Gender, la réponse de Luc Chatel révèle l'impuissance du Ministre et met en cause les structures de pouvoir au sein de l'Education nationale.

Après une longue mobilisation de l'Association pour la Fondation de Service politique, le ministre de l'Education nationale a enfin adressé à notre Président, Francis Jubert, un courrier dans lequel il explique sa position. Il avoue son impuissance face aux éditeurs de manuels et souhaite que l'école devienne un lieu de débat et de lutte contre les discriminations. Une position qui replace la polémique dans sa dimension politique et interroge la société civile sur la mission réelle de l'école.

Patience et longueur de temps...

Il en aura fallu du temps ! Depuis le 20 mai, date à laquelle Pierre-Olivier Arduin tirait la sonnette d'alarme sur notre site (libertepolitique.com), l'AFSP s'est mobilisée pour faire entendre sa voix. Elle exigeait notamment le retrait des nouveaux manuels scolaires de SVT destinés aux premières L et ES qui, outrepassant le programme officiel, s'inspiraient des théories du gender dans le chapitre sur la différence sexuelle.

Notre alerte  écrivez au Ministre  a été lancée sur notre site depuis le 27 mai. Elle est toujours visible sur notre page d'accueil. Depuis cette date l'AFSP a publié un grand nombre d'analyses et d'informations (Cf notre dossier spécial : Le gender à l'école).

La bataille a d'abord été politique. C'est ainsi qu'après l'action initiée par l'AFSP, la pétition lancée par les AFC ou encore celle de l'école déboussolée, quelques personnalités politiques ont directement interrogé le ministre Luc Chatel. Les premiers furent Christine Boutin, Jean-Marc Nesme, Marie-Thérèse Hermange ou encore Christian Vanneste ; sans compter les prises de positions de certains évêques et directeurs diocésains. Le Ministre ayant choisi de traiter par le mépris nos questions. Nous nous sommes adressés à la Présidence de la République qui nous adressa le 19 juillet une lettre où l'on nous informait que nos  préoccupations [avaient] été relayées auprès du Ministre de l'Education nationale de la jeunesse et de la vie associative 

La réaction des syndicats d'enseignants, en revanche, ne s'est pas fait attendre. Fustigeant le mouvement d'opposition à l'arrivée du gender dans les écoles, ils l'ont immédiatement assimilé à une pruderie inhérente au milieu catholique et conservateur d'où vient majoritairement la contestation. On notera que c'est cette même rhétorique qui est encore employée par le Cahier du Monde dans son dossier Mauvais genre (samedi 1er octobre 2011) et par Luc Ferry dans sa chronique du Figaro.

Contrairement aux espérances du gouvernement et du Ministre de l'Education nationale, la mobilisation ne retombe pas durant les vacances. A notre initiative et à celle de L'école déboussolée les parents continuent d'écrire au Ministre et aux membres de son cabinet. Le 30 août,  80 députés, bientôt suivis le 12 septembre par 113 sénateurs entraînés par Marie-Thérèse Hermange écrivent à Luc Chatel. Le ministère ne pouvait plus rester enfermé dans un silence qui avait déjà duré trop longtemps.

Le Ministre de l'Education nationale décide donc d'éteindre le feu. Il fait recevoir le 4 octobre par l'un de ses conseillers des membres de la Confédération nationale des Association Familiales Catholiques. Puis, il répond, personnellement, la même semaine,  au président de l'Association pour la Fondation de Service politique. Enfin, il envoie une lettre de mission à Michel Leroy, inspecteur général de l'Education nationale, sur les manuels scolaires. Une initiative qui rappelle celle du groupe UMP qui a décidé début septembre de constituer une mission parlementaire sur les programmes scolaires.

Enfin, le site veille éducation a récemment rendu public une circulaire très éclairante sur l'argumentaire de Luc Chatel pour résoudre la polémique qu'a déclenché l'introduction du gender dans les manuels de SVT.

La réponse du ministre

Après un communiqué exigeant la consultation objective de la société civile et deux lettres successives au ministre de l'Education nationale, le président de l'Association pour la Fondation de Service politique a donc finalement reçu une réponse personnelle du ministre[1].

Comme nous allons le voir, ce courrier soulève cependant plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Surtout, il évite soigneusement de répondre à la première et la plus importante : pourquoi enseigner ou autoriser le recours aux théories non scientifiques du gender dans le cadre d'une matière scientifique ?

En premier lieu, Luc Chatel semble conforter l'AFSP dans la lecture qu'elle fait des programmes de premières L et ES en SVT. Il déclare en effet :

Il donne donc raison à la Fondation de Service politique qui, dès le départ, a reproché aux éditeurs de manuels une lecture idéologique et abusive de ces programmes. Cependant, à propos ce ces mêmes éditeurs, il se déclare impuissant et affirme ne pouvoir exercer aucun contrôle sur ces derniers :

 

En second lieu, le ministre de l'Education nationale réaffirme la finalité du programme de SVT : la santé publique. Il écrit :

Mais est-ce favoriser la santé publique que d'enseigner le gender dans les écoles ? Non, à en croire le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Interrogé sur la polémique à propos des théories du genre il répond au Point :  Je pense que le "genre" est une idéologie. Cette haine de la différence est celle des pervers, qui ne la supportent pas. Freud disait que le pervers est celui qu'indisposait l'absence de pénis chez sa mère. On y est.  A l'entendre, on peut légitimement douter que l'enseignement des théories du gender favorise la santé publique.

A propos de la différence entre identité sexuelle et orientation sexuelle, le Ministre écrit plus loin :

Luc Chatel, peut-être à son insu, déploie un argument sophistique (argument qui vise la persuasion plutôt que la vérité). En effet, le programme est très clair sur le lien qui doit exister entre l'enseignement de SVT et les questions de société :

 L'enseignement de sciences en classe de première des séries économique et sociale ou littéraire est d'abord conçu pour faire acquérir aux élèves une culture scientifique. Ainsi cet enseignement scientifique a comme objectifs de permettre à l'élève :

  • d'acquérir des connaissances nécessaires à la compréhension des questions et problématiques scientifiques telles qu'il peut les rencontrer quotidiennement ;
  • d'appréhender des enjeux de la science en lien avec des questions de société comme le développement durable et la santé, en portant un regard critique afin d'agir en citoyen responsable ;
  • de susciter son envie d'approfondir ces questions à travers la consultation de ressources documentaires variées ;
  • de comprendre d'une manière simple les démarches ayant mené aux notions et concepts actuels au travers, par exemple, de l'histoire des sciences. 

 

Il est donc possible, selon les directives officielles, d'élargir le spectre des cours de SVT afin d'éclairer le jugement des élèves, futurs citoyens, sur des questions de société. Mais le programme prévoit que ces développements ne peuvent être faits qu'en lien avec les  enjeux de la science , Tout au plus, il s'agit d'une théorisation qui n'a rien de scientifique au regard des critères de la science expérimentale.

Luc Chatel qui probablement perçoit la faiblesse de sa position, la soutient par un faux argument d'autorité qui met en cause sa crédibilité :

Autant dire que pour Luc Chatel la théorie du gender est scientifique parce qu'elle se dit scientifique, parce que les auteurs de cette théorie affirment leur scientificité.

Mais de quelle science parle-t-on ? Judith Butler est une philosophe, professeur de rhétorique et de littérature à Berkeley. C'est elle qui est en partie à l'origine de la théorisation du gender. Faut-il donc enseigner la rhétorique et la littérature en SVT pour mieux comprendre l'orientation sexuelle ? De même, le terme  genre  nous vient d'un psychiatre et psychanalyste : Robert Stroller ! Faut-il donc étudier la psychanalyse en SVT ?

Si c'est le cas, les cours de SVT risquent de devenir un espace de discussion multidisciplinaire. Au lieu de développer le sens de la rigueur scientifique comme le souhaite le programme, ce mélange des genres ne peut qu'engendrer la confusion.

Au delà de la question scolaire : le malaise politique

Mais le problème est plus large que la simple question de l'enseignement du gender en classe de SVT. Au-delà de cette problématique, c'est un malaise de l'école tout entière qui se profile. Un malaise qui dépasse la question scolaire et s'enracine en politique.

La lettre du Ministre en fait l'aveu. Aujourd'hui, l'Education nationale n'est pas dirigée par son Ministre mais par  ses services :  je n'ai ni vocation, ni droit d'interdire ou de censurer tel ou tel manuel  avoue-t-il.

Or le Ministre reconnaît que  la théorie du gender n'apparaît pas dans les programmes . Si elle apparaît dans les manuels réalisés par des professeurs et validés par des inspecteurs de l'éducation nationale et qu'il ne peut pas lui-même demander de modifications de ces manuels, quelle est son autorité sur le système ?

Le ministre est impuissant en son propre ministère. Il n'est présent qu'afin de donner une légitimité étatique ou gouvernementale à ses services. Mais question : si d'aventure un éditeur avec l'appui d'un groupuscule de professeurs et d'un inspecteur de l'Education nationale publiait un manuel d'histoire comportant des allusions aux théories révisionnistes, que dirait, que ferait Luc Chatel ? Sa réponse serait-elle :  Je n'ai pour ma part ni vocation ni droit d'interdire ou de censurer tel ou tel manuel  ?

En de telle circonstance, on ne peut que constater l'insuffisance de ce modèle. Aujourd'hui, l'école est en mal de réformes. Des réformes qui ne seront possibles qu'à condition de changer ce système verrouillé et totalitaire. Des réformes non pas scolaires mais politiques afin de rendre au politique son pouvoir et sa responsabilité !

 

 

[1] télécharger les pdf de la lettre du Ministre :

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