Le trou noir de la science économique : la famille

Source [Pierre de Lauzun] Il n’est pas sûr que la science économique soit complètement une science. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle fait de redoutables impasses. Qui ont l’air anodines au niveau des manuels universitaires, mais qui impactent dangereusement notre perception de la réalité et nos choix. La plus grosse de ces impasses, c’est la famille.

Communauté de base de la société, la famille assure gratuitement des prestations vitales pour cette société : outre la solidarité et les services mutuels de ses membres, c’est le lieu de la naissance et de l’éducation des enfants, donc en termes matérialistes de la reproduction de la société, l’endroit où se fait l’investissement le plus vital pour elle. Or ce travail essentiel n’est comptabilisé nulle part.

Pourquoi ? Parce que toutes les mesures d’activité économique sont basées exclusivement sur ce qui fait l’objet d’un paiement en argent. Toutes les transactions marchandes bien sûr, mais aussi toutes ce qui est lié à la puissance publique, impôts et prestations. Mais ce qui est donné ou échangé sans dimension monétaire n’est pas enregistré, donc pas analysé. Tout se passe comme si cela n’existait pas.

Or comme on l’a dit c’est vital, non seulement pour la vie commune, mais pour la vie économique en particulier, même au sens étroit dominant. Il y a donc une énorme faille dans l’analyse et donc dans la réalité des décisions. C’est ce qui fait par exemple qu’un célibataire qui épouse sa femme de ménage fait baisser le PNB, puisque la transaction marchande est remplacée par une prestation non rémunérée matériellement. Alors même que le service est le même, voire meilleur. Ou que le temps passé à éduquer des enfants soit compté pour zéro, car on ne compte que les dépenses extérieures qu’ils occasionnent, nourriture, logement et autres. Au même niveau que des animaux de compagnie. Remplacez vos enfants par des chats, vous ne changerez pas grand-chose économiquement. Pourtant à terme vous détruirez l’économie. Mais aucun indicateur ne vous le dira.

Résultat, la gigantesque dégradation collective qu’implique l’effondrement actuel de la natalité occidentale, l’absentéisme des parents, voire le relâchement de leur souci éducatif n’est enregistrée nulle part. Pire, elle permet l’augmentation du PNB, si les parents en profitent pour dépenser plus ailleurs, et surtout pour gagner plus. Les statistiques diront qu’il y a un progrès, alors qu’en termes de prestations réelles, il y aura régression, éventuellement mortelle.

L’impasse va même plus loin, car l’unité de base économique réelle n’est pas l’individu, mais la famille. Les gens prennent leurs décisions de dépense et d’investissement dans ce cadre. C’est donc là que la science économique devrait examiner leur comportement. C’est aussi ce cadre-là qui devrait être pris en compte dans les entreprises.

Faut-il verser un salaire aux mères de famille ? On peut en discuter. Cela aurait l’avantage de souligner leur apport réel, qui est massif. En même temps la question va bien au-delà. Car ce salaire, qui serait en pratique une forme d’allocation familiale, ne serait jamais à la hauteur de la contribution. Cela ne nous dispenserait donc pas d’une modification radicale du regard, qui doit nous conduire à remettre au centre de l’attention, y compris des économistes, de cette communauté vitale qu’est la famille. A voir d’abord comme une communauté de don gratuit. Sans ce don, pas de société, pas d’économie.

Pierre de Lauzun