Idées reçues : Abraham a-t-il eu recours à la GPA ?

Source [La Nef] Victoire De Jaeghere, agrégée de philosophie est l’une des rédactrices du manuel de la Fondation Jérôme Lejeune sur la GPA.

Il est toujours amusant d’observer le contentement de l’inculture contemporaine lorsqu’elle se réfère au précédent d’Abraham pour justifier l’actuelle progression de la Gestation pour Autrui (GPA). Ainsi le professeur Jean-Louis Touraine qui, sur LCP, se réjouit d’évoquer un bon exemple de cette liberté d’enfanter par tous les moyens : « Sarah était stérile, elle a pris sa servante Agar, elle l’a mise sur ses genoux, et celle-ci a été fécondée par le mari ; ça a été la première femme porteuse ! » (1). Lucas Lomenech, père de deux enfants nés par GPA au Mexique en mars 2015, face à Léa Salamé sur France inter, décrivant la grossesse de la mère porteuse comme légitimée par sa mention biblique et, pour elle : « sa bonne action » et « son entrée au paradis » (2), affirmation reprise tranquillement par France info (3) ; Catherine Mallaval et Mathieu Nocent dans leur ouvrage plaidoyer, Mais qui est la mère ? (4) ; et même la Halakha, loi religieuse juive qui en Israël a fini par autoriser le recours à une mère porteuse en s’appuyant sur cet exemple biblique… pour finir par l’injonction d’Andréa de Filippi : « Alors la prochaine fois, avant d’aller manifester contre la GPA et pour les droits des enfants, revisitez un peu votre Bible » (5). Étonnante résurgence de l’enseignement biblique dans un monde laïque. Étonnante obstination à penser que les erreurs des pères doivent devenir les principes des fils.

Ismaël ou l’échec de la GPA
La naissance d’Ismaël est pourtant l’image éclatante de l’échec de la GPA puisque la servante, Agar, choisit de garder l’enfant de sa grossesse et que la femme, Sarah, se sent méprisée par celle qui, en enfantant, devient participante de la promesse de Dieu à son peuple en attente du Messie. Les conditions étaient pourtant réunies pour la création d’une famille heureuse selon les normes de notre temps : désir d’enfant, projet parental, mère de substitution à portée de main, souffrance du couple sans héritier, bonheur à venir de l’enfant qui pourrait vivre à la fois avec sa porteuse et sa mère d’intention… Mais un grain de sable s’introduit dans le rouage. Agar s’enorgueillit de porter un enfant, et Sarah, humiliée par la maternité de son esclave, la maltraite jusqu’à ce qu’elle s’enfuie dans le désert. Les bonnes intentions ne tiennent plus lorsque les désirs tout-puissants sont contrariés. Si la porteuse devient un obstacle, elle doit être éliminée. Et tant pis pour le fruit de la conception : le « produit » est défectueux, on en fera un autre plus disponible à l’achat.
Il est particulièrement choquant de constater que l’on veut légitimer la GPA comme un échange de bons procédés. Une femme pauvre donne ce qu’elle a, un enfant, à un couple qui lui donne en retour ce dont elle a besoin : de l’argent. Et l’on se félicite de cette trouvaille moderne qui permet de mondialiser ce contrat. Et l’on oublie que cet accord gagnant-gagnant a une victime silencieuse : l’enfant vendu. En séparant le nouveau-né de sa mère pour le remettre à un couple qui l’a commandé, le contrat de GPA exerce au sens strictement juridique du terme une réduction en esclavage de l’enfant sur lequel l’adulte exerce un attribut du droit de propriété (6). Le fait que la pratique puisse remonter au temps d’Abraham ne sera jamais une justification suffisante pour légitimer cette infamie. Le pauvre Ismaël ne fut d’ailleurs pas épargné. Après l’arrivée d’Isaac, Sarah insista pour les chasser définitivement lui et sa mère, afin qu’il ne puisse hériter avec son fils. Les deux frères ne le sont que tant que l’avenir n’est pas en jeu.

L’enfant est un don
La GPA est peut-être une pratique qui remonte aux premiers siècles de l’histoire humaine. Mais elle diffère en ceci des traditions, que son ancienneté ne l’a justement jamais établie. L’histoire à laquelle on se réfère avec contentement pour enraciner cette action est justement celle d’un échec cuisant, qui d’une servante fait une esclave bafouée, d’une femme un tyran, d’un père un démissionnaire, d’un fils un orphelin et de deux frères deux étrangers.
La GPA d’Abraham nous apprend en réalité que la consommation de l’autre n’est pas justifiée par la plus pure des intentions, qu’elle soit participation à la promesse divine ou seul désir d’avoir un enfant. Elle nous apprend que la maternité ne peut être éclatée. La femme qui a porté et mis au monde un enfant en est la mère, sinon par le désir, au moins par droit de naissance qui est le premier et le moins réfutable de tous les droits. Elle nous apprend enfin que l’enfant n’est pas un dû mais un don.

Victoire De Jaeghere

(1) Émission Droit de suite du 4 février 2014 : « Bébés pour tous : quelles limites ? »
(2) France inter, le 2 juin 2015.
(3) https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/des-meres-porteuses-dans-la-bible_1779595.html
(4) Catherine Mallaval et Mathieu Nocent, Mais qui est la mère ?, Les Arènes, 2017.
(5) https://actualitechretienne.wordpress.com/2014/10/17/andrea-de-filippi-linventeur-de-la-gpa-est-dans-la-bible/
(6) Code pénal, article 224-1 A : « La réduction en esclavage est le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété. »

Manuel GPA, (92 pages) à commander gratuitement sur le site de la fondation Jérôme Lejeune : www.fondationlejeune.org/manuel-gpa