Dé-mondialisation passagère ou profonde ? Les entreprises américaines ont commencé à se désengager de Chine

Source [Atlantico] Les Américains ont décidé de faire fabriquer et de s’approvisionner en Chine depuis de nombreuses années. Le coronavirus remet ce choix en question. Les entreprises américaines commencent à quitter la Chine. Est-ce le début d’une "démondialisation" qui s’opère en ce moment ?

Atlantico.fr : Il y a plusieurs décennies, les Américains ont décidé de faire fabriquer et de s’approvisionner en Chine.  Il semblerait que le coronavirus remette en question ce choix. Vers quels pays pourrait se tourner les États-Unis : le Mexique ? Les pays d’Asie du Sud-Est - comme le Vietnam par exemple, avec un risque de hausse du  coût de production ? 

Jean-Paul Betbeze : Voilà des années effectivement que les États-Unis ont sous-traité une part croissante de leurs activités à la Chine, y faisant faire des produits simples et moins chers au début (vêtements et chaussures) puis de plus en plus sophistiqués (pièces d’ordinateurs et d’automobiles, appareils de mesure, robots…). Côté américain, il y avait l’idée de profiter d’une main-d’œuvre moins chère (et docile). Puis, des entreprises à capitaux américains se sont installées en Chine. Elles produisaient à grande échelle pour l’Amérique et d’autres marchés... Les États-Unis pouvaient donc continuer de croître, sans importer d’inflation et Alan Greenspan en remerciait la Chine ! En même temps, la Chine recevait des dollars en contrepartie de ses exportations et achetait des bons du trésor américain. Elle faisait donc crédit aux États-Unis pour qu’ils lui achètent, ce qui lui permettait de croître, d’étendre ses capacités et maîtrises industrielles.

Le COVID-19 met à jour cette dépendance industrielle, sachant que la Chine garde actuellement ses bons du trésor américain, même si elle pouvait en avoir besoin ! Mais le virus met surtout cette dépendance à jour, du fait des tensions entre Chine et Etats-Unis. D’où l’idée, la menace américaine (?) d’aller se servir ailleurs. Au Vietnam, pour tenter d’aiguiser des tensions avec la Chine ? Mais, c’est un pays communiste. Au Cambodge ? Mais la Chine y est très puissante, sinon au pouvoir. Au Mexique ? Mais, il faudra faire oublier certaines insultes et le mur. Surtout, rien ne sera facile dans toutes ces réorganisations. Il faudra de la main d’œuvre qualifiée, des robots, donc du temps de formation et beaucoup de crédits.

Les entreprises américaines commencent progressivement à quitter la Chine. Est-ce le premier pays d’une longue liste à se retirer ? Est-ce le début d’une « démondialisation » qui s’opère en ce moment ?  Le coronavirus a-t-il enclenché ce phénomène ?

Faisons bien attention à ne pas exagérer, ni extrapoler. La Chine a toujours besoin des États-Unis, pour qu’ils lui achètent, et les États-Unis de la Chine, pour qu’elle lui vende. L’offre chinoise répond en partie à la demande américaine. Et les États-Unis aiment bien que la Chine lui achète aussi du soja (elle n’achète plus de bons du trésor), soja que le Brésil voudrait tant lui vendre. Entre Chine et États-Unis, la dépendance est mutuelle. Elle va se distendre certes, mais la Chine freinera, et ces logiques de « distanciation » ne sont pas évidentes. Se rapprocher du Mexique, pourquoi pas ? Libérer le Venezuela ? Mieux encore, mais il faudra des milliards ! 

Il n’y a donc pas « démondialisation » mais « remondialisation », en fonction des rapports désormais plus concurrentiels que complémentaires, entre les deux premières économies du monde. Le Coronavirus n’a rien déclenché mais a révélé le tableau complet : la dépendance industrielle et technologique américaine, les « routes de la soie », les activités maritimes et militaires chinoises en Mer de Chine… Les États-Unis se sont rendu compte de leur erreur stratégique : la recherche de relations bilatérales, alors que la Chine était devenue une grande puissance multilatérale !

Incontestablement, la Chine reste une source d’approvisionnement  indispensable dans le monde entier, particulièrement en cette période de crise avec la fabrication massive d’ibuprofène, de masques,  de gants en caoutchouc et de respirateurs. Peut-on malgré cela imaginer une sorte de « nationalisation » de la production ? 

La Chine est à la pointe pour les fusées, les grands calculateurs, la recherche, notamment médicale, l’Intelligence artificielle. Elle a, chaque année, plus d’ingénieurs que les Etats-Unis au total ! La stratégie chinoise explicite est de dépasser les États-Unis dans la révolution industrielle qui se joue aujourd’hui. Si nous pensons que nous serons devenus indépendants parce que nous produirons des gants en caoutchouc, quand la Chine en sera à la 6G, nous avons choisi de perdre et d’être leurs sous-traitants ! La Chine ne produit pas des ventilateurs, seulement, mais des machines capables de faire des tests sur le virus. En France nous ne savons pas fabriquer de telles machines. Oui il y a guerres entre Chine et États-Unis, économique, financière, diplomatique, mais surtout sur les terrains scientifiques et technologiques, qui détermineront les autres : traitement des données, militaire, espace… Encore une fois, regardons les enjeux : la crise sanitaire éclaire toute la scène, profitons-en pour ne pas nous tromper… encore !

Un grand nombre de pays (dont la France, les Pays-Bas ou encore la Belgique) ont renvoyé des centaines de milliers de masques et de tests importés de Chine car ils ne répondaient pas aux critères de qualité. Ce fait peut-il encourager les pays à se désengager de la Chine pendant cette pandémie ou après celle-ci ? Pensez-vous que ce désengagement sera passager ? 

La concurrence mondiale n’est plus affaire de prix, mais de normes. Les masques chinois, vite faits, ne sont pas aux normes. Et ceux d’ici ? S’ils le sont, ce que j’espère, en a-t-on assez ? Il est impossible de « se passer de la Chine » comme de « se passer des États-Unis », sans un grand programme européen qui prenne en compte les enjeux géopolitiques actuels et futurs, avec l’Afrique. Mais, maintenant, chacun regarde ses comptes et son budget, et l’Histoire passe. Dans ce contexte, il s’agit plus de « réengagements » que de dégagements, nous verrons. Mais rien ne sera simple ni rapide, donc passager ou simplement réactif. Les États et les entreprises vont réfléchir, en fonction notamment des réactions et demandes de leurs clients : plus de "made in France ou in Europe". 

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