Mgr Schneider analyse “Fratelli Tutti”  : une perspective naturaliste qui oublie la Rédemption

Source [Le blog de Jeanne Smits] Mgr Athanasius Schneider a livré à Diane Montagna, qui a mené les entretiens rassemblés dans le récent livre Christus Vincit, ses réflexions sur l’encyclique Fratelli Tutti, dont il met en évidence le naturalisme qui côtoie quelques expressions fortes, dépassant son « horizon naturaliste étroit ». Qu’il s’agisse des références trompeuses à saint François ou des emprunts au vocabulaire maçonnique, Mgr Schneider n’hésite pas à souligner les faiblesses d’un texte qui oublie la centralité du Christ et le véritable but de la vie humaine qui ne se résume pas au bien-être ici-bas. Je vous propose ci-dessous ma traduction de cet entretien, parue en exclusivité sur le site anglophone The Remnant et validée par Mgr Schneider. – J.S.

Diane Montagna : Excellence, quelle impressions générale vous a laissée la nouvelle encyclique du pape François, Fratelli Tutti ?

Mgr Schneider : 

Cette nouvelle encyclique donne l’impression générale d’être une instruction bavarde sur l’éthique de la coexistence pacifique fondée sur les mots clefs « fraternité » et  « amour », entendus dans une perspective fortement temporelle et hautement politique, afin de « faire renaître un désir universel d’humanité » (Fratelli Tutti, n° 8). Bien que l’encyclique ait recours à des passages clefs de l’Évangile, comme la parabole du Bon Samaritain (voir Luc 10, 25-37) et les paroles du Christ lors du Jugement dernier, où Il s’identifie avec les personnes dans le besoin comme « le plus petit d’entre les miens » (voir Mt 25, 40), elle en applique néanmoins le sens dans une perspective plus humaniste, propre au monde d’ici-bas. Dans l’ensemble, l’encyclique manque d’un horizon clairement surnaturel ; elle ne fait aucune référence à des mots tels « surnaturel », « Incarnation », « Rédempteur », « Pasteur », « évangélisation », « baptême », « filiation divine », « pardon divin des péchés », « salvifique », « éternité », « ciel », « immortel », « Royaume de Dieu » ou « du Christ ».Tout en affirmant de façon louable que « le Christ a versé son sang pour tous et pour chacun, raison pour laquelle personne ne se trouve hors de son amour universel » (n° 85), l’encyclique réduit ensuite malheureusement le sens de la rédemption surnaturelle à la perspective nébuleuse et séculière d’une « communion universelle ». On peut y lire ceci : « C’est de là que surgit “pour la pensée chrétienne et pour l’action de l’Église le primat donné à la relation, à la rencontre avec le mystère sacré de l’autre, à la communion universelle avec l’humanité tout entière comme vocation de tous” » (n° 277). Mais la primauté doit être donnée, dans toutes les relations humaines, à la rencontre avec Jésus Christ, Dieu et Homme, et avec la Sainte Trinité, par la grâce sanctifiante et par le don de la vertu surnaturelle de l’amour. Le pape François déclare à juste titre dans Fratelli Tutti, n° 85 : « Si nous allons à la source ultime, c’est-à-dire la vie intime de Dieu, nous voyons une communauté de trois Personnes, origine et modèle parfait de toute vie commune. » Ailleurs, il affirme : « D’autres s’abreuvent à d’autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité se trouve dans l’Évangile de Jésus-Christ » (n° 277). Cependant, la dignité humaine et la fraternité parfaites pour tous les êtres humains ne peuvent avoir qu’une seule source, et c’est Jésus-Christ, car c’est uniquement à travers le Fils de Dieu incarné que la dignité humaine a été restaurée de façon encore plus admirable qu’elle ne l’était au moment de sa création (Ordo Missae, Prière de l’Offertoire). Il aurait été très utile que Fratelli Tutti souligne la nécessité pour tous les hommes de croire en Jésus-Christ, Dieu et Homme, afin de trouver la source indispensable d’une véritable fraternité, ainsi que la clef pour résoudre les problèmes des sociétés temporelles.

Le pape François ouvre la nouvelle encyclique en notant que son titre, Fratelli Tutti, est tiré des Admonitions adressées par saint François à ses frères. Vous avez affirmé dans votre livre Christus Vincit que saint François vous a inspiré à suivre le Christ dans la vie religieuse. Selon vous, l’utilisation de ces textes par le pape François est-elle fidèle à ce que saint François voulait dire ?

Le pape François utilise ici l’expression Fratelli Tutti (« tous frères ») d’une manière qui est clairement différente de celle de St François. Pour saint François, « tous les frères » sont ceux qui suivent et imitent le Christ, c’est-à-dire tous les chrétiens, et certainement pas l’ensemble des hommes, et encore moins les adeptes de religions non chrétiennes. Nous pouvons le constater en examinant le contexte plus complet duquel ces mots sont tirés :« Considérons, frères, le bon Pasteur : pour sauver ses brebis, il a souffert la Passion et la Croix.

A sa suite, les brebis du Seigneur ont marché à travers les souffrances, les persécutions, les humiliations, la faim, les maladies, les tentations, et toutes sortes d’épreuves. En retour, elles ont reçu du Seigneur la vie éternelle. Nous devrions avoir honte, nous, les serviteurs de Dieu. Car les saints ont agi ; nous, nous racontons ce qu’ils ont fait, dans le but d’en retirer pour nous honneur et gloire » (Admonitions, 6).En effet, saint François « n’avait pas pour habitude de caresser les vices des grands, mais il y portait le fer ; ni de traiter avec ménagements la vie des pécheurs, mais leur assénait de sévères admonestations ; il s’en prenait aux grands et aux petits avec la même vigueur » (Legenda Major, 12, 8) Le pape François présente saint François comme s’il avait été un défenseur de la diversité des religions. La visite de saint François au sultan Malik-el-Kamil en Égypte n’avait cependant pas pour but de montrer « son cœur sans limites, capable de franchir les distances liées à l’origine, à la nationalité, à la couleur ou à la religion » (Fratelli Tutti, n° 3). Son but précis était au contraire de prêcher au sultan l’Évangile de Jésus-Christ. Il est regrettable que le pape François, dans Fratelli Tutti, réduise saint François à un homme « désireux d’étreindre tous les hommes » et à un exemple de « “soumission” humble et fraternelle, y compris vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas sa foi » (n° 3). Saint Bonaventure atteste dans la Legenda Major que saint François a explicitement prêché l’Évangile au sultan, l’invitant, lui et tout son peuple, à se convertir au Christ, en écrivant : « Il prêcha au sultan Dieu Trinité et Jésus sauveur du monde, avec une telle vigueur de pensée, une telle force d’âme et une telle ferveur d’esprit… » (Legenda Major, 9, 8). En outre, en même temps que saint François prêchait l’Évangile au sultan, il envoya cinq frères prêcher l’Évangile aux musulmans d’Espagne et du Maroc. Lorsque saint François reçut la nouvelle de leur martyre, il se mit à crier : « Maintenant je puis dire que j'ai vraiment cinq frères ! » (Analecta Franciscana, III, 596).Toute la tradition catholique a toujours présenté saint François comme un saint apostolique et véritablement missionnaire. Le pape Pie XI écrivait : « Saint François était “l’homme catholique et tout apostolique”. Sans cesser de travailler, avec un succès merveilleux, à l’amendement des chrétiens, il s’occupait de ramener les infidèles à la foi et aux commandements du Christ ; il voulut de même que ses religieux s'y appliquassent de toutes leurs forces » (Encyclique Rite Expiatis, 37).

Selon vous, quels sont les points forts ou les éléments positifs de cette nouvelle encyclique ?

L’un des passages les plus lumineux et théologiquement fondés de Fratelli Tutti est cette affirmation du Pape François : « Si nous allons à la source ultime, c’est-à-dire la vie intime de Dieu, nous voyons une communauté de trois Personnes, origine et modèle parfait de toute vie commune. » (n° 85). Cette affirmation est une véritable lumière au milieu de l’horizon naturaliste étroit, du relativisme religieux et du manque de perspective surnaturelle de cette encyclique. Un autre élément important est le rejet par le pape François de toute tentative de construire une société contre le plan de Dieu. Il écrit : « la construction d’une tour (la Tour de Babel)… une tentative malavisée, née de l’orgueil et de l’ambition, de créer une unité différente de celle voulue par Dieu dans son plan providentiel pour les nations (cf. Gn 11, 1-9) » (n° 144). Tout aussi significatives sont les déclarations suivantes, qui reflètent l’enseignement du pape Benoît XVI : « Sans la vérité, l’émotivité est privée de contenus relationnels et sociaux » (n° 184) ; « La charité a besoin de la lumière de la vérité que nous cherchons constamment et “cette lumière est, en même temps, celle de la raison et de la foi” (Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate), sans relativisme » (n° 185). Le pape François rappelle également l’importance de vérités objectives toujours valables, fondées sur la nature humaine selon le dessein de Dieu sur la création, en affirmant qu’il existe « vérités élémentaires qui doivent ou devraient être toujours soutenues, (…) elles transcendent nos contextes et (…) ne sont jamais négociables, (…) en elles-mêmes, elles sont considérées comme stables en raison de leur sens intrinsèque » (n° 211), et que « par conséquent, il n’est pas nécessaire d’opposer la convenance sociale, le consensus et la réalité d’une vérité objective » (n° 212).En outre, Fratelli Tutti met en garde contre un faux universalisme et le virus d’un individualisme radical (voir n° 100). À ce propos, le pape François écrit : « Il existe un modèle de globalisation qui “soigneusement vise une uniformité unidimensionnelle et tente d’éliminer toutes les différences et toutes les traditions dans une recherche superficielle d’unité. […] Si une globalisation prétend [tout] aplanir […], comme s’il s’agissait d’une sphère, cette globalisation détruit la richesse ainsi que la particularité de chaque personne et de chaque peuple » (n° 100). Les déclarations suivantes de Fratelli Tutti visent également à protéger le droit des nations à leur propre identité et à leurs traditions : « Il n’y a d’ouverture entre les peuples qu’à partir de l’amour de sa terre, de son peuple, de ses traits culturels » (n° 143) ; « Il n’est possible d’accueillir celui qui est différent (…) que dans la mesure où je suis ancré dans mon peuple, avec sa culture » (n° 143) ; et « le bien de l’univers exige également que chacun protège et aime sa propre terre » (n° 143). Fratelli Tutti parle également à juste titre du « sens positif du droit de propriété » (n° 143).Le pape François élève la voix contre une société inhumaine, qui n’accepte que les forts et les sains et méprise et élimine ceux qui sont malades et faibles. Il écrit : « Tout être humain a le droit de vivre dans la dignité et de se développer pleinement, et ce droit fondamental ne peut être nié par aucun pays. Il possède ce droit même s’il n’est pas très efficace, même s’il est né ou a grandi avec des limites. Car cela ne porte pas atteinte à son immense dignité de personne humaine qui ne repose pas sur les circonstances mais sur la valeur de son être. Lorsque ce principe élémentaire n’est pas préservé, il n’y a d’avenir ni pour la fraternité ni pour la survie de l’humanité » (n° 107). Il faut également saluer ces affirmations importantes du Pape François dans Fratelli Tutti : « Il faut reconnaître que “parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme et mettent les valeurs mondaines et matérielles à la place des principes suprêmes et transcendants” » (n° 275) ; et : « Le bien et le mal en soi n’existent pas, mais seulement un calcul d’avantages et de désavantages. Ce glissement de la raison morale a pour conséquence que le droit ne peut pas se référer à une conception essentielle de la justice mais qu’il devient le reflet des idées dominantes. Nous entrons là dans une dégradation : avancer “en nivelant par le bas” au moyen d’un consensus superficiel et négocié. Ainsi triomphe en définitive la logique de la force »(n° 210).

Le pape François a présenté Fratelli Tutti comme une réflexion sur le document d’Abou Dhabi, qu’il a signé avec le Grand Imam el-Tayeb en février 2019. Vous avez ouvertement exprimé votre inquiétude à propos de ce document, en particulier sa déclaration selon laquelle la « diversité des religions » est « une sage volonté divine ». Cette nouvelle encyclique a-t-elle apaisé ou aggravé ces inquiétudes ?

Fratelli Tutti consacre un chapitre entier au thème « Les religions au service de la fraternité dans le monde » (ch. 8).

Le titre révèle déjà en lui-même une certaine forme de relativisme religieux. Les religions sont considérées ici comme un moyen qui permet la fraternité naturelle. On est donc amené à entendre la religion comme un moyen de promouvoir le naturalisme. Cela est contraire à l’essence du christianisme, qui est la seule et unique religion véritablement surnaturelle. La foi chrétienne ne peut être mise sur le même plan que les autres religions sans discernement ; ce serait trahir l’Évangile. L’affirmation selon laquelle « À la faveur de notre expérience de foi… nous savons, nous croyants des religions différentes, que rendre Dieu présent est un bien pour nos sociétés » (n° 274) favorise le relativisme religieux, puisque le concept de « Dieu » est assurément différent selon les différentes religions. Il existe également des religions dans lesquelles on rend un culte aux mauvais esprits. On ne peut pas mettre le concept de Dieu dans la religion chrétienne au même niveau qu’une religion qui pratique l’idolâtrie. L’Écriture Sainte dit que « tous les dieux des nations sont des démons » (Psaume 96:5), et saint Paul enseigne que « ce que les païens (gentils) immolent, ils l'immolent aux démons, et non à Dieu » (1 Cor 10:20). Selon la Révélation divine et l’enseignement constant de l’Église, le concept de « foi » signifie ceci :« Puisque l’homme dépend tout entier de Dieu comme de son Créateur et Seigneur, puisque la raison créée est absolument sujette de la vérité incréée, nous sommes tenus de rendre par la foi à Dieu révélateur l’hommage complet de notre intelligence et de notre volonté. Or, cette foi, qui est le commencement du salut de l’homme, l’Église catholique professe que c’est une vertu surnaturelle, par laquelle, avec l’aide de la grâce de Dieu aspirante, nous croyons vraies les choses révélées… Mais, parce qu’il est impossible sans la foi de plaire à Dieu et d’être compté au nombre de ses enfants, personne ne se trouve justifié sans elle » (Concile Vatican I, Dei Filius, ch. 3).Par conséquent, les adeptes des religions non chrétiennes n’ont pas le don de la vertu surnaturelle de la foi et ne peuvent donc pas être appelés « croyants » au sens propre du terme. Les non-chrétiens n’acceptent pas la Révélation Divine donnée par Jésus-Christ. Par conséquent, leur connaissance de Dieu et leur pratique religieuse ne sont qu’une expression de la lumière de la raison naturelle, et non de la foi. Le Magistère infaillible de l’Église l’enseigne cela, en déclarant :« Dans son enseignement qui n’a pas varié l’Église catholique a tenu et tient aussi qu’il existe deux ordres de connaissances, distincts non seulement par leur principe, mais encore par leur objet : par leur principe, attendu que dans l’un nous connaissons par la raison naturelle, dans l’autre par la foi divine ; par leur objet, parce qu’en dehors des choses auxquelles la raison naturelle peut atteindre, il y a des mystères cachés en Dieu, proposés à notre croyance, que nous ne pouvons connaître que par la révélation divine… Si quelqu’un dit que la révélation divine ne peut devenir croyable par des signes extérieurs, et que, par conséquent, les hommes ne peuvent être amenés à la foi que par la seule expérience intérieure de chacun d’eux, ou par l’inspiration privée ; qu’il soit anathème » (ibid., ch. 4 et can. 3 de fide).Les chrétiens ne sont pas simplement des « compagnons de route » des adeptes de fausses religions – religions que Dieu interdit (Fratelli Tutti, n° 274). A cet égard, on peut rappeler cette affirmation théologiquement précise de Paul VI : « Notre religion instaure effectivement avec Dieu un rapport authentique et vivant que les autres religions ne réussissent pas à établir, bien qu’elles tiennent pour ainsi dire leurs bras tendus vers le ciel » (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n° 53).Plusieurs expressions de Fratelli Tutti traduisent sensiblement le même relativisme religieux que celui qui est énoncé dans le document d’Abou Dhabi, qui affirme que « la pluralité et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine ». Fratelli Tutti n’a pas corrigé Abou Dhabi, mais l’a au contraire consolidé. La vérité que Notre Seigneur a révélée, et que son Église a constamment et immuablement proclamée, reste à jamais valable : « Le plus grand de tous les devoirs est d'embrasser d'esprit et de coeur la religion, non pas celle que chacun préfère, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables établissent comme la seule vraie entre toutes » (Pape Léon XIII, Encyclique Immortale Dei, 4).L’enseignement infaillible de l’Église dans la Constitution dogmatique Dei Filius du Concile Vatican I rejette l’enseignement faillible sur la « diversité des religions » exprimé dans le Document d’Abu Dhabi et dans Fratelli Tutti : « La condition de ceux qui ont adhéré à la vérité catholique par le don divin de la foi n’est nullement la même que celle de ceux qui, conduits par les opinions humaines, suivent une fausse religion » (ch. 3) ; et « Si quelqu’un dit que les fidèles et ceux qui ne sont pas encore parvenus à la foi uniquement vraie sont dans une même situation (…) qu’il soit anathème. » (ibid, can. 6 de fide).

Nous connaissons deux sortes de fraternité : celle du sang, en Adam et Eve, et celle de la grâce, en Jésus-Christ, par l’intermédiaire de l’Église et des sacrements. Quelle « nouvelle vision » (n° 6) de la fraternité le pape François propose-t-il dans cette encyclique ? Et en tant qu’évêque et successeur des Apôtres, pouvez-vous encourager les fidèles à aspirer à la vision de la fraternité que le pape François propose dans cette encyclique ?

La vraie fraternité, qui plaît à Dieu, est la fraternité dans et par le Christ, le Fils de Dieu incarné. Le cardinal Ratzinger (Benoît XVI) a bien délimité le concept chrétien de fraternité, quand il a dit : « “Vous n’avez qu’un seul Maître, et vous êtes tous frères” (Mt 23, 8). Avec cette parole du Seigneur, la relation entre les chrétiens est déterminée comme une relation de frères et sœurs, comme une nouvelle fraternité de l’esprit, opposée à la fraternité naturelle, qui découle de la relation de sang » (Die Christliche Brüderlichkeit, München 1960, 13).

Il est indispensable de reconnaître la différence entre une fraternité fondée sur la nature, c’est-à-dire le lien du sang, et une fraternité fondée sur l’élection et la Révélation divines : « Si Dieu est le Père des peuples du monde uniquement par la création, il est en outre le Père d’Israël par élection » (ibid., 20).Dès le commencement, les chrétiens connaissaient la différence essentielle entre la simple fraternité naturelle et la fraternité par le baptême. Saint Jean Chrysostome a dit : « Car qu’est-ce qui fait la fraternité ? C’est le bain de la régénération, en vous donnant droit de donner à Dieu le nom de Père. » (Homélie 25 sur les Hébreux, 7). Dans le même ordre d’idées, saint Augustin écrit : « Ils ne cesseront d’être nos frères qu’en cessant de dire à Dieu: “Notre Père.” (…) (Quant aux) païens, nous ne les appelons pas nos frères selon l’Écriture et dans le langage de l’Eglise » (En. In Ps. 32, 2, 29).Tout catholique et tous les pasteurs de l’Église, à commencer par le Pape, devraient brûler de zèle et d’amour pour tous ceux qui, par malheur, ne sont que nos frères selon la chair et le sang, afin qu’ils puissent naître de Dieu dans la filiation surnaturelle dans le Christ, et devenir vraiment frères dans le Christ. Si les responsables de l’Église de nos jours se contentent de la fraternité de chair et de sang, des « fratelli tutti » en chair et en os, ils négligent le commandement de Dieu dans l’Évangile, à savoir le commandement de faire des membres de toutes les nations et religions les disciples du Christ, des fils dans le Fils unique de Dieu, des frères dans le Christ, en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et en leur apprenant à observer tout ce que le Christ a ordonné (voir Mt 25, 19-20). Pour une âme chrétienne un tel zèle est l’expression la plus profonde de l’amour du prochain : l’aimer comme on s’aime soi-même. Si votre filiation divine dans le Christ représente pour vous le plus grand don de Dieu que l’on puisse imagine – et il l’est, véritablement – alors il vous manque l’amour et la charité véritables pour votre prochain si vous ne brûlez pas du désir de lui communiquer ce don, bien sûr avec délicatesse et respect. Ne pas connaître le Christ, ne pas avoir le don divin de la foi catholique surnaturelle, et ne pas être baptisé, signifie que l’on n’est pas vraiment illuminé, que l’on ne possède pas la vraie vie de l’âme. Cela signifie rester dans les ténèbres et l’ombre de la mort, comme le dit l’Évangile (voir Lc 1, 79 ; Mt 4, 16 ; Jn 9, 1-41).Dans l’Église ancienne, le baptême était appelé à juste titre « illumination » (photismós) et régénération (anagénèse). Saint Augustin souligne la différence essentielle entre la vie mortelle donnée par la chair et le sang et la vie éternelle donnée par le baptême : « Nous avons trouvé d’autres parents, Dieu notre Père et l’Église notre Mère, par lesquels nous sommes nés à la vie éternelle. Considérons donc de qui nous avons commencé à être les enfants » (Sermo 57 ad competentes, 2). Qu’elle est étroite, purement terrestre et appauvrie, la perspective temporelle que révèle cette déclaration de Fratelli Tutti : « Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères. » (n° 8). Une fraternité de sang, une fraternité limitée à l’ici et maintenant périssable, une fraternité limitée à la coexistence pacifique dans la bonté, implique une extraordinaire pauvreté spirituelle, une vie déficiente, un bonheur déficient, car dans une telle perspective manque la chose la plus importante dans le monde entier et dans toute l’histoire humaine, à savoir le Christ, le Dieu incarné, le Fils unique et éternel de Dieu, le frère, l’ami et l’époux de l’âme de tous ceux qui renaissent en Dieu.Qu’il est urgent que le Vicaire du Christ proclame aujourd’hui de nouveau au monde entier les paroles de son prédécesseur, Jean-Paul II : « Vous tous qui avez déjà la chance inestimable de croire, vous tous qui encore cherchez Dieu, et vous aussi qui êtes tourmentés par le doute, veuillez accueillir encore une fois, aujourd’hui et en ce lieu sacré, les paroles prononcées par Simon Pierre. Ces paroles contiennent la foi de l’Église. Elles contiennent la vérité nouvelle bien plus, la vérité ultime et définitive sur l’homme : le fils du Dieu vivant. “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant !” » (Homélie pour l’inauguration de son pontificat, 22 octobre 1978). Comme ce serait courageux, comme ce serait apostolique, comme ce serait magnifique, si ces paroles avaient résonné aussi dans Fratelli Tutti !  

Retrouvez l'intégralité de l'interview sur le blog de Jeanne Smits.

Propos de Mgr Athanasius Schneider,recueillis par Diane Montagna © leblogdejeannesmits pour la traduction.
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