Anti - FN primaire

Le député (UMP) des Yvelines, Étienne Pinte, vient de commettre avec le Père Jacques Turck un essai intitulé « Extrême droite. Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire » (Les éditions de l’Atelier, 94 pages, 12 euros, sortie le 19 janvier), très politiquement correct.

Étienne Pinte constate ce que tout le monde sait : les Français sont tentés par le vote FN. Les catholiques, en particulier les plus pratiquants, le sont moins que les autres. Mais, d’après Étienne Pinte, de nombreux catholiques seraient sous le charme de Marine Le Pen et dans une moindre mesure de François Bayrou. Deux candidats qui leur paraissent hors système mais catholiquement compatibles. Si on laisse de côté l’exception culturelle que représente Versailles, il est vrai que la montée des intentions de vote en faveur du FN ne concerne pas que les agnostiques et les anti-cléricaux. Des catholiques vont voter Marine Le Pen, et pas seulement des « hyper tradis » comme on dit dans les Yvelines.

Est-ce un péché ? Presque, si l’on en croit Étienne Pinte qui cosigne le livre avec le Père Turck venu donner la caution de l’Église dans une version moderne de l’alliance du Trône et de l’Autel ; mais comment ne pas y penser lorsque l’on est à Versailles !

L’argumentation d’Étienne Pinte ne fait pas toujours dans la dentelle ni la nuance. Ainsi, à la question de Stéphanie Le Bras, il répond dans Le Monde : « la méfiance envers les musulmans a remplacé la méfiance envers les juifs chez certains de nos concitoyens ». Raccourci saisissant. Mais Étienne Pinte le croit-il vraiment ? L’antisémitisme a-t-il quelque chose de commun avec la méfiance vis-à-vis des musulmans ? L’un est sociologique voire idéologique, l’autre est un réflexe assez naturel de peur face à des jeunes de quartiers défavorisés qui, bien que victimes, sont devenus des hors-la-loi. C’est aussi la méfiance vis-à-vis d’un islam fondamentaliste qui ne représente qu’une petite minorité de musulmans et terrorise leur propre communauté pour les embrigader de force.  Les juifs, dont beaucoup aimaient la France et sont morts pour elle héroïquement, ont été des boucs émissaires faciles. Les musulmans fondamentalistes ont la haine de la France et sont manipulés par des puissances étrangères du Golfe persique. Que l’on ne doive pas mettre tous les musulmans dans le même bain, c’est une évidence. Que l’on doive rechercher le dialogue, tenter de développer un climat de confiance, personne ne le conteste. Qu’il soit souhaitable que les musulmans disposent de lieu de culte à condition qu’ils ne soient pas contraints de s’y rendre sous la menace des milices islamiques locales et à condition que l’on n’y enseigne pas la charia, personne ne dit le contraire. De là à dire que nous devrions faire un « mea culpa » pour avoir méconnu la liberté religieuse des musulmans français, il y a un pas de trop que franchissent encore Étienne Pinte et le Père Jacques Turck.

Accueil et ordre public

En déclarant : « Le FN c’est le rejet de la différence, de l’étranger, le rejet de l’Europe, de la mondialisation, le repli, la préférence nationale. L’Église, par ses écrits, sa doctrine sociale, son universalité, c’est l’accueil, le partage, l’ouverture », l’homme politique et le prêtre confondent une nouvelle fois deux questions différentes. Le cardinal Barbarin le rappelait dernièrement, l’Église est toujours du côté de l’immigré, du pauvre, de celui qui frappe à la porte. Mais cela ne signifie pas que le politique n’ait pas le devoir de faire respecter l’ordre public. C’est de cela qu’il s’agit quand une minorité de fondamentalistes terrorise sa propre communauté dont l’immense majorité ne souhaite que s’intégrer.

Assurer ce respect de l’ordre public passe par un ensemble de mesures dont certaines, en effet, ne sont pas douces, sympathiques ni gentilles. La fermeté aussi peut-être évangélique.

Étienne Pinte et Jacques Turck reconnaissent qu’il existe des problèmes. Mais que proposent-ils en dehors de l’accueil et du dialogue ? Pour dialoguer il faut être deux. Certains musulmans n’en ont aucun désir. Dans ce cas, que peux faire la République ? Leur dire « faites comme vous voulez, continuez de détruire, de haïr la France et d’obliger les autres à suivre vos prescriptions religieuses et votre lecture fondamentaliste du Coran », ou bien fixer des limites ? Or, à lire Étienne Pinte et le Père Jacques Turck, chaque fois qu’un responsable politique dit « stop » ou adresse un message légitimement plus menaçant, il ferait le jeu du FN. Un FN qui n’est que rejet en bloc de « la différence, de l’étranger, le rejet de l’Europe, de la mondialisation, le repli, la préférence nationale. »

Là encore cet amalgame n’est pas honnête car on ne parle pas de réalités de même nature. « L’étranger », est ici un concept si large qu’il en est creux. Quel étranger rejette le FN ? Celui qui détruit les cages d’escalier ou celui qui, levé tôt, les reconstruit le matin. À supposer qu’ils soient l’un et l’autre de confession musulmane, ce ne sont pas les mêmes. Et pourquoi n’aurait-on pas une attitude différente avec les uns et les autres. La justice, c’est aussi de protéger les faibles contre les truands, fussent-il religieux.

Rejeter l’Europe, la mondialisation ? Laquelle ? Même Benoît XVI met en garde comme une mauvaise mondialisation et une fausse conception de la construction européenne. Est-il lui aussi dans « le repli et la préférence nationale ».

Et la préférence nationale, parlons en… Est-elle nécessairement immorale ? Puisque Étienne Pinte évoque l’antisémitisme, rappelons-nous la France entre 40 et 44 : la résistance, c’était la préférence nationale contre la Collaboration qui roulait pour l’Allemagne nazie au nom de la fraternité européenne. La fameuse préférence nationale peut ne pas être un péché. Rejeter les ennemis de la France serait-il devenu une faute quand on est Français ?

Certes, le programme du FN est d’inspiration plus païenne que chrétienne. La xénophobie est une tentation autant de droite que de gauche, les troupes du PC de la grande époque ne l’étaient pas moins que celles du FN aujourd’hui, et il faudrait raison garder sur la dangerosité du FN qui ne représente au mieux qu’un quart du corps électoral. Jusqu’à Mitterrand, le PC, aligné sur l’union soviétique et ses soixante millions de morts, pesait autant sinon plus que le FN ; il eut des ministres et n’a jamais été anathématisé. À force d’enfermer le FN dans sa caricature, les mises en garde d’Étienne Pinte (et du Père Jacques Turck) risquent de favoriser la montée de Marine Le Pen bien davantage que les prises de position de ses amis de la droite populaire ou de l’UMP, dont il prétend que c’est à cause d’eux que le FN progresse. 

Source http://religion.blog.lemonde.fr/