L’immigration coûte bien plus que 6,57 milliards d’euros à la France

Source [Causeur] Dans un rapport publié le 5 mai 2020, la Cour des comptes analyse le coût « de l’entrée, du séjour et du premier accueil des personnes étrangères en France » pour l’année 2019. Un montant de 6,57 milliards d’euros y est notamment avancé. Depuis lors, cette estimation est abondamment relayée par la presse et de nombreux élus – notamment à droite – comme représentant le poids total de l’immigration pour les finances publiques. En réalité, cette somme ne constitue qu’une petite partie de l’ensemble, et son utilisation irréfléchie témoigne d’une large méconnaissance du sujet. Un certain nombre d’éclaircissements semblent donc s’imposer.

La Cour des comptes ne dit nulle part que l’immigration a coûté 6,57 milliards d’euros en 2019. Comme le précise très clairement la Cour dès l’introduction de ce rapport, ainsi que dans le document de synthèse, ses magistrats ne se sont pas intéressés au coût multidimensionnel et global de l’immigration pour les finances publiques. Leur analyse se concentre sur les seuls « procédures et dispositifs prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Les grandes masses budgétaires sont donc explicitement exclues : dépenses sociales comme l’assurance maladie, les retraites et l’ensemble des aides sociales de droit commun (type RSA et APL) ; dépenses liées à la justice et à la politique de sécurité ; dépenses des collectivités territoriales comme la prise en charge des mineurs isolés, etc.

Une fiabilité quasi-nulle

Le montant de 6,57 milliards d’euros est issu d’un document budgétaire qui n’est d’aucune fiabilité et qui sous-estime grandement les coûts de l’immigration. L’évaluation de 6,57 milliards d’euros est issue du document de politique transversale Politique française de l’immigration et de l’intégration. Il s’agit d’une annexe jointe chaque année au projet de loi de finances déposé par le gouvernement, afin de donner aux parlementaires une vision de l’ensemble des crédits destinés à certaines politiques publiques et d’éclairer leur vote en conséquence.

Élément considéré comme essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie, sa fiabilité est pourtant quasi-nulle. Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale souligne ainsi, dans son rapport relatif à l’évaluation des coûts et bénéfices de l’immigration en matière économique et sociale, publié le 22 janvier 2020, que ce document présente « de nombreuses approximations ou des incohérences ». L’Assemblée nationale donne deux exemples des lacunes qui rendent cette source inexploitable.

Le premier concerne la forte sous-évaluation des coûts de scolarisation des enfants immigrés par le ministère de l’Éducation nationale, qui n’impute à la politique d’immigration que le montant des dispositifs fléchés sur des enfants allophones ou issus de familles itinérantes et de voyageurs (0,5 % des effectifs). Elle pèse pourtant de façon beaucoup plus large sur les dépenses d’éducation – nombre de professeurs, infrastructures scolaires, d’autant que certains dispositifs ciblent en particulier les territoires où la population étrangère est surreprésentée. Cette réduction drastique du champ de vision conduit l’Éducation nationale à formuler une estimation dérisoire de 161 millions d’euros quant aux coûts de l’immigration dans son domaine d’action publique. Cette somme est à comparer à celle avancée par le ministère de l’Enseignement supérieur : 2,2 milliards d’euros, correspondant aux 10,6 % d’étudiants étrangers du secteur public.

Des administrations divergentes

Le second exemple concerne les coûts liés à la police aux frontières et ceux des infractions pénales spécifiques relevant du séjour sur le territoire, comme le refus d’exécuter une mesure d’éloignement. Là encore, l’asymétrie entre les chiffres fournis par la police nationale (1,2 milliard d’euros pour 2020) et ceux relevant de la gendarmerie nationale (28 millions d’euros) est édifiante quant à la fiabilité très relative du document présenté.

Ces points précis témoignent de l’absence de méthode commune au sein des administrations de l’État pour élaborer les annexes budgétaires et, plus généralement, du désengagement assumé de la Direction du Budget dans la formalisation d’une information financière fiable du Parlement. Ce désengagement est d’autant plus regrettable qu’il constitue une infraction réelle aux normes constitutionnelles et aux lois organiques relatives aux finances publiques.

Compte tenu de ces graves insuffisances, il est surprenant que la Cour des comptes ait repris tel quel et sans réserve le chiffrage des coûts de l’immigration proposé par ce document.

Le coût de l’immigration pour les finances publiques varie fortement en fonction des choix méthodologiques retenus. S’il n’existe à ce jour aucune étude permettant de le déterminer de manière précise et exhaustive, les montants évoqués par les analyses les plus complètes s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.

Comment (bien) évaluer le coût de l’immigration ?

Le calcul du coût de l’immigration nécessite de faire des choix de méthode qui ont une forte incidence sur les résultats obtenus. Prend-on en compte les immigrés stricto sensu ou faut-il ajouter leurs descendants – ce qui semblerait logique dans la mesure où les enfants d’immigrés sont directement issus de l’immigration ? Faut-il comptabiliser les coûts de l’immigration irrégulière ? Prend-on en compte les dépenses de l’État ou celles de l’ensemble des administrations publiques ? Se restreint-on aux dépenses individualisables, ou faut-il inclure les dépenses globales en déterminant la part imputable aux immigrés – par exemple s’agissant de la politique de la ville, qui bénéficie principalement à des territoires dans lesquels leur présence est particulièrement massive ?

L’étude de référence à ce sujet est celle publiée par le CEPII (service de recherche économique rattaché au Premier ministre) en 2018 : L’Impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France. Dans cette étude, pour la dernière année considérée (2011) et selon le scénario prenant en compte la première génération des descendants d’immigrés, le CEPII estime le coût de l’immigration à 1,64 points de pourcentage de PIB. Exprimé en points de PIB de 2019, cela équivaut à 40 milliards d’euros, bien au-dessus des 6,57 milliards évoqués dans le rapport de la Cour des comptes.

Plusieurs éléments permettent cependant de penser que ce chiffre sous-estime encore le coût réel de l’immigration. L’étude du CEPII s’arrête en 2011, alors que le phénomène migratoire a connu une forte hausse depuis dix ans. Cette étude exclut les coûts de l’immigration irrégulière, alors qu’ils sont extrêmement dynamiques depuis la crise des réfugiés de 2015. Enfin, ne sont prises en compte que les dépenses individualisables au niveau des foyers, ce qui réduit l’analyse aux dépenses sociales et d’éducation – lesquelles ne représentent que 66% de l’ensemble des dépenses publiques.

Des commentateurs trop légers

La forte médiatisation du rapport de la Cour des comptes témoigne de l’importance de la question migratoire pour l’opinion publique, ainsi que de la méconnaissance du sujet dont font preuve certains commentateurs et responsables politiques.

Le fort écho rencontré par le rapport de la Cour des comptes dès sa publication, notamment sur les réseaux sociaux, témoigne de l’importance de la question de l’immigration pour les Français – attention fréquemment rappelée par de nombreux sondages. Ainsi, selon une enquête ELABE Les Français et les mesures sur l’immigration du 6 novembre 2019, près de six Français sur dix considèrent que « l’immigration et l’asile sont des sujets majeurs ».

Il existe un décalage entre les citoyens qui perçoivent ou comprennent les conséquences de l’immigration, notamment sur les finances publiques, et de nombreuses personnalités politiques qui les sous-estiment. Les Français ne sont pourtant pas détrompés par leur intuition : dans un sondage IFOP de novembre 2018 pour le Journal du Dimanche, l’AJC et la Fondation Jean-Jaurès, seuls 9% des répondants considéraient que l’immigration jouait « un rôle positif sur l’équilibre des comptes publics ».

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