Projet de loi « confortant le respect des principes de la République » : quels mécanismes et quelles ruptures ?

Source [cap.issep.fr]  Par un collectif de juristes du CAP de l’ISSEP. « Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. Il est la manifestation d’un projet politique conscient, théorisé, politico-religieux, dont l’ambition est de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune que nous nous sommes librement donnée. Il enclenche une dynamique séparatiste qui vise à la division » [1].

Il est souvent reproché aux responsables politiques de ne pas nommer clairement l’un des grands maux de notre société : l’islam radical et son pendant violent le terrorisme islamique. Le projet de loi « confortant les principes républicains », initialement nommé « loi contre le séparatisme » semble clairement désigner l’ennemi dans son exposé des motifs.

Il est à noter que l’inflation législative qui se traduit après chaque attentat, par de grandes annonces suivies d’un empilement de textes législatifs, n’a pas permis jusqu’alors de porter un coup d’arrêt à cette « dynamique séparatiste ». Parmi les mesures qui seront prochainement débattues au Palais Bourbon, certaines révèlent l’état avancé de décomposition civilisationnelle de la Nation, notamment lorsque la Représentation nationale se voit contrainte de légiférer pour supprimer les pensions de vieillesse partagées entre plusieurs femmes d’un couple polygame (article 15 du projet) ou encore pour interdire les certificats médicaux de virginité (article 16). Il est d’ailleurs regrettable que le Gouvernement aborde cette question du « séparatisme » sans jamais faire le lien avec la question migratoire.

Une nouvelle fois, à la suite du double attentat de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice en octobre 2020, le Gouvernement répond par un projet de loi, cas d’école juridique de la « loi bavarde » qui, bien qu’introduit par des formules grandiloquentes telles que « la République est une volonté jamais achevée, toujours à reconquérir » (ibid), se montre fort peu révolutionnaire, ni même réellement novateur, en matière de lutte contre l’islamisme (3). Ce projet de loi contient également plusieurs dispositions qui touchent d’importantes libertés fondamentales et appellent donc à la plus grande vigilance.

Les lecteurs de cette analyse ne manqueront pas de constater un décalage entre la volonté affichée : « garantir le respect des principes républicains » (Titre Ier du Projet de loi) face à l’islamisme, et la plupart des mécanismes qui sont introduits, lesquels sont bien souvent des doublons juridiques, de simples reformulations ou la transcription dans la loi de jurisprudences établies. A titre d’illustration, l’article 18 du projet de loi est supposé créer une « nouvelle » infraction pénale de mise en danger de la vie d’autrui en ces termes : « Le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens, est puni de trois ans d’emprisonnement ». Quelle est la valeur ajoutée de cette disposition, alors que l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit la même infraction en des termes similaires, et de façon plus sévère ?

A côté de ces articles relativement neutres sans réelle incidence, ce projet de loi contient également des mesures générales qui bouleversent plusieurs libertés publiques fondamentales. Certaines dispositions du texte concernent cinq lois fondamentales : la liberté de la presse (loi de 1881), l’instruction primaire obligatoire (loi de 1882), la liberté d’association (loi de 1901) la séparation des Églises et de l’État (loi de 1905) et l’exercice public des cultes (loi de 1907). Il conviendra donc de faire preuve d’une grande vigilance et d’analyser en quoi les mesures proposées constituent, à certains égards, une atteinte manifestement disproportionnée auxdites libertés publiques au regard du but poursuivi.

La sagesse d’un législateur se mesure à la clarté de dispositions législatives dont l’objet doit être défini précisément et les effets correctement délimités. Nous verrons que ce nouvel « ordre républicain », qui semble se substituer à la notion d’ordre public – sécurité, tranquillité et salubrité publique – (4), devient en réalité un Code moral voire idéologique qui risque de laisser une latitude arbitraire à l’Etat et aux juges dans l’application des textes. En clair, le législateur pêche par ce que l’on appelle « l’incompétence négative », c’est-à-dire que le législateur a omis d’inscrire explicitement dans la loi les principes tirés de libertés constitutionnelles (6). La sanction de cette omission est l’inconstitutionnalité de la loi, déclarée par le Conseil constitutionnel.

Ce projet de loi comporte des formules principielles (« la haine ») particulièrement vagues, risquant ainsi de voir des juridictions ou des administrations interpréter largement les dispositions de ce texte pour en accroître dangereusement la portée au détriment des libertés publiques. Le Conseil d’Etat l’a d’ailleurs souligné dans son avis préalable (7).

Ce texte ne se prête donc pas à un jugement global positif ou négatif, chacune des dispositions pouvant être distinctement analysée comme neutre, nocive ou positive. Car, en effet, quelques mesures semblent toutefois bienvenues si tant est qu’elles survivent à la censure potentielle des juridictions européennes voire même du Conseil constitutionnel.

Il convient d’opérer donc une synthèse et une analyse des mesures contenues dans cette loi.

Le texte est divisé en deux grandes parties : le titre 1 se propose de « garantir le respect des principes républicains » en six chapitres qui traitent respectivement du service public, de la vie associative, de la dignité de la personne humaine, de l’éducation, de la haine en ligne et du logement. Le titre 2 s’attache à « garantir le libre exercice du culte » en modifiant certaines dispositions des lois de 1905 et de 1907 relatives à la séparation des Eglises et de l’Etat, à l’organisation et à la police des cultes.

A/ Dispositions relatives au service public

Ainsi, les mesures du Chapitre 1er s’attachent à renforcer la neutralité du service public. En l’état actuel du droit, l’ensemble des agents travaillant au sein d’une collectivité ou d’une administration titulaire de prérogatives de puissance publique sont soumis à une obligation de neutralité, c’est-à-dire à l’interdiction de manifester une quelconque croyance religieuse ou politique dans l’exercice de leurs fonctions, y compris par le port d’un signe ostentatoire (9).

Jusqu’alors, la loi ne prévoyait pas que les organismes parapublics, tels que les caisses d’allocations familiales, les organismes privés collaborant au service public ou encore les entreprises bénéficiaires d’une délégation de service public, soient soumis au même principe de neutralité. Toutefois, une jurisprudence bien établie imposait cette neutralité (10). Le projet de loi consacre donc ces obligations jurisprudentielles dans la loi, ce qui constitue une clarification positive des règles en vigueur. Dès lors le service public, qu’il soit exécuté directement par une personne publique ou par un prestataire de droit privé, emporte automatiquement l’application du principe de neutralité aux personnels affectés à la mission (11).

Cette disposition ne fera donc que conforter une pratique déjà installée. Il est regrettable que la loi n’aborde pas la question des revendications religieuses et de la propagande islamiste des salariés dans les entreprises privées non délégataires d’un service public, laissant ainsi les chefs d’entreprise désarmés. Si dans ce domaine certaines possibilités d’exiger la neutralité religieuse existent pour l’employeur[2], la jurisprudence est particulièrement changeante et laisse de nombreux chefs d’entreprise en état d’insécurité juridique face au communautarisme islamique de certains de leurs salariés (12).

Un législateur cohérent aurait dû aussi s’emparer de la question des collaborateurs bénévoles du service public, tels que les accompagnatrices scolaires portant le voile, qui ne sont pas légalement soumises à cette obligation de neutralité religieuse. Ce sujet pose pourtant de nombreuses difficultés aux directeurs d’écoles et entraine régulièrement des polémiques. De même, à l’occasion de cette loi, il eut été pertinent de relancer le débat sur l’extension de l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’Université.

Le chapitre relatif au service public est complété par la création d’un « déféré laïcité » permettant au Préfet de suspendre les actes des collectivités territoriales qui méconnaissent « gravement » la neutralité du service public, sous le contrôle du juge administratif. Dans le droit actuel, le pouvoir de substitution du préfet au maire se borne principalement à la carence de ce dernier dans l’exercice de ses pouvoirs de police (art. L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales), cette disposition cherche donc probablement à élargir le cadre d’intervention du pouvoir de substitution du préfet.

Il conviendra d’observer, dans la pratique, si ce contrôle préfectoral renforcé est efficace et comment est appréciée la gravité d’un manquement au principe de neutralité. La pratique administrative et la jurisprudence seront ici décisives : par exemple, les horaires différenciés dans les piscines pour les hommes et les femmes entrent-ils dans le champ du manquement « grave » à la neutralité du service public ? De fortes disparités territoriales risquent de survenir : des préfets rigoureux défèreront, par exemple, les actes administratifs des communes instaurant des menus de substitution ou hallal dans les restaurants scolaires, d’autres s’y refuseront. Le juge administratif sera tenu, à la place du législateur, de définir les atteintes graves au principe de neutralité. Une nouvelle fois sur ce point, le législateur s’abstient de définir et de délimiter le champ d’application du mécanisme qu’il créé, laissant à la pratique administrative et au juge le soin d’en établir la portée et les effets.

Les articles 4 et 5 concluent le chapitre et prévoient une protection renforcée des élus et agents face aux intimidations et menaces liées. Le dispositif de signalement de ces agissements à disposition des agents est étendu. Si l’intention est louable, il est peu probable qu’une infraction déjà existante et peu sanctionnée le soit davantage grâce au simple durcissement de la peine légale.

B/ Dispositions relatives aux associations loi 1901

Le chapitre 2 est conçu pour impliquer les associations dans la lutte contre le séparatisme. L’article 6 prévoit que « toute association qui sollicite l’octroi d’une subvention (…) s’engage, par un contrat d’engagement républicain, à respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public ».  Le projet de loi vise donc les cas où des collectivités locales imprudentes auraient subventionné une association avant de le regretter et qui souhaiteraient être remboursées (exemple cité d’une association sportive dont les dirigeants ont pu tenir des propos antisémites et qui s’était vue accorder 2000 euros et la disposition du gymnase municipal). Cet article a pour objectif d’élargir les possibilités de réclamation de remboursement d’une subvention.

Néanmoins, la solution consistant à faire signer à toutes les associations un engagement à respecter les principes et valeurs de la République (ce que le projet de loi appelle un « contrat d’engagement républicain ») soulève de nombreuses difficultés. D’abord car « les valeurs de la République » n’ont pas de qualification juridique. Ensuite, car le contenu de cette charte est particulièrement flou et ouvre donc la voie à une interprétation arbitraire remettant en cause la liberté associative.

Il semble que le Gouvernement opte pour un engagement contraignant de nature contractuelle. Il est à noter que les collectivités ont déjà la possibilité de recourir à de telles conventions. Elles sont même obligatoires à partir de 23 000 euros de subvention. Notons par ailleurs que de nombreuses collectivités n’ont pas attendu ce projet de loi pour annexer aux conventions de subvention une annexe relative au respect des valeurs républicaines. On peut citer notamment le cas de la Région Île-de-France qui, depuis 2017, fait signer une « Charte régionale des valeurs de la République et de la laïcité » aux bénéficiaires de subventions.

Afin de ne pas se contenter d’un effet d’annonce, la loi devrait donc plutôt envisager de généraliser le recours obligatoire à des conventions (et non à des chartes) en y insérant des clauses ayant une réelle portée juridique comme, par exemple, une clause de restitution des subventions en cas de condamnation. 

Les articles suivants ont pour objectif de renforcer et d’élargir les motifs conduisant à la dissolution d’une association par décret en Conseil des ministres, régime spécial prévu par l’article L. 212-1[3] du Code de la sécurité intérieure. L’article 8 du projet permettrait de dissoudre également une association « en cas d’atteinte à la dignité de la personne » ou lorsqu’elle exerce des pressions « psychologiques ou physiques sur les personnes, notamment les personnes vulnérables que sont les enfants ». Il est à noter que la loi prévoit déjà la possibilité de dissoudre les associations qui « provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes (…) soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ». Si la possibilité de dissoudre « en cas de pression psychologique » est une option clairement nouvelle, l’apport d’une précision sur les « atteintes à la dignité humaine » est moins évidente et il reviendra très vraisemblablement au juge d’en définir les contours, sans doute dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la dignité humaine (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge, n° 136727) selon laquelle le respect de la dignité humaine est une composante de l’ordre public. Mais l’on peut s’interroger sur le caractère large et vague de tels concepts qui laissent une importante marge de manœuvre aux autorités publiques et au juge.

Par ailleurs, le législateur compte procéder à la réécriture de cet article, en ajoutant après « provoquent » l’expression « ou contribuent par leurs agissements », une évolution sémantique dont la portée juridique n’a, une fois encore, rien d’évident tant les deux expressions sont proches. La différence entre ces deux notions pourrait s’apparenter à la notion d’auteur ou de co-auteur en droit pénal.

L’article 8 prévoit également la possibilité de dissoudre une association en raison des actes (dans le périmètre de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure) perpétrés par un ou plusieurs de ses membres. Si cette disposition a de quoi interpeller de prime abord, plusieurs garde-fous sont prévus : l’acte incriminé doit être directement lié aux activités de l’association ou du groupement et le dirigeant associatif doit avoir eu connaissance de ces agissements et s’être abstenu de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser. Le projet de loi fige ici une pratique déjà existante et dont on peut admettre la légitimité.

L’article 8 prévoit enfin, en cas d’urgence, de créer un mécanisme de suspension conservatoire de tout ou partie des activités d’une association ou d’un groupement de fait, sans avoir à attendre la dissolution définitive en Conseil des ministres. La formulation est très succincte et, si l’on peut envisager des modalités telles que l’intervention du préfet sous le contrôle du juge administratif, il est malaisé d’identifier quelle réponse satisfaisante cette disposition pourrait apporter à certaines affaires comme celle de la grande mosquée de Pantin qui a ému l’opinion, sinon de gagner du temps.

Dans cette affaire, le président de l’association gestionnaire avait relayé sur la page Facebook de la mosquée – qui compte près de 10 000 abonnés -, une vidéo critiquant violemment le professeur Samuel Paty qui sera assassiné dans les conditions que l’on sait. Il avait aussi laissé révéler l’identité du professeur et l’adresse de son collège puis avait invité à s’en prendre à lui (sans toutefois aller jusqu’à un appel au meurtre). Cette mosquée, manifestement, accueillait en son sein la mouvance islamiste radicale ; et des fidèles étaient partis faire le djihad au Moyen-Orient.

Le Préfet a fait une pleine application de l’article L. 227-1 du Code de la sécurité intérieure qui l’autorise à ordonner la fermeture d’un lieu de culte pour une durée maximale de six mois pour prévenir la commission d’actes de terrorisme. Cette durée maximale a pu sembler insuffisante, mais la liberté de culte est une liberté fondamentale ; la fermeture d’un lieu de culte pendant six mois lui porte une atteinte considérable. Le Conseil constitutionnel a fait de cette limite maximale une condition pour ne pas censurer les dispositions de l’article L. 227-1 du Code de la sécurité intérieure (13). La loi prévoit déjà la possibilité de compléter la fermeture par des mesures individuelles telles que l’interdiction de fréquenter certaines personnes, mais seulement pour une période de douze mois puisqu’il s’agit une restriction des libertés (ibid). N’oublions pas en effet qu’il s’agit de mesures préventives et non pas répressives, autrement dit qui interviendraient après une condamnation.

Les articles suivants (10, 11 et 12) prévoient de nouvelles mesures visant à contrôler les associations et fonds de dotation qui perçoivent des dons déductibles des impôts.

Le nouvel article 222 bis du Code général des impôts obligera les associations bénéficiaires de subvention publique à déclarer à l’administration fiscale, dans les trois mois de la clôture de leur exercice comptable (et au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1er mai), le montant global des dons reçus l’année précédente et le nombre de documents délivrés au cours de cette période (14).

On pourrait toutefois s’interroger sur la pertinence de la création d’une obligation administrative et fiscale supplémentaire qui n’apportera pas nécessairement la garantie d’un contrôle réel et efficace.

 

C/ Dispositions relatives à la dignité humaine

S’agissant des mesures concrètes proposées sous ce troisième chapitre, le législateur entend notamment supprimer les pensions de vieillesse partagées entre plusieurs femmes d’un couple polygame (article 15). Sur le principe, cette disposition est certainement utile. Lors de la loi Pasqua, le Conseil constitutionnel a admis en 1993 que le motif de « polygamie » n’était pas légitime pour maintenir les regroupements familiaux, mais la vérité toute crue doit être de dire que les CAF et la CNAV ne respectent pas ce qui devrait être l’interdiction absolue de reconnaitre un effet de droit à la polygamie sur notre sol. Son interdiction se déduit seulement de l’article 147 du Code civil. La prohibition n’est pas ici proclamée, on la contourne.  Sur le papier, le Code de la sécurité sociale (nouvel art L.161-23-1 A) vient mettre fin au partage de la pension, mais le Gouvernement n’entend pas réviser les 11 accords bilatéraux de sécurité sociale souscrits, ayant valeur supérieure à la loi. En d’autres termes, du fait de l’accord avec le Mali, les « quatre épouses de monsieur » continueront de jouir d’une pension. Ensuite le projet de loi affirme que les pensions antérieures ne devraient pas être concernées. Cela ne vaut que pour l’avenir, et hors pays ayant une convention précitée avec la France. Le texte est donc en partie insatisfaisant et sans doute sans grande efficacité pratique.

Il est ensuite prévu l’interdiction de la délivrance de certificats de virginité (article 16) et la pénalisation du professionnel de santé qui procède à la délivrance d’un tel certificat. Sur ce point, rien ne démontre que les codes de déontologie ne permettaient pas déjà de sanctionner efficacement (allant jusqu’à radier) un praticien se livrant à cet acte qui n’est ni un soin ni justifié thérapeutiquement. Cet article a au moins le mérite de clarifier la situation et ce, bien que Marlène Schiappa ait attribué cette pratique aux courants évangéliques, tentant certainement à se prémunir contre l’accusation d’« islamophobie », l’objet du texte visant pourtant le séparatisme islamiste, tout du moins dans son introduction.

Une disposition vient renforcer les obligations de l’officier d’état civil en cas de doute sur le consentement libre afin de lutter plus efficacement contre les mariages forcés (article 17). L’officier d’état civil devra s’entretenir séparément avec les futurs époux après l’audition commune, s’il a un doute sur le caractère libre du consentement. Cette audition séparée, qui était jusqu’alors une simple possibilité offerte à l’officier d’état civil, devient donc une obligation. Il aura également l’obligation de saisir le procureur de la République si ses doutes persistent. Jusqu’alors le Code civil prévoyait une simple possibilité de saisine lorsque des indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé était susceptible d’être annulé (article 175-2). Cet article part donc d’une bonne intuition : renforcer la responsabilité de l’officier d’état civil dans la détection et la dénonciation des mariages forcés mais la procédure mise à disposition restant quasiment identique et basée sur le critère subjectif du « doute » de l’officier d’état civil, sa valeur ajoutée reste donc à démontrer.

Enfin, il est prévu de créer une « réserve générale de polygamie » pour la délivrance de toute catégorie de titre de séjour (article 14). Actuellement, l’état de polygamie n’est pas opposable dans toutes les situations pour refuser ou retirer un titre de séjour ; ce sera désormais le cas. Il convient toutefois de préciser que la réserve générale de polygamie risque d’entrer en conflit avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (15).

De telles mesures vont dans le bon sens, bien qu’elles révèlent l’échec collectif à contenir l’émergence et la multiplication de pratiques culturelles et religieuses d’origine étrangère, fortement dégradantes pour les femmes sur le sol français.

 

D/ Dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne

Les articles 18, 19 et 20 dont on peine à comprendre l’efficacité, et même l’utilité, constituent ce chapitre 4. L’objectif affiché consiste à renforcer les sanctions pénales et la rapidité des procédures à l’encontre des auteurs de discours incitant à la violence ou à la discrimination sur internet.

Le texte semble comporter une contradiction qui le rend inopérant puisqu’il permet d’envisager la mise en œuvre de la procédure de la comparution immédiate (ce qui n’était pas possible jusqu’à présent pour les délits de presse) tout en permettant, dans le même temps, de neutraliser cette même procédure de comparution immédiate par la mise en œuvre de l’article 42 de la Loi du 29 juillet 1881 (qui fixe le principe de la responsabilité dite « en cascade »). Or, l’article 42 est toujours opposable en matière de délit de presse sur internet, puisque le titulaire d’une page Facebook, par exemple, peut être considéré comme un directeur de la publication ou un auteur. Il en va de même pour l’application de l’article 93-3 de la Loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

 

Outre le fait, déjà cité en introduction, que le législateur est en train de créer un doublon législatif de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui contient le régime pénal applicable aux infractions de presse et de contenus en ligne, ces dispositions se heurteront fatalement à la mauvaise volonté des hébergeurs à fournir l’identité des contrevenants. Ces dispositifs vont complexifier un régime juridique français qui a pourtant fait la preuve de leur efficacité.

Toutefois, ce chapitre risque de donner des idées à ceux qui souhaitent censurer la liberté d’expression. En effet, il est à craindre le retour de nombreuses dispositions de la « Loi Avia » censurée par le Conseil constitutionnel, puisque le Ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a déclaré en commission y être favorable.

 

E/ Dispositions relatives à l’éducation

La loi du 28 juillet 2019 dite « pour une école de la confiance » abaisse l’âge de l’instruction obligatoire de six à trois ans, supprimant l’option des parents d’envoyer ou non leurs enfants à l’école maternelle.

Par le présent projet de loi, le principe général d’instruction obligatoire, issu de la loi du 28 mars 1882 portée par Jules Ferry, est remplacé par un principe général de scolarisation obligatoire. L’article 21 du projet de loi interdit désormais, par principe, aux parents de choisir d’instruire leurs enfants à la maison sauf accord dérogatoire.

Certes, face aux inquiétudes, le Gouvernement a inséré quatre exceptions qui permettront à certains parents de continuer d’instruire leurs enfants au domicile familial. Mais là où le principe était la liberté, celle-ci devient l’exception. Les quatre exceptions sont les suivantes :

  • L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
  • La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
  • L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire ;
  • L’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La quatrième condition est celle que les parents attachés à l’instruction à la maison tenteront de faire valoir pour conserver ce droit. Il est toutefois à craindre, considérant le sens particulièrement imprécis des termes de « capacités », de « situation particulière à l’enfant » et « d’intérêt supérieur de l’enfant », qu’une nouvelle fois le législateur laisse à l’administration un pouvoir arbitraire et démesuré.

Le principe de scolarisation obligatoire sera désormais inscrit dans la loi, et un régime d’autorisation (donc un pouvoir de refus de l’administration) remplace le régime de déclaration préalable.

Le projet met gravement en cause une liberté fondamentale et constitutionnelle, la liberté de l’enseignement, qui implique à la fois, le droit d’ouvrir une école ou d’enseigner et le droit des parents de choisir le système d’enseignement (Conseil constitutionnel n° 77-87 DC du 23 novembre 1977). Cela inclut la possibilité de choisir le cadre familial, s’il est jugé préférable pour le développement et la sensibilité des enfants et pour les orientations religieuses ou philosophiques de la famille. Contrairement à ce que certains textes tentent d’accréditer (loi du 18 décembre 1998, circulaire du 14 mai 1999, décret du 31 mars 2015), « l’école à la maison » n’est pas une exception ou une dérogation par rapport aux autres formes d’enseignement, c’est une forme comme les autres. Il est d’autant plus important de le rappeler qu’avec la loi du 26 juillet 2019 ayant abaissé l’obligation d’instruction de six à trois ans, la scolarisation à domicile séduit de plus en plus de parents désireux de laisser l’enfant se développer en famille à son rythme. Au demeurant, la pertinence d’une disposition aussi radicale n’est pas avérée alors qu’aucun des individus français impliqués dans les divers attentats et réseaux djihadistes depuis des années n’est issu de l’école à domicile ni même d’une école hors contrat. Ils sont tous de purs produits de l’école publique laïque et républicaine. Cette disposition apparaît donc disproportionnée et sera très certainement inefficace dans le cadre de la lutte contre le séparatisme islamiste.

Il convient de s’interroger sur la finalité d’une telle disposition. En effet, le Ministre de l’Education nationale reconnaît lui-même, lors de son audition en commission, n’avoir connaissance d’aucun chiffre pour établir une corrélation entre l’école à domicile et le « séparatisme islamiste » (17). Il assure cependant que les « remontées du terrain » feraient état de ce phénomène. Il faut donc le croire sur parole, à défaut de pouvoir mesurer précisément le problème.

Cette interrogation est d’autant plus légitime que Jean-Michel Blanquer n’a pas manqué de préciser le but de cette mesure, en ces termes :

« Combien d’enfants instruits en famille sont-ils devenus des terroristes ? Je pense que ce n’est vraiment pas la bonne façon de poser le débat. Nous ne visons pas que les futurs terroristes – heureusement. Ce que nous souhaitons, c’est assurer l’unité de notre société et prévenir des phénomènes que je qualifierai de fragmentation » (18).

Le Ministre admet que ce nouveau principe de scolarisation obligatoire ne vise pas exclusivement la lutte contre l’islamisme, mais poursuit l’objectif d’une uniformisation sociale à travers l’école publique.

Encore plus surprenant : ce projet de loi ne traite à aucun moment des problèmes de l’influence islamiste, de radicalisation ou de « séparatisme » au sein de l’école publique et ce, malgré le récent assassinat du professeur Samuel Paty.

Quant aux établissements scolaires sous contrat, le contrat d’association avec l’État devient « subordonné à la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public », ce qui touche au cœur le « caractère propre » reconnu par la loi de 1959 organisant les relations entre l’enseignement privé et l’État. C’est l’intégration au « grand service public de l’éducation » souhaité jadis par Alain Savary par les programmes scolaires. La doctrine de l’Éducation nationale devient la norme éducative. « Chacun jugera du respect de la liberté de l’enseignement, liberté constitutionnelle. » comme l’explique le professeur Guillaume Drago[4].

Concernant l’enseignement, le projet de loi ne s’arrête pas là. Les articles suivants (22, 23 et 24) créent un dispositif de contrôle renforcé des écoles hors contrat déjà fortement contrôlées par la loi du 13 avril 2018, dite Loi Gatel. A nouveau, le régime de simple déclaration devient un régime d’autorisation et les nouveaux articles créent un régime administratif encore plus contraignant : un régime de fermeture administrative d’école (article 22), un renforcement des incriminations pénales (article 23) et un durcissement des conditions permettant la conclusion d’un contrat entre une école privée et l’Education nationale (article 24).

Les quelques dizaines d’écoles ayant hébergé des enseignements islamistes sont, encore une fois, le déclencheur d’une emprise renforcée de l’Etat sur l’ensemble des écoles hors contrat. Cela semble d’autant plus injuste qu’un certain nombre d’exemples d’écoles coraniques évoqués en appui de cette loi sont des écoles clandestines qui échappent donc par nature au cadre légal.

En l’état actuel du droit, le contrôle de l’État sur les établissements hors contrat « se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l’obligation scolaire, à l’instruction obligatoire, au respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale » (20). Cet équilibre semble suffisant ; aller plus loin notamment en matière de contenu des enseignements, de méthode et de rythme d’apprentissage reviendrait à nier leur spécificité. Dans le cadre du droit actuel, une réelle volonté politique de surveiller et de contrôler les écoles coraniques identifiées comme à risque aurait été suffisante pour protéger les enfants et limiter le prosélytisme islamiste. A nouveau, pour lutter contre l’islamisme, nul besoin de légiférer mais plutôt d’action et de cohérence. Cela permettrait d’éviter de pénaliser l’ensemble des écoles privées qui, pour l’immense majorité d’entre elles, ne présentent aucun risque pour la sécurité et la cohésion nationale. Là encore, l’atteinte à la liberté constitutionnelle d’enseignement pourrait être reconnue par le Conseil constitutionnel, en ce que le régime de déclaration d’ouverture de ces établissements hors contrat serait remplacé par un régime d’autorisation, portant atteinte à la liberté d’enseignement.

Les difficultés sont principalement techniques : ainsi de l’affaire de l’école hors contrat Al Badr de Toulouse qui consacrait l’essentiel de son temps à l’apprentissage de l’arabe et du Coran ; celle-ci aurait parfaitement pu être fermée. En l’espèce, le refus de fermeture tient au non-respect des droits de la défense. Il eût fallu indiquer au directeur ce qu’il fallait modifier afin qu’il le fasse, le cas échéant (Cour administrative d’appel Bordeaux, 2e chambre, 30 juillet 2019, n°17BX03127, Association Les Enfants de Demain c/ Ministère de l’Éducation nationale). C’est uniquement pour cela que le juge administratif a annulé les décisions administratives de fermeture – ce qui a retardé celle-ci – et cette affaire en dit plus sur la nécessité de renforcer les compétences juridiques de l’inspection académique.

Cette école ayant fini par fermer ses portes a été immédiatement remplacée par une école Avicenne, dans les mêmes locaux, mais avec une autre direction. Évidemment, l’on peut craindre qu’elle perpétue les pratiques nocives de la précédente ; néanmoins, les anciens responsables ayant été écartés, il n’y a pas de raison juridique d’interdire l’ouverture de ce nouvel établissement s’il n’enfreint pas le Code de l’éducation. Si c’était une école non musulmane, ou si elle avait été fermée pour un autre motif, sanitaire par exemple, personne ne trouverait à y redire. En revanche, on peut espérer une extrême vigilance de l’inspection académique lors des prochains contrôles.

 

F/ Dispositions destinées à « garantir le libre exercice du culte »

Ces dispositions sont contenues dans le titre II du projet de loi. Mais l’expression n’est pas adéquate, tant les mesures proposées sont, là encore, particulièrement contraignantes pour les associations cultuelles. De prime abord, il est tentant d’imaginer que le renforcement des contraintes régissant le culte permettrait de lutter plus efficacement contre les dérives islamistes de certains lieux de culte musulmans sauf que la loi étant de portée générale, le projet de loi prévoit un renforcement du contrôle de toutes les associations cultuelles, y compris chrétiennes ou juives.

Dorénavant la reconnaissance du caractère cultuel de l’association sera préalablement soumise au représentant de l’État dans le département et valable pour une durée de cinq ans renouvelable (article 27 du projet de loi). Il reviendra donc au Préfet de reconnaître ou non un culte en tant que tel, ce qui constitue une atteinte au principe de séparation des pouvoirs temporels et spirituels, principe pourtant constitutif de la loi de 1905, puisque cet article entraine une forme de mise sous tutelle des cultes par l’Etat ; sans compter le risque contenu de disparités de traitement selon les territoires en remettant ce contrôle à son représentant local, le Préfet.

Pour ainsi dire, cette condition nouvelle est donc sans doute contradictoire avec le principe de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, selon laquelle « la République ne reconnaît aucun culte », auquel le Conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle. Or, cet agrément du caractère « cultuel » de l’association est une forme de reconnaissance par une autorité de l’Etat. Cet agrément pour une durée du cinq ans risque de fragiliser fortement ces associations dans la durée, soumise à une « épée de Damoclès » de la reconnaissance par l’Etat.

L’article 26 fait obligation aux associations de compter au moins sept membres domiciliés dans la commune ou la circonscription religieuse définie par leurs statuts afin d’essayer d’éviter un contrôle extérieur. Sur ce point, l’on voit tout de suite qu’il suffira d’augmenter le nombre de membres pour contourner la règle. Il aurait mieux valu indiquer que le nombre des résidents devait revêtir « un caractère significatif ». Cette disposition aurait simplifié l’interprétation du texte par le juge administratif plutôt que de mettre un seuil aisément surmontable. En toute hypothèse, on sait que les associations cultuelles sont souvent contournées, ce qui limite l’efficacité de leur contrôle.

Les associations cultuelles bénéficiant de fonds étrangers seront plus fortement encadrées. Elles devront déclarer à l’administration toute ressource supérieure à 10 000 euros venue de l’étranger avec un droit d’opposition de l’administration. Leurs comptes devront également être certifiés par un expert-comptable lorsque l’association bénéficie d’avantages ou de ressources venus de l’étranger (article 36 et 38). Si l’intention est louable, à savoir réguler les influences étrangères islamistes, il est à noter que ces obligations contraignantes risquent de mettre en difficultés financières de nombreuses associations cultuelles ne présentant pourtant aucun risque, comme par exemple celles du culte protestant dont les financements proviennent notamment des Etats-Unis et du Canada.

Par ailleurs, ces financements étrangers problématiques ne concernent pas seulement les associations cultuelles. La loi se cantonne pourtant au contrôle exclusif de ces associations. Rappelons, pour soulever l’étendue du problème, que le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), dissout à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, a reçu des subventions de la Commission européenne en 2013 et 2017 ou encore 35 000 euros en 2012 de l’Open Society du milliardaire Georges Soros…

Quelles sont les mesures d’encadrement des cultes prévues par ce projet de loi et dont l’objectif est de « conforter les principes républicains » ?

Depuis les lois de 1905 et de 1907, la pratique du culte est adossée à une structure spécifique disposant de la personnalité morale appelée association cultuelle. Depuis 1924, un accord entre la France et le Vatican a permis aux catholiques de se constituer en associations diocésaines sous le régime associatif général et non cultuel. De la même façon que les associations de droit commun, la constitution de ces associations à objet cultuel était soumise à une simple déclaration préalable. Il convient de préciser que l’organisation des cultes était libre, considérant leur caractère séparé de l’Etat.

S’agissant de la police des cultes, et jusqu’alors, la séparation des Eglises et de l’Etat impliquait une liberté d’expression plus importante pour les ministres du culte que pour les laïcs. La religion relevant du domaine spirituel, l’Etat s’abstenait d’intervenir dans le cadre de cérémonies religieuses. Or, le projet de loi va manifestement accroitre le contrôle sur le contenu des cérémonies religieuses afin de s’assurer que ces cérémonies ne présentent pas de trouble à l’ordre public à raison des propos qui seraient tenus. S’il est nécessaire de lutter contre les prêches islamistes incitant à la violence ou à la commission d’actes de terrorisme, il est légitime de se demander pourquoi le Gouvernement n’utilise pas les nombreux outils législatifs, administratifs et judiciaires déjà existants pour lutter contre l’islamisme, sans qu’il soit besoin de porter une atteinte grave aux libertés fondamentales, et spécialement en l’espèce à la liberté de culte ?

Comme l’explique le professeur de droit constitutionnel Guillaume Drago[5] :

« Le plus préoccupant est un renforcement de la « police des cultes », de tous les cultes, sous couvert de mieux contrôler le culte musulman. Le projet de loi aggrave les peines pour non-respect des règles de 1905 (interdiction de tenir des réunions politiques dans les lieux de culte), et l’administration pourra contrôler ce qui se dit directement dans les lieux de culte « ou aux abords des lieux de culte », y compris pour ce qui relève des provocations à commettre des infractions ou en faisant l’apologie de crimes ou délits, conformément à la loi de 1881 (article 31 du projet de loi).

Ce choix peut se justifier s’il s’agit de prêches incitant à la haine, mais cette disposition concerne l’ensemble des cultes, sans distinction, comme s’ils étaient potentiellement tous des dangers pour l’État. La généralisation de cette mesure et son extension aux « abords » des lieux de culte risquent de conduire à un contrôle serré de ce qui se dit, quel que soit le culte concerné. Cette absence de distinction fait peser sur l’ensemble des cultes un risque sur l’équilibre, pourtant douloureusement acquis depuis plus d’un siècle, dans les rapports entre l’Etat et les Eglises.

 

Par ailleurs, il s’agit d’une extension de ce qui était déjà dans la loi de 1905 à l’article 35 : « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».

 

La loi de 1905, dans cet article 35, prévoyait donc déjà des mesures comparables. Pourquoi les autorités de l’État n’ont-elles pas utilisé jusqu’ici les armes juridiques dont elles disposaient ? Durcir la règle conduira-t-il l’État à mieux s’en servir ? »

 

Enfin, la loi du 2 janvier 1907, concernant l’exercice public des cultes, fait également l’objet d’une légère réécriture par l’article 33 : il s’agit d’uniformiser le contrôle des comptes de toutes les catégories d’associations qu’on appelle « mixtes », qu’elles soient sous le régime de la loi de 1905 (cultuelles) ou de celle du 1er juillet 1901 sur les associations (régime général de la liberté d’association). 

C’est une mesure bien venue qui vise à éviter l’opacité des financements et des activités comptables liées à l’exercice du culte quel que soit le moyen juridique utilisé pour assurer cet exercice. Il est à noter néanmoins que cette disposition est de nature à porter atteinte à la liberté de l’association, constitutionnelle comme on sait depuis la décision code 1901. Là encore, la tutelle de l’Etat s’étend sur tous au prétexte du contrôle de quelques-uns avec un sérieux risque d’intrusion sur les activités non-cultuelles des personnes morales. 

Par ailleurs, l’article 30 du projet de loi précise que les associations dites « mixtes », c’est-à-dire à la fois cultuelles et culturelles, sont automatiquement rangées par principe dans le régime des associations cultuelles. Elles seront donc soumises aux mêmes obligations que les associations dites loi de 1905 sans bénéficier des mêmes avantages. Cette disposition tient compte du fait que la plupart des associations rattachées au culte musulman sont enregistrées sous le régime plus souple de 1901 et non de 1905. Cela concernera aussi très largement les associations cultuelles catholiques. Ce fondement pourrait empêcher que des associations qui se prétendent culturelles, mais qui en réalité mènent des activités de nature cultuelle puissent percevoir des subventions.

Sur ce point, la disposition du projet de loi est donc bienvenue.

Conclusion : les libertés fondamentales à l’épreuve du « projet républicain »

« Notre République est notre bien commun (…). Elle représente bien davantage qu’une simple modalité d’organisation des pouvoirs : elle est un projet » (ibid. 1).

Il est regrettable qu’au nom de la poursuite de ce projet républicain, le Gouvernement porte ainsi atteinte à plusieurs libertés fondamentales de manière disproportionnée ou injustifiée et ajoute des contraintes, contrôles et restrictions à l’ensemble des citoyens, cultes et associations, alors que son intention initiale consistait, à travers ce projet de loi annoncé, à lutter contre le communautarisme et le séparatisme islamistes. Or, en dehors du propos introductif (exposé des motifs), il n’est question de l’islamisme à aucun moment tout au long des 51 articles de loi proposés par le Gouvernement.

Pour être à la hauteur de l’enjeu politique, une véritable audace juridique aurait pu consister à donner une caractérisation sectaire aux courants identifiés de l’islam radical et violent, permettant ainsi de les cibler spécifiquement sans nuire à l’ensemble des cultes pacifiques. Évidemment, cette caractérisation n’aurait pas été sans poser de difficultés dans la définition de son périmètre, tant la ligne est parfois floue entre l’islam politique et l’idéologie djihadiste.

La faiblesse des gouvernements successifs et leur incapacité à utiliser des outils existants de manière ciblée sur les individus, associations, mosquées ou écoles de la mouvance islamiste, conduit le pouvoir politique à empiler des législations contribuant ainsi au phénomène d’inflation législative sans pour autant garantir l’application de cette loi.

S’il est à noter quelques avancées ou précisions positives, un certain nombre de dispositions constituent une simple retranscription jurisprudentielle dans la loi voire un doublon avec le droit existant.

Il est par ailleurs regrettable que le Gouvernement n’ait pas profité de cette loi pour traiter un certain nombre de sujets essentiels comme celui de l’islamisme à l’école publique ou dans les entreprises privées non délégataires de service public.

L’on peut également s’étonner du refus de traiter cette question du « séparatisme » à l’aune de la problématique de l’immigration, sujet totalement absent du débat.

Enfin, rappelons que le vote d’une loi n’est en rien la garantie de son application et donc de son efficacité. Le sujet central est bien la non-application des lois françaises, le manque de courage et de cohérence politique et les défaillances et le laxisme de la chaine pénale. 

 

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(1) Le projet de loi confortant le respect des principes républicains fait suite à l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty par un terroriste islamiste et au double attentat de Nice.

(2)Rapport public du Conseil d’Etat, année 2006 : « La communication médiatique autour de la loi, parfois qualifiée de « gesticulation », et la précipitation du politique qui ne prend probablement pas, faute de temps, la part qui devrait lui revenir dans la conception des réformes, expliquent en partie l’instabilité de la norme et son absence de lisibilité. La force symbolique de la loi, caractéristique propre de la société française, ne favorise pas la recherche de solutions alternatives à l’élaboration de normes, et conduit à faire passer toute réforme importante par cet instrument. L’une des caractéristiques de l’exception française, liée aux colbertismes de droite ou de gauche, réside en effet dans la propension à attendre des miracles de la loi, à la juger en fonction de ses motifs plutôt que de ses conséquences, et à faire appel à l’État législateur à tout propos, en escomptant de la loi des résultats à la fois prompts, bienfaisants et exempts d’effets pervers. ». Le débat sur le caractère « bavard » de trop nombreuses lois est ancien.

(3)Article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales

(4) Chapitre III (Dispositions relatives à la dignité de la personne humaine) du Titre I (garantir le respect des principes républicains) du projet de loi confortant le respect des principes républicains

(5) L’incompétence négative se définit comme la carence du législateur à exercer pleinement sa compétence énoncée par l’article 34 de la Constitution : c’est le cas lorsque les dispositions législatives sont trop floues ou imprécises, donnant trop de champ d’interprétation au pouvoir réglementaire détenu par l’exécutif. Pour simplifier, le législateur délègue, par des dispositions creuses, le contenu du pouvoir législatif à l’exécutif, ce qui peut être considéré par le Conseil constitutionnel comme une inconstitutionnalité externe (autrement dit procédurale) de la loi. Il ne faut pas s’étonner : la majorité parlementaire du Gouvernement actuel est connue pour son manque d’expérience des travaux législatifs et sa forte soumission à ce dernier.

(6) Avis CE du 09 décembre 2020 : « Le Conseil d’Etat veille tout particulièrement, dans la version du texte qu’il adopte, à ce que les obligations générales énoncées dans la loi soient suffisamment précises pour ne pas être exposées au grief d’incompétence négative, et claires au regard des exigences d’intelligibilité de la loi. Le Conseil d’Etat admet à cet égard qu’une liste de principes puisse être énoncée. Il estime préférable que l’énumération de ces principes dans la loi ait un caractère limitatif ».

(7) L’argument téléologique « se rapporte à la science des fins, à la connaissance des finalités ; se dit de l’interprétation qui prend pour principe qu’une règle doit être appliquée de manière à remplir ses fins et interprétée à la lumière de ses finalités, principe d’interprétation extensive et évolutive » (Vocabulaire juridique, Gérard Cornu).

(8) Loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

(9) Soc., 19 mars 2013, n° 19-12.036 ; Article L.311-7-7 du Code du travail ; L.411 du Code de la construction et de l’habitation ; CE 23 février 1979, Vildart, n°09663 ; T.Confl. 17 février 1997, n°02988 ; T.Confl. 9 mai 2016, Madame Sabrina L. c/ OPH de Vitry-sur-Seine, n°4048.

(10) Article 1 du Projet de loi confortant le respect des principes de la République.

(11) Code du travail, article L.1121-1 ; voir cass. soc., 22 novembre 2017, 13-19.855

(12) Décision du Conseil constitutionnel n° 2017-695-QPC du 29-03-2018

(13) Avis du Haut Conseil à la vie associative concernant le projet de loi confortant les principes républicains, 2 décembre 2020

(14) « Cartel des Fraudes », Charles Prats, 2020

(15) Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit au respect de la vie familiale en matière de mesures d’éloignement du territoire : celle-ci estime en effet qu’une telle mesure, prise à l’encontre d’un étranger polygame ayant des enfants résidant régulièrement sur le territoire français constitue une ingérence disproportionnée dans sa vie familiale (ancienne Commission européenne des droits de l’homme, Alilouch El Abasse c/Pays-Bas, 6 janv. 1992, req. n°14501/89).

(16) Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education Nationale, lors de son audition devant la commission parlementaire chargée d’examiner le projet de loi : « On me demande parfois quels sont la proportion et le nombre d’enfants concernés par ce phénomène. Il est vrai qu’à ce stade nous avons plutôt des évaluations qu’un véritable décompte – justement parce que nous ne disposons pas encore des outils législatifs, et ultérieurement réglementaires, permettant de prendre la mesure exacte du problème. Quoi qu’il en soit, sur le terrain, nous voyons bien que le phénomène est loin d’être marginal. »

(17) Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education Nationale, lors de son audition devant la commission parlementaire chargée d’examiner le projet de loi.

(18) Décision du Conseil constitutionnel n°77-87 DC du 23 novembre 1977

(19) L. 442-2 du Code de l’éducation

(20) https://www.valeursactuelles.com/politique/projet-de-loi-contre-le-separatisme-pour-ne-pas-stigmatiser-lislam-letat-renforce-son-pouvoir-sur-toutes-les-religions-127651

(21) Alexis de Tocqueville, de la Démocratie en Amérique

 

 

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[1] Projet de loi confortant le respect des principes républicains, exposé des motifs, page 1.

[2] L’employeur privé peut retreindre les libertés individuelles de ses salariés, notamment les prestataires extérieurs de l’administration, à deux conditions : qu’elles soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Code du travail art. L. 1121-1). Cela en vue d’éviter soit le prosélytisme, soit une atteinte aux règles d’hygiène et de sécurité, à l’organisation du service nécessaire à la mission professionnelle ou aux aptitudes nécessaires à son accomplissement ainsi qu’à l’intérêt commercial ou à l’image de l’entreprise. Si le seul contact de la clientèle ne suffit pas à justifier de réduire la liberté de religion du salarié, les « intérêts de l’entreprise » (par exemple un contrat avec l’administration) peuvent justifier que l’employeur use de son pouvoir réglementaire pour prévoir une « clause de neutralité » interdisant le port visible de signes politiques, philosophiques ou religieux, sur le lieu de travail aux les salariés « en contact avec les clients ». Cette clause doit être « générale et indifférenciée » (ne distinguant ni entre les religions ni entre les salariés) et, si le salarié la refuse, plutôt que de le licencier, on doit chercher à lui proposer « un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients », mais « en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire » (Cour de cassation, chambre sociale, 22 novembre 2017, 13-19.855). Le contrat peut également prévoir une clause d’astreinte en cas de non-respect des obligations qu’il fait naître.

[3] [3] Actuellement, le Code de la sécurité intérieure (art. L212-1) permet de dissoudre une association par décret en conseil des ministres pour l’un des motifs suivants :

1° provoquer à des manifestations armées dans la rue ;

2° présenter, par sa forme et son organisation militaires, le caractère d’un groupe de combat ou une milice privée ;

3° avoir pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

4° tendre à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;

5° avoir pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ;

6° soit provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propager des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;

7° agir sur le territoire français ou à partir de celui-ci, en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.

[4] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-lutte-necessaire-contre-l-islam-radical-n-autorise-pas-a-brader-les-libertes-de-tous-20210121

[5] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-lutte-necessaire-contre-l-islam-radical-n-autorise-pas-a-brader-les-libertes-de-tous-20210121