«Non, Madame Soupa, les femmes ne sont pas exclues de l’Église!»

Source [Le Figaro] La théologienne Anne Soupa avait suscité l’intérêt médiatique en se portant candidate pour devenir archevêque de Lyon - poste traditionnellement réservé aux hommes. Une autre théologienne catholique, Sandra Bureau, lui répond, estimant que la différenciation des rôles au sein de l’Église n’est pas synonyme pour autant d’une infériorisation des femmes.

Sandra Bureau est une vierge consacrée du Diocèse de Lyon, diplômée de l’Institut Catholique de Paris où elle a soutenu en 2011 une thèse en théologie dogmatique sur «L’inversion trinitaire chez H.U. von Balthasar». Elle enseigne actuellement au Séminaire Provincial Saint Irénée de Lyon après avoir été en charge de la formation des laïcs dans le Diocèse de Lyon. Elle est engagée dans la Communauté Aïn Karem.

Le 25 mai dernier, Madame Anne Soupa, féministe convaincue, constatant que dans l’Église catholique aucune femme n’avait encore été placée à la tête d’un Diocèse, ni même n’avait été admise à l’ordination, a voulu dénoncer cette situation jugée profondément injuste à ses yeux. Elle a donc profité de la vacance du siège épiscopal de Lyon pour proposer, par le biais des réseaux sociaux, sa candidature comme Archevêque de Lyon. Et cela en s’appuyant sur sa notoriété d’écrivain, de bibliste, de théologienne...

Comme catholique j’ai d’abord accueilli la publication Twitter de Madame Soupa, en tout contraire à la Tradition de l’Église, comme un de ces pamphlets qui offrent si peu de sérieux qu’à peine lus on les jette à la poubelle. Pourtant, même chiffonnée, écartée de ma vue, cette publication laissait en moi une interrogation profonde: comment une femme, partageant la même foi que moi, se disant, comme moi, théologienne, pouvait-elle dire cela? Comment pouvait-elle prétendre par-là défendre la place des femmes dans l’Église? Mystère. C’est donc en femme, et en théologienne que je voudrais réagir.

En théologienne d’abord. Il faut quand même avouer que l’argumentation de Madame Soupa présente des raccourcis saisissants, tant dans la forme (une ligne dans un tweet) que dans le fond. Et pour s’y laisser prendre il faut avoir plus de goût pour la polémique que pour la vérité, et somme toute peu de culture chrétienne - il est d’ailleurs saisissant que Madame Soupa appelle des non-catholiques, voire des non chrétiens, à la soutenir. Qu’on me permette donc de faire droit à la pensée théologique ici réduite à l’insignifiance et à l’instrumentalisation. Madame Soupa affirme en effet: «Si ma candidature est interdite par le droit canon, c’est tout simplement parce que je suis une femme, que les femmes ne peuvent être prêtre et que seuls les prêtres, en devenant évêques, dirigent l’Église catholique.» C’est avoir une bien médiocre vision du droit canonique que d’affirmer cela. Car le droit de l’Église n’est pas au-dessus de l’Église et moins encore au-dessus de la Révélation, il est au service de l’une et de l’autre. Il n’y a pas de «tout simplement parce que je suis une femme» qui tienne. Il y a au contraire toute la cohérence de l’histoire sainte, de cette économie par laquelle Dieu a voulu nous rejoindre en son Fils Jésus Christ, se faire homme pour nous arracher au péché et à la mort. Si le droit affirme que seul un homme (vir) peut être ordonné, c’est parce que Jésus, en son Fils, s’est fait homme, parce qu’il a épousé une humanité singulière, masculine (vir). Ni l’Église, ni son droit, ne sont au-dessus de ce que Dieu veut et fait, et ce faisant de ce qu’il nous dit qu’il est et de ce qu’il nous dit que nous sommes. Si nous nous plaçons au-dessus du dessein de Dieu sur l’homme au lieu de nous placer sous son regard, sous sa main bienveillante, alors nous ne pouvons plus voir ce qu’il veut pour nous, et a fortiori nous ne pouvons plus voir la place qui est nôtre.

Mais avant d’en venir à l’anthropologie, revenons à la théologie de l’Église. Si seuls les hommes peuvent être prêtres c’est précisément parce que notre religion est une religion de l’Incarnation, c’est parce que nous prenons au sérieux ce qui s’est produit une fois pour toutes en Jésus-Christ ; dans sa chair, dans ses faits et gestes, dans ses paroles. Sans quoi d’ailleurs il n’y aurait pas de Nouveau Testament, d’Église, de Sacrements. Oui le Christ n’a appelé que des hommes à être Apôtre, que des hommes à «avoir part» avec lui: «si je ne te lave pas les pieds, dit-il à Pierre, tu n’auras pas part avec moi» (Jn 13,8). Cette «part» est précisément le sacerdoce, cette configuration à sa charge mais aussi à son être, elle est ce qui habilite les Apôtres, dans le mémorial de sa Passion, la messe, à dire, en lieu et place du Christ, «ceci est mon Corps, ceci est mon Sang». Alors quand Madame Soupa affirme plus loin, pour défendre qu’une charge épiscopale peut être assumée par un laïc, que «les Douze compagnons de Jésus n’étaient pas prêtres. Pierre était même marié», elle omet pour le moins ce changement radical qui est intervenu à un moment de leur histoire et qui seul les a habilités à enseigner au nom du Christ, à sanctifier les fidèles et à diriger les communautés. Avec le sacerdoce de la Nouvelle Alliance, celui que confère le Christ, il ne s’agit plus comme dans le sacerdoce lévitique - dont effectivement ni les Apôtres, ni le Christ n’ont hérité - d’exercer simplement une charge mais de participer à la personne du Christ, de participer à celui-là seul qui est Prêtre, le Christ Jésus. Quant à dire que Pierre était marié, ou avait été marié, c’est indéniable puisqu’il avait une belle-mère! Nous savons que le célibat sacerdotal est une grâce faite à l’Église latine, et que l’Église d’Orient admet des prêtres mariés. Mais jamais l’Orient n’a retenu cet argument pour un épiscopat marié, elle n’ordonne à l’épiscopat que des prêtres qui ont fait choix du célibat. Ne faisons pas fi de la Tradition.

Si «les femmes ne peuvent être prêtre» ce n’est pas une déconsidération de la femme, c’est peut-être même sa considération la plus haute, en ne voulant pas faire des femmes ce qu’elles ne sont pas, des hommes - contrairement à notre civilisation occidentale qui ne voit l’avènement de la femme que dans son égalité pour ne pas dire sa confusion avec l’homme. Jésus est libre, libre comme personne de nous ne le sera jamais, libre de manger avec les pécheurs et les publicains, libre de s’approcher des lépreux ou des samaritains, libre de dénoncer toute injustice, toute inégalité sociale... libre aussi d’appeler des femmes. S’il ne le fait pas c’est non seulement parce qu’il n’y a là aucune injustice à dénoncer, mais encore parce que la femme a sa vocation propre, sur laquelle nous reviendrons. Ceci dit il ne suffit pas d’être homme, vir, pour être ordonné, il faut encore être appelé par Dieu, «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis» (Jn 15,16), et il faut que cet appel entendu au plus intime de la prière soit confirmé par l’Église, il faut, comme on dit, avoir «les aptitudes requises», être «jugé digne». Dans le cas de l’épiscopat il faut avoir reçu du Pape un mandat apostolique. Telle est la logique de l’élection par laquelle Dieu choisit quelques-uns au profit de tous. Logique qui n’est pas d’exclusion mais d’inclusion. Dieu, en effet, en choisissant Israël n’a pas exclu les autres peuples, il est passé par le Peuple élu pour attirer à lui la multitude des nations. Dieu en choisissant quelques hommes (vir) pour soutenir son Église n’exclut pas le reste des fidèles, il se sert d’eux pour la sanctification de tous. Donc contrairement à ce que dit Madame Soupa cette logique divine d’élection «n’exclut» pas 50 % de la population, elle «exclut» 98 % de la population.

Qu’on nous permette d’en venir à des considérations plus ecclésiales. Madame Soupa souligne avec regrets que «seuls les prêtres, en devenant évêques, dirigent l’Église». Et son regret est d’autant plus grand que cette charge pourrait selon elle parfaitement incomber à un laïc puisque, étymologiquement, «l’évêque est un surveillant, un protecteur qui observe et veille sur la cohésion et la rectitude doctrinale, d’un ensemble de communautés.» Je n’ai pas grand-chose à dire sur la fonction, si du moins elle désigne la gouvernance, mais sur la manière de déconnecter les fonctions les unes des autres et plus encore la fonction de l’ordination. Rappelons d’abord que le sacrement de l’ordre présente trois degrés, le diaconat, le presbytérat (ou sacerdoce) et l’épiscopat. L’épiscopat est la plénitude du sacrement de l’ordre. C’est donc en effet à l’évêque que revient de droit de gouverner le peuple de Dieu qui lui est confié. Mais cette charge est liée, intrinsèquement, à l’ordination reçue. Elle n’est pas un à côté, elle n’est pas le choix d’une communauté de confier à un homme une responsabilité particulière, temporelle. Jésus dit à Pierre: «tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église» (Mt 16,18). Chaque évêque reçoit dans son ordination cette charge de gouvernance, et chaque prêtre reçoit, pour sa part, dans son ordination cette charge de gouvernance. D’ailleurs le prêtre est configuré au Christ Tête, au Christ qui est la Tête de l’Église qui est son Corps. Il en va de même pour les deux autres fonctions (munera).

C’est en vertu de l’ordination reçue que l’évêque, ou le prêtre, peut sanctifier les fidèles, leur administrer les sacrements. Quelqu’un qui ne serait pas ordonné ne donnerait purement et simplement pas les sacrements, il ne donnerait purement et simplement pas le Corps du Christ, il ne donnerait purement et simplement pas l’absolution. Et c’est encore en vertu de l’ordination que l’évêque reçoit «le sûr charisme de la vérité» comme dit S. Irénée (AH, IV, 16,2) - ce qui n’enlève rien au travail des théologiens qui est une source d’enrichissement pour toute l’Église. C’est pourquoi c’est au Pasteur qu’il revient en premier lieu d’enseigner la communauté, d’annoncer l’Évangile. Déconnecter ces trois fonctions les unes des autres, et plus encore séparer la fonction de l’ordination, c’est perdre la nature de ces charismes. À l’évêque revient de plein droit de gouverner, enseigner et sanctifier le peuple de Dieu qui lui est confié, et cela lui revient en vertu de son ordination épiscopale. Celui qui n’est pas ordonné ne peut pas gouverner, celui qui n’enseigne pas la vérité ne peut gouverner, celui qui ne sanctifie pas ne peut gouverner.

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