Éloge du cours magistral

Source [Limite] « Nous voulons enseigner devant nos élèves, pas devant une caméra ! » Une récente tribune signée par plus de 200 professeurs dans Le Figaro alertait sur la tentation de banaliser l’école à distance. A rebours des gadgets de la pédagogie numérique, l’un des signataires poursuit la réflexion en réhabilitant l’exigeante simplicité du cours magistral.

Nous avons appris collectivement à mépriser le cours magistral, sans parvenir à nous en passer. On n’en avoue l’usage qu’à son corps défendant. L’affublant de toutes sortes d’attributs péjoratifs destinés à la disqualifier, nous voudrions bien enterrer le détestable réflexe de « la classe en autobus » qui favorise le « descendant », comprendre « la transmission verticale », aujourd’hui honnie. L’heure est au « co-working » qui repose sur un renouvellement du « design scolaire » : non content d’avoir supprimé les maudites estrades, symboles désuets d’une hiérarchie qui n’a plus lieu d’être, les spécialistes de « l’ingénierie pédagogique » appellent de leurs vœux des salles de classe «  collaboratives », où chaque « apprenant », blotti sur un pouf qui garantirait ses nerfs, en lieu et place des traditionnels bureaux dont chacun peut constater la violence physique, n’aurait à rendre de comptes qu’à lui-même.

Réduit au rôle d’inspecteur des travaux finis, l’enseignant serait bien inspiré de ne pas attendre davantage d’un cours que sa circulation d’un élève à l’autre, vérifiant que chacun ait bien pris sa part de cet étrange atelier de démocratie participative devenu l’ultima ratio de l’école. Mieux, depuis sa plateforme numérique, il pourrait valider les compétences effectuées en ligne au moyen des tablettes dont seraient désormais pourvus tous nos « digital natives ». Mieux encore pour les finances publiques : au moyen de leurs propres Smartphones qui sont, comme chacun s’en doute, de véritables supports de la connaissance. Au diable, toutes les enquêtes susceptibles d’enrayer la marche irrésistible de l’école numérique !

A l’heure où le « nouveau monde », faisant contre mauvaise fortune bon cœur, transforme la crise du coronavirus en une opportunité pédagogique et s’apprête à refonder l’école sur ces nouvelles bases, nous voudrions pourtant tenter l’éloge du cours magistral. Non comme d’un rite extraordinaire, destiné à enrichir le rite ordinaire d’une pédagogie résignée à l’horizontalité, mais comme la voie la plus simple, la plus juste et la plus efficace de la transmission. Loin de désigner la lecture de notes mal maîtrisées, qui risquerait fort de sombrer dans une désespérante récitation, le cours magistral suppose en effet l’élaboration d’une parole solide, nuancée et vivante, qui assume la responsabilité du monde face aux élèves.

Une parole solide

Le professeur doit maîtriser son cours autant que possible pour en restituer la cohérence et la complexité et, mieux encore, être habité par le sujet qu’il va traiter, pour le porter avec un surcroît d’enthousiasme. Cette solennité n’est pas l’exclusive des cours de khâgne, elle peut être partagée à tous les niveaux de l’enseignement et dans toutes les spécialités. L’enseignant doit prendre conscience qu’il n’est pas regardé par les élèves comme un de leurs pairs mais comme l’adulte dont ils attendent la flamme du sens, qu’ils pourront ensuite, selon leur tempérament, accueillir ou rejeter. Comment construisons-nous nos cours ? Leur trame n’est-elle que la reproduction de manuels ou de fiches rapidement diffusées sur Internet et mal appropriées ? Leur réalisation ne relève-t-elle que d’un programme qui nous oblige coûte que coûte, quitte à subir l’ennui et à la faire subir ? Pour alimenter nos élèves, nous avons nous-mêmes besoin de nous alimenter. Réduit à un catalogue de notions abstraites, servies sans conviction ni démonstration, l’enseignement de l’histoire comme de la géographie ne fait plus d’émules.

Où en sommes-nous de nos connaissances sur les questions apparemment les plus évidentes ? L’affaire Dreyfus ? Voilà vingt fois que nous la traitons ! La maîtrisons-nous pour autant ? Nous offre-t-elle seulement le prétexte historique de fournir à nos élèves une leçon de plus contre l’antisémitisme ou bien sommes-nous décidés à prendre notre discipline au sérieux, nous laissant guider en cela par le souci de comprendre l’époque et d’en restituer la complexité ? Ainsi par exemple, dans une enquête extrêmement fouillée des archives, Bertrand Joly, professeur d’Histoire contemporaine à l’université de Nantes et spécialiste de l’histoire du nationalisme vient défaire nos préjugés pédagogiques sur la question.

Contrairement à ce que laisse penser la fameuse caricature de Caran d’Ache où l’affaire Dreyfus pulvérise l’harmonie bourgeoise d’un repas dominical – à quoi l’on voit d’ailleurs que les images ont la vie plus dure que les idées -, l’affaire Dreyfus est loin d’avoir suscité une atmosphère de guerre civile en France entre 1894 et 1906 puisque mise à part la bonne société parisienne, personne ne s’y intéressait. Les Français étaient occupés à autre chose, et ne formaient pas le peuple antisémite, tardivement devenu républicain, qu’on nous présente complaisamment dans les manuels. A gauche autant qu’à droite, l’attachement à la Patrie comme à l’armée faisait l’objet d’un consensus national. On pourrait multiplier les exemples à travers lesquels la rigueur disciplinaire est sacrifiée à l’impréparation et à l’obligation civique des bons sentiments. Aussi, bien que nous ayons appris à vitupérer contre le roman national, nous lui avons bien souvent substitué les gommettes d’une éducation républicaine au rabais. Le roman n’était pas encore de l’histoire, mais il avait au moins quelques vertus littéraires et une certaine densité.

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