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Notre Histoire (1922-1945)

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Notre Histoire (1922-1945)
  • Auteur : Hélie de Sainyt-Marc, August von Kagueneck
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Voici deux hommes que, aux yeux de l'Histoire, tout oppose.

 

August von Kageneck est né en 1922 en Rhénanie. Jusqu'en 1918, son père fut aide de camp du Kaiser.

Les amis de sa famille se nommaient Hindenburg et Papen. Adolescent, il fut témoin de la montée et de l'installation du nazisme dans la société allemande, sans être toutefois jamais contaminé par l'idéologie hitlérienne. En 1939, à l'exemple de ses quatre frères, il s'est engagé dans la Wehrmacht et a servi comme lieutenant de Panzers sur le front russe. En 1942, il fut grièvement blessé et évacué, ce qui lui épargna certainement d'être englouti dans la débâcle de l'armée allemande, après la bataille de Stalingrad. Au lendemain de la guerre, devenu journaliste, il entreprit courageusement une réflexion sur son pays et ses responsabilités devant l'Histoire.

 

La vie d'Hélie de Saint Marc est mieux connue des lecteurs français. Né également en 1922, dans une famille de hobereaux de robe du Sud-Ouest, entré dans la Résistance en 1941, arrêté par les Allemands à la frontière espagnole, il a été déporté au camp de Buchenwald. Sauvé d'extrême justesse par les Américains, il a embrassé la carrière d'officier et servi dans la Légion étrangère, d'abord en Indochine, la grande passion de sa vie, puis en Algérie. En 1961, commandant par intérim le 1er Régiment étranger de parachutistes, il a suivi le général Challe dans le putsch d'Alger.

 

August von Kageneck et Hélie de Saint Marc ne se connaissaient pas et se sont rencontrés il y a trois ans seulement. Ce jour-là, leurs visages éclairés par des yeux d'un même bleu se sont simplement jaugés. Pour Kageneck, Saint Marc était un nom entendu, il y a quelque quarante ans, en Algérie. Correspondant à Alger pour les journaux allemands, (dont le Bild Zeitung), il fut l'un des principaux observateurs étrangers de " la semaines des barricades ", en 1960 : le 1er REP était chargé d'encercler les insurgés algérois. Quand Kageneck se rendait dans le camp retranché pour interviewer les étudiants, les légionnaires – certains d'origine allemande – lui faisaient une haie d'honneur, l'appelant " Monsieur Bild ". Il sympathisa avec quelques-uns. Dans ce milieu, déjà, le nom de Saint Marc circulait comme un sésame.

 

Pour Saint Marc, August von Kageneck était un officier allemand dont lui parlaient des amis communs, dans les années 70. Aux yeux des Français, il était une manière de phénomène, acteur d'une aventure qui suscitait la curiosité et l'interrogation : à dix-huit ans, il avait été engagé sur le front russe, avait connu l'exaltation des premières victoires contre l'Armée rouge, l'hiver russe puis, au printemps 1945, livré un incroyable baroud d'honneur contre les armées alliées.

 

Pendant plusieurs mois, Saint Marc et Kageneck se sont entretenus. À Paris, à Lyon ou en Provence. Leur conversation a d'abord été hésitante, formelle, l'un et l'autre se contentant de rendre les honneurs à l'officier de la rive d'en face, sans oser se raconter ni interroger l'autre. Pourtant, très vite, sont apparus des souvenirs analogues, ceux de " la classe 22 " : leur enfance provinciale, les années de collège chez les jésuites, la naissance de leur vocation militaire. Et aussitôt après, la plongée dans la guerre, l'ivresse du feu, la souffrance, l'humiliation.

 

Il y eut des moments de passion à la découverte de ces expériences communes, d'émotion aussi quand, par exemple, ils constatèrent qu'en avril 1945 ils se trouvaient tous les deux dans le massif du Harz, au cœur de l'Allemagne. Le Français, à l'agonie dans un camp de concentration ; l'Allemand, à quelques dizaines de kilomètres de là, officier d'une armée en déroute face aux troupes alliées. Chez le déporté et le vaincu s'est nouée la certitude de faire partie d'une même fratrie, celle qui a connu un monde et son écroulement, qui a souffert dans sa chair des fautes de ses aînés et est devenue adulte avec, pour héritage, les ruines d'un pays à reconstruire.

 

Pourquoi l'idée d'un livre en commun ? Chacun a déjà publié des mémoires qui ont rencontré un large écho : leurs lecteurs y ont trouvé un souci commun, celui de rassembler les éléments épars et parfois contradictoires de l'Histoire de leurs pays pour la rendre plus intelligible. Leurs ouvrages ont permis aux jeunes générations de lire le passé, moins comme une succession de ruptures, d'affrontements et de crimes que comme un puzzle formé de multiples pièces aux contours et aux reflets divers.

 

Les deux " fraternels adversaires " ont voulu poursuivre ensemble ce chemin de mémoire autour de l'Histoire commune et conflictuelle de leurs patries. Aussi incroyable que cela puisse paraître, plus de cinquante-huit ans après la capitulation nazie c'est certainement la première fois qu'une telle entreprise avait lieu, la première fois qu'à partir de leur expérience, un Français et un Allemand acceptaient d'échanger, de confronter voire de réfuter leurs points de vue sur les années 30 et la guerre.

 

Au verbe exhaustif, inlassable d'August von Kageneck, puisant au plus profond de sa mémoire, répondaient les propos d'Hélie de Saint Marc, plus laconiques, composés de faits précis suivis d'une analyse sobre, incisive, rarement dénuée d'ironie. Leur commune volonté de comprendre n'a jamais laissé de côté un scepticisme de méthode.

 

L'Allemand a raconté la liaison que sa famille entretient avec la France depuis des siècles. Chez les Kageneck, la langue de Molière était considérée comme celle de la conversation et des usages les plus raffinés. Mais ce sont des soldats parlant cette langue qui ont occupé son pays, après 1918, lui faisant dire qu'il est né " sous l'occupation française ". De là date peut-être la relation complexe et passionnée qu'il a contractée avec la France jusqu'à en adopter le passé et les turbulences. En 1955, il s'est installé à Paris puis a épousé la veuve d'un officier français.

 

Chez Hélie de Saint Marc aussi, ont resurgi des images enfouies. Les premiers uniformes vert-de-gris croisés place de la Comédie, à Bordeaux ; les accents gutturaux venus du Rhin résonnant dans la ville, les mêmes qu'il entendra au fond de la nuit, à Buchenwald et au camp satellite de Langenstein. Les mêmes, encore, dans la bouche de ses légionnaires en Indochine : plus de la moitié des soldats de sa compagnie étaient allemands. Et comment aurait-il imaginé qu'il reviendrait non loin du lieu de son calvaire, cette fois pour se marier, en 1957, à Neustadt, où son beau-père était en garnison ? Et qu'un jour, ses livres paraîtraient traduits en allemand, donnant à ses propres souvenirs un écho à la fois familier et troublant ?

 

Chacun des protagonistes a lu les livres de l'autre. Dans leur esprit, il ne s'agit pas d'égrener une nouvelle fois des faits d'armes. Ils savent que " l'ancien combattant " n'a guère plus cours aujourd'hui. Mais ils n'ignorent pas non plus que l'Histoire s'est accélérée, que certaines phases de leur vie paraissent déjà aux lycéens d'aujourd'hui aussi lointaines et insolites que les guerres napoléoniennes.

 

Leur propos n'est pas de s'ériger en professeurs d'Histoire contemporaine, mais plutôt de contribuer à l'édification d'un récit subjectif, constitué de souvenirs épars rassemblés au gré de discussions et d'échanges écrits qui ont duré plus de deux ans .

 

Quelques coups de projecteurs sur des replis de la mémoire, pour aider à éclaircir le passé. Quitte à laisser pour compte des aspects de leur époque qu'ils n'auraient pas vécu, qui leur seraient étrangers ou qu'ils auraient simplement oublié. Ce risque et ses conséquences, ils l'ont assumé pour s'attacher aux événements considérés de leur promontoire personnel : l'avènement de Hitler vu par un enfant de onze ans, le passage de la Ligne de démarcation par un adolescent épris de liberté, l'offensive de Russie relatée par un simple chef de peloton, la France de la Libération sous les yeux d'un déporté de vingt-trois ans...

 

Dans ce face-à-face intime et amical, ils ont accepté la présence d'un intrus. À moi le rôle de monsieur Loyal, chargé de mettre en harmonie le récit de ces existences exceptionnelles. À moi aussi celui du " Huron " de Voltaire. Alors que jusqu'alors l'Histoire m'était essentiellement apparue comme nichée dans les fonds d'archives, au risque parfois de conserver jalousement son secret, soudain elle jaillissait sous les traits de deux contemporains capitaux, de ces témoins qui m'avaient manqué jusqu'alors. Grâce à August von Kageneck et Hélie de Saint Marc, elle prenait chair. Mieux, elle se mettait à ma disposition pour répondre à toutes mes questions, me révéler à voix haute ce que les livres ne m'avaient pas forcément appris : la violence de la vie politique dans la République de Weimar des années 20, l'attitude de la société allemande face à Hitler, l'organisation et la vie quotidienne au camp de Buchenwald : pourquoi ? comment ? Tous deux se sont prêté de bonne grâce à cet exercice, acceptant les interrogations ou les incompréhensions d'un de leurs cadets né jour pour jour vingt ans après la capitulation de l'Allemagne.

 

Ensemble, ils ont voulu faire à leurs compatriotes le récit de l'existence d'un Allemand et d'un Français au cours d'un XXe siècle de fer et de sang. Pour que leur histoire devienne aussi notre histoire.

 

Étienne de Montety

 

 

 

Hélie de Saint-Marc est l'auteur des Champs de braises et des Sentinelles du soir. August von Kagueneck a écrit Vaincu et coupable.

 

Leur entretien a été conduit par Etienne de Montéty.