ils ont ouvert largement la porte, pour le plus grand profit des procéduriers.

La qualité de la justice n'y gagne pas, pas plus que la paix des esprits.

 

 

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La décision du Conseil

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