Jusqu'à ce jour, la France avait été épargnée par l'enseignement de la théorie du gender. Nous avions tout au plus un module à la Sorbonne et quelques conférences à Paris ou en province. C'en est fini. L'enseignement de cette discipline entre par la grande porte : à partir de 2011, des cours obligatoires lui seront consacrée à Sciences Po, l'Institut d'études politiques de Paris.

À l'origine du projet, deux femmes économistes de l'OFCE, soutenues par Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et par Emmanuelle Latour de l'Observatoire de la parité créé en 1995. Celles-ci déclarent qu'il faut en finir avec l'inégalité entre les hommes et les femmes dans l'entreprise. Pour les promoteurs de l'opération, le but est éminemment politique : On veut faire progresser le combat contre les inégalités entre homme et femmes.
Jean-Paul Fitoussi se met à rêver : Cet enseignement va réveiller les consciences (Libération, 26 mai 2010). Il n'y aura plus de différence de salaire, plus de réunion tardive (vive les after work !), et enfin le partage des tâches à la maison.
Si ce n'était que cela, on pourrait presque être d'accord. Encore faudrait-il savoir sur quoi se fondé cette égalité.
Une réflexion identitaire
En regardant d'un peu plus près, on comprend mieux l'intention. En particulier, grâce à l'évènement initiatique baptisée Queerweek (La semaine queer) de Sciences Po, lancée du 3 au 6 mai dernier comme une avant-première des Gender studies. Car bien que les créatrices s'en défendent, il s'agit bien d'une étude centrée sur une réflexion identitaire.
Le programme de cette Semaine queer — semaine du genre et des sexualités — est explicite. L'individu postmoderne ne se reconnaît plus dans la société hétérosexiste : la différence des sexes est une dictature puisqu'elle est imposée par la nature. Pour être libre, l'individu doit pouvoir se choisir. Son droit le plus fondamental est le droit d'être moi , de se choisir en permanence alors que la nature impose d'être un homme ou une femme.
L'individu serait mieux caractérisé par son orientation sexuelle que par son identité sexuelle, fondée sur un donné biologique donc de nature. Se considérer comme homme ou femme, c'est refuser de se construire soi-même.
Il serait tentant de chercher une définition du Queer. Si, précisément, il n'y en a pas, c'est en raison du caractère subversif de cette théorie, comme l'affirme ses promoteurs. Donner une définition, c'est fixer une idée ou un objectif. Dans ce concept, rien n'est fixé. On peut dire qu'il s'agit d'un mouvement subversif dont l'objectif est de reformuler les rapports homme/femme dans la société, non plus en fonction de leur identité masculine ou féminine, mais en fonction de leur volonté et de leur désir souverains.
D'une certaine manière, la théorie Queer prolonge la théorie du Gender, ce concept apparu au Sommet de Pékin en 1995, sous l'effet de groupes de pression de féministes radicales.
D'ailleurs, pendant que l'IEP lançait cette initiative, Judith Butler en personne intervenait à Lyon à l'invitation du maire pour présenter la théorie dont elle est l'une des figures marquantes [1]. Publié aux États-Unis dans les années soixante-dix, c'est seulement en 2005 que son livre de référence est traduit en français : Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion (La Découverte).
Pour elle, si le gender consiste à définir une politique féministe qui ne soit pas fondée sur l'identité féminine, le queer déconstruit l'identité de toute personne humaine en vue de se reconstruire à partir du seul choix individuel.
Le féminisme subversif : du féminisme radical à la théorie du gender
Judith Butler s'appuie sur les idéologies du XIXe et XXe siècle néo-marxiste, existentialiste et structuraliste pour penser le féminisme et la subversion de l'identité . Le féminisme initial adhère à l'idée que l'identité sexuelle et le genre coïncident, mais ce lien sera progressivement remis en cause car la frontière entre le masculin et le féminin est parfois floue et la société impose un rôle ou stéréotype : la femme aux tâches ménagères, l'homme à l'extérieur.
En outre, les féministes radicales ne sont pas satisfaites de l'égalité des sexes et de la parité. Elles prétendent que la revendication de cette égalité suppose une différence entre les sexes, or la différence entraîne l'inégalité et donc la domination, celle de l'homme sur la femme. Ce qui fait dire à Judith Butler que la définition du genre est une construction sociale et culturelle au service de la domination de l'homme sur la femme. Sa pensée exprime une dialectique entre la nature et la culture. Sa proposition : s'affranchir de la nature.
Pour sortir de l'oppression, il est nécessaire de déconstruire le genre, la famille et la reproduction.

Le genre. En premier lieu et pour le dire autrement, le genre se définit comme une option selon laquelle on choisit précisément le genre de son choix. Les gender-feminists considèrent que la différence sexuelle de l'homme et de la femme n'est pas déterminante, sauf à maintenir la domination de l'homme.
Or puisque le mot sexe fait référence aux caractéristiques biologiques, il est manifeste qu'une différence entre l'homme et la femme existe. Le terme genre renvoie plutôt aux comportements et aux rôles qui peuvent varier selon les sociétés. Ce mot genre remplacera progressivement le mot sexe pour mieux exprimer le refus d'une différence entre l'homme et la femme. À partir de ce glissement sémantique, une théorie va être élaborée.
Nos théoriciennes prétendent que l'être humain, à la naissance, est neutre . C'est le milieu culturel qui lui impose un rôle féminin ou masculin pour maintenir la femme dans un rôle d'esclave. D'où l'idée de remplacer l'identité sexuelle par les orientations sexuelles variées et choisies par chaque individu. Chacun s'invente son genre qui peut évoluer au cours de la vie. Ainsi il n'y a plus de barrière entre ce qui est permis et ce qui est interdit. Ce que je choisis est permis, puisque je l'ai choisi.
Cette nouvelle construction fondée sur la volonté de l'individu serait plus apte à lutter contre l'inégalité homme/femme.
La famille. En second lieu, il faut déconstruire la famille, parce que la femme y est maintenue en esclavage et qu'elle conditionne les enfants à accepter le mariage et la féminité comme naturels. La nouvelle famille doit être polymorphe (recomposée, monoparentale, homoparentale,...), bref : choisie.
La maternité. Enfin, après la famille et le genre, la reproduction doit également être déconstruite pour être choisie : l'enfant ne se reçoit pas, il se désire, il se programme. Pour sortir des contraintes, la femme doit recourir à la technique : Les mères porteuses, l'utérus artificiel ont pour objectif la libération des femmes des contraintes corporelles. C'est le fantasme de la désincarnation, se détacher de sa part naturelle [2].
Ainsi, la théorie du gender déconstruit l'identité féminine. Plus de différence sexuelle, plus d'inégalité : Les femmes ne seraient pas opprimées s'il n'existait pas un concept de femme. En finir avec le genre, c'est en finir avec le patriarcat [3].
Peu importe l'ambiguïté : les gender-feminists rejettent une forme de construction sociale du genre lié à un donné de nature mais qui nuirait à l'autonomisation de la femme, pour imposer une autre forme de construction sociale qui, elle, serait plus apte à lutter contre l'inégalité homme/femme. Elles rejettent une norme et la remplacent par une autre plus conforme à leur but : s'opposer à toute politique identitaire qui imposerait une sexualité et un genre fondés sur l'identité sexuelle.

Nouveaux couples, nouvelles familles
Dès lors, les applications sont faciles à entrevoir et d'ailleurs la semaine queer l'a dévoilé d'une manière très claire : homoparentalité, adoption d'enfants par des couples de même sexe, adoption de nouvelles normes fondées sur une sexualité choisie. La théorie du gender permet de mieux comprendre les revendications du lobby gay.

1/ Le droit au mariage . Le droit devrait reconnaître toute forme d'union : homo-, hétéro-, bi-, pluri-,... Ainsi, dans cette logique, serait ouvert un seul type de contrat fondé sur le droit au mariage qui serait destiné à tous les individus, quelles que soient les circonstances.
Or rappelons que le choix individuel d'une forme de vie relève de la vie privée et l'universalité de la loi a pour but de garantir le bien commun. L'État ne peut reconnaître qu'une union qui assure la stabilité et la durée du point de vue social et personnel. Le socle de la société repose sur l'universalité de la différence sexuelle de l'homme et de la femme et non sur des tendances ou des orientations. Enfin le mariage n'est pas un droit, mais un engagement entre deux personnes et une institution vis-à-vis de la société. Il est d'ailleurs paradoxal de revendiquer le mariage sauf à vouloir l'utiliser comme norme universelle pour toute sorte d'union.
2/ La parenté et la parentalité : le droit à l'enfant . Le désir d'enfants, considéré comme un droit par certains, conduit à remplacer la parenté par la parentalité. Encore une fois, ce glissement sémantique est un exemple de la déconstruction idéologique du gender. Il s'agit d'opposer les trois composantes de la filiation : la filiation biologique, la filiation juridique et la filiation sociale, pour choisir celle qui convient. Ainsi, par exemple, serait reconnue la parentalité sociale de la compagne de la mère biologique.
L'APGL-Association des parents gays et lesbiens est très claire : Nous souhaitons baser le droit de la filiation sur l'éthique de la responsabilité, en valorisant l'établissement volontaire de la filiation et en fondant celle-ci sur un engagement irrévocable. Un parent n'est pas nécessairement celui qui donne la vie, il est celui qui s'engage par un acte volontaire et irrévocable à être le parent. Il est aisé de constater combien cette dialectique déresponsabilise les parents et fragilise davantage les liens familiaux.
3/ Adoption, PMA et mères porteuses : l'enfant-objet . Avec l'établissement de ces nouvelles filiations, tout devient possible. Le droit à l'enfant devient droit universel. L'APGL revendique non seulement l'adoption pour tout individu, mais invente une nouvelle notion d' adoption sociale pour le compagnon de même sexe.

La procréation médicale assistée deviendrait possible pour satisfaire le désir d'enfant. Et comme la filiation biologique est secondaire, il n'est pas nécessaire de connaître le nom du donneur. Enfin, l'APGL demande l'autorisation de la pratique de gestation pour autrui ou mères porteuses, comme l'a fait d'ailleurs Élisabeth Badinter, membre du Conseil scientifique du Gender studies de Sciences Po.
Tous les moyens sont bons pour garantir le droit à l'enfant au mépris de l'enfant lui-même, de son identité et de sa croissance dans un cadre stable avec son père et sa mère.

La réduction de la personne à sa sexualité

Pour faire entrer cette idée d'indifférenciation généralisée dans tous les rouages de la société, quoi de plus tentant que ce prestigieux établissement de formation des esprits supérieurs où les élites pourront diffuser la bonne parole dans l'administration, la politique et l'entreprise ?
Durant cette Semaine queer, la place donnée aux spécialistes du lobby gay sert aussi de révélateur : la théorie du gender vient appuyer la reconnaissance normative de l'homosexualité au même titre que l'hétérosexualité pour imposer de nouveaux modèles de couple et de filiation.
Sylviane Agacinski disait dans une tribune du Monde du 26 juin 2007 : C'est bien l'institution d'un couple parental homosexuel qui fait question, dans la mesure où il abolirait la distinction homme/femme au profit de la distinction homosexuels et hétérosexuels. En d'autre terme, cette idéologie consiste à réduire l'être humain à sa sexualité qu'il doit pouvoir choisir sans contrainte et sans oppression. C'est ainsi qu'il pourra prétendre à une identité, la sienne.
La diffusion de la théorie du gender ou du queer ne peut que renforcer la culture de dissociation de notre société : dissociation entre identité et comportement, entre sexualité et procréation, entre union et filiation, entre parenté et parentalité, créant autant de catégories que de cas d'espèces, dans le dessein de laisser chacun décider arbitrairement.
Ainsi seront formés nos enfants si nous n'y prenons garde.
Le président Nicolas Sarkozy en avait-il connaissance lorsqu'il a confié au directeur de Sciences Po, Richard Decoing, le soin de conduire la mission de proposer des mesures pour réformer le lycée ?
*Élizabeth Montfort est ancien député européen, administrateur de l'association pour la Fondation de Service politique, présidente de l'Alliance pour un Nouveau Féminisme européen.
[1] Conférence Genre et Education , 21 mai 2010.
[2] Natacha Polony, L'Homme est l'avenir de la femme, Lattès, 2008.
[3] Gender Outlaw, p. 117.

 

***