Nos coups de coeur

La bonne mort

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La bonne mort
  • Auteur : Charles Maurras
  • Editeur : l'Herne
  • Année : 2011
  • Nombre de pages : 86
  • Prix : 9,50 €

Pour aborder la bonne mort selon Maurras, ès qualités de vieil adolescent s’essayant à une sorte de jansénisme mal assimilé, commençons par Colette puisque L’Herne vient de lui consacrer son dernier Cahier en date. Que retenir de cet écrivain décédé en 1954 si ce n’est qu’elle n’aurait pas supporté d’être qualifiée de vaine, qu’elle rédigeait des articles dans Marie-Claire à une époque où le magazine était encore supportable tout comme, au reste, le féminisme incarné par la susdite. On a dit : supportable, non pas viable. Car, la vie de Colette le montre avec naturel, si ce n’est impudeur, le féminisme, pour demeurer respectable, doit en rester au stade de l’expérimentation à petite échelle. Alors, il s’épanouit sans que l’homme, ni l’enfant– ni, même la femme et les autres femmes – n’aient à en souffrir. Placé sous les auspices d’un anarcho-hédonisme s’affichant tel par nature, l’homme (on veut dire l’amant de passage) peut - enfin : pouvait - y trouver son compte. Fut-elle « gourmette », tenancière pendant quelques mois d’un institut de beauté sis à deux pas de la place Beauvau à Paris, sensuelle comme une chatte, l’idéologue Colette n’en possédait pas moins le défaut de l’animal : son indépendance équivalait à l’égoïsme.

C’est un moi au contraire douloureusement (mal) assumé que le jeune Maurras de vingt-quatre ans affichait dans cette courte nouvelle pleine, pour faire gros, de montherlantisme. Littérairement, on en est encore à l’étape de l’essayiste qui s’essaie. Théologiquement, la matière du livret – la libido d’un vieil adolescent avons-nous dit, qui fait des siennes, qui se met en scène en se sublimant dans un suicide opéré à l’aide d’un scapulaire de la Vierge ( !)-, le condamne à la mise à l’index. Voilà une intéressante transition pour aborder l’introduction rédigée par Boris Cyrulnik et noter que Charles Maurras a mis du temps pour comprendre sa religion, le catholicisme, et, incidemment, celle des autres, en l’occurrence, la religion mosaïque.   

C’est dans un entretien au Figaro littéraire dans lequel il commentait sa préface que Cyrulnik a mis le doigt sur un point qu’il aurait dû développer. Après avoir relevé l’ambivalence du théoricien de l’Action Française envers les juifs («J’aime, je les aime tout en approuvant leur statut octroyé par l’Etat Français), le fameux neuropsychiatre, parodiant le slogan publicitaire vantant les magasins de la Fédération nationale des acheteurs cadres, parle des juifs comme étant souvent des «agitateurs culturels». Mais s’ils agitent en effet, tous ne jettent pas ensuite le liquide. Expliquons le processus alors en cours en usant d’un exemple. Le Christ fut éminemment un agitateur culturel. Il secoue, bouleverse en apparence les molécules contenues dans toute la saga de la religion hébraïque biblique, puis laisse retomber le dépôt : c’est ce qu’on appelle le dépôt de la foi, recueilli, conservé, non pas agrandi, mais mis en culture par l’Eglise. Maurras s’exclame, et, après lui, des gens comme Alain de Benoist : Eclipse du sacré ! (institué par un paganisme gréco-latin en l’occurrence fantasmé), le christianisme étant, qui plus est, qualifié par un Marcel Gauchet de «religion de la sortie de la religion». Voilà donc un premier faramineux contresens lourd de bien des méprises ultérieures. La religion chrétienne rend sacré au contraire l’ensemble de l’espèce humaine (en tant que créée à l’image de Dieu), la recouvre d’une immunité. Maurras n’aime que l’Eglise, en tant que super-structure qui, ne serait-ce que dans son sens architectural, est ordonnée et ordonne. Il oublie que si Joseph de Maistre (et, après lui, tant d’autres, à leur manière) a dit L’Evangile sans l’Eglise est un poison, l’Eglise sans l’Evangile en parallèle en est un. Le catholicisme, l’orthodoxie (et même, dans leur première mouture tout du moins, les Réformes de Luther puis de Calvin) appartiennent donc aux doctrines pot au feu. Celles-ci nourrissent et réchauffent. Elles donnent l’impression dans un premier temps de révolutionner les idées puis les mœurs. Mais, dans un second temps, tout retombe, certes autrement disposé. Toutes les molécules de départ sont toutefois réapparues. Les dernières recherches en archéologie du savoir chrétien montrent ce processus à l’œuvre entre le judaïsme ancien et le Nouveau Testament (voir les références dans notre article DSK, le révélateur de l’année). Maurras n’a pas vu que nombre de systèmes, pensées, doctrines apportées par des créateurs juifs appartiennent à la classe pot au  feu. La psychanalyse freudienne, malgré ou, plutôt, en raison de son pansexualisme, de sa conscience morale déguisée en surmoi s’insère dans cette catégorie (Ce n’est pas pour rien que le monde post-moderne est gêné aux entournures par tout le moralisme véhiculé entre autres par la théorie des trois stades.) Même le premier Marx appartient encore à la Tradition et à ce qu’on a appelé l’Ancien Régime de la pensée. Nous nous référons également à Henri Bergson et à sa fille Jeanne, sourde et muette, et si proche de son père. Plein d’une intelligence toute dogmatique, Maurras n’a pas fait le distinguo. Il a cru devoir éprouver de la peur envers la totalité des œuvres d’origine juive. Les auditeurs, les bons lecteurs de Cyrulnik nous comprendront : Maurras a cru goûter en ces dernières la saveur diaboliquement ambiguë du lait concentré sucré. S’imaginant avec elles dramatiquement séparé du passé et de la Tradition, dépassé et abandonné, il s’est senti en danger mortel. Ses options politiques pratiques (mais pas fatalement toutes celles théoriques) en ont été la résultante. Où l’on voit que la soi-disant bonne mort peut conduire à de malencontreuses et dramatiques méprises.

Hubert de Champris


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