Les bombardements de Syrie font craindre une orwellisation du monde

Pour ceux qui ont suivi de près les événements du Proche-Orient au cours des dernières années, il fait peu de doute que la prétendue attaque à l’arme chimique dans le faubourg de la  Ghouta  à Damas  ( 8 avril 2018) soit n’a  pas eu lieu (il est si facile de trafiquer des photos et de leur   faire faire le tour  du monde), soit est une action « sous faux pavillon » fomentée par le dernier carré des djihadistes qui se trouvaient dans ce faubourg,  aujourd’hui entièrement reconquis par l’ armée syrienne.

Un prétexte douteux

 

Il en avait été de même le 21 août 2013 : au  même endroit, le gouvernement syrien avait été accusé d’avoir utilisé des armes chimiques, or  une étude indépendante du MIT et une autre, selon de méthodes différentes,  de Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, ( OIAC, en anglais  OPCW),  basée à  La Haye, avaient démontré que l’attaque, bien réelle celle-là,  ne pouvait pas  venir des  forces gouvernementales ,  ce qui conduisait  à imaginer qu’il s’agissait d’une action d’Al Nosra, aidé par des forces spéciales occidentales. On se souvient  pourtant  du tollé que cette attaque avait suscité, le monde occidental en son entier ayant pointé un doigt  accusateur vers Assad : Hollande demandait une intervention immédiate de l’OTAN et, à son  grand regret,  ne fut pas suivi par Obama.  La célèbre juge internationale Carla Da Ponte avait également démenti qu’une autre   attaque chimique près d’Alep soit venue de Damas. Doutes aussi  sur l’opération récente de Khan Cheikhoun ( 4 avril 2017).

Dans une interview   à Newsweek du 8 février 2018, le général James Mattis , pourtant considéré   comme un faucon,  a vendu la mèche en disant que le Pentagone n’avait jamais  eu de preuves certaines que le régime de Bachar el- Assad ait  tenté d’empoisonner son peuple à l’arme  chimique.

Au demeurant, la seule  source de la  dernière attaque, ce sont  les Casques blancs organisation prétendue  humanitaire qui n’est que la  doublure de groupes islamistes ;  un film avait été réalisé à Hollywood sur  cette organisation : mus par un reste  de bons  sens,  les distributeurs  ont refusé de le    projeter en France.

Qui peut dire d’ailleurs l’intérêt que le président Bachar el-Assad et son mentor russe qui le surveille de près auraient  pu trouver à utiliser des armes prohibées, peu efficaces et au retentissement symbolique fortement   négatif au moment précis où ils venaient de gagner la bataille de Damas ?

De toutes les façons, il aurait fallu attendre l’expertise de l’OIAC pour se prononcer, ce qu’on s’est bien gardé de faire. Elle vient seulement de commencer.

Fâcheusement,  les attaques sous faux pavillon sont devenues monnaie courante au cours des dernières années surtout, il faut bien le dire, de la part des Occidentaux. Déjà, le prétexte des bombardements du Vietnam du Nord avait été   l’attaque d’un bâtiment de l’U.S.Navy dans le Golfe du Tonkin attribuée à Hanoï, dont on sait aujourd’hui qu’elle était un montage  américain. La guerre de Yougoslavie a commencé par une  opération de désinformation transformant  l’escarmouche de Rajak  entre l’armée yougoslave et les forces rebelles du Kosovo  (15 janvier 1999) en génocide.  Plus récemment, la deuxième guerre d’Irak est partie de  l’accusation des Etats-Unis   à l’encontre de Saddam Hussein d’utiliser des armes  chimiques et bactériologiques et d’avoir un  programme nucléaire, ce qui s’est avéré faux.

 

Salisbury 

 

Les événements qui se sont produits à Salisbury (Royaume-Uni ) le 4 mars   2018  et qui ont contribué à  mettre l’opinion occidentale en condition sont , eux,   rocambolesques.

On nous a dit qu’un espion  russe, Sergueï Skripal, passé à l’Ouest en 2010 et retiré depuis lors aurait été,  avec sa fille,  victime d’une attaque chimique de la part de la  Russie de Poutine, cela « en plein territoire britannique » . Il faut préciser que ces deux personnes  se sont pas mortes, ce qui devrait jeter  quelques doutes  sur l’efficacité du FSB (ex-KGB) . Trouvées sans connaissance dans un jardin public, elles ont été emmenées à l’hôpital où elles se sont   remises  au bout de quelques jours . On fantasme sur une arme secrète qui ne ferait effet que quelque temps après l’injection. Devinette qui circule : quelle est l’ arme biologique   redoutable qui ne fait  d’effet qu’après quelques heures, mortelle si on ne réagit pas mais dont on se sort vite si on se soigne  à temps ?  Réponse : une omelette aux champignons (Amanita phalloïdes ) ! Que Theresa  May  et Boris Johnson aient engagé leur crédibilité  sur une histoire aussi ridicule  en dit long sur le déclin de la classe politique britannique . Macron , lui, a d’abord  fait mine de se poser des questions pour se rallier  sans preuves au bout de 24 heures à la thèse britannique de la culpabilité de Poutine,  Là aussi,  pourquoi Poutine aurait-il  pris le risque de faire assassiner (sans y  parvenir) un comparse de troisième ordre  à quelques jours de sa réélection  triomphale (18 avril)  au risque de gâcher la fête ?

 

Des « frappes » de comédie ?

 

Irréels  les prétextes, irréelles aussi  les « frappes » occidentales  de représailles. 103  fusées projetées sur la Syrie qui ne touchent que des bâtiments  désaffectés et ne font aucune victime. Et ces  projectiles  ne sont  pas des  pétards : une fusée  Tomahawk représente 500 kg de charge. Les sites tenus par les Russes ont été soigneusement évités. Les laboratores et entrepôts   prétendus chimiques visés, étaient aussi fantasmés que l’attaque au gaz de la Ghouta. Du mauvais cinéma.

Les  contributions  britannique et anglaise à l’attaque  ont été faibles :  à peine une vingtaine  de vecteurs.   La France en revendique douze, mais  les Russes prétendent ne les avoir pas vus. Ils affirment en outre que l’armée syrienne, pourtant dépourvue des anti-missiles dernier cri, S 300 et S 400 , aurait intercepté 71 des 103 vecteurs. Tout laisse supposer que les prétendues représailles   ont été organisée en accord avec la Russie, ce qui en un sens est plutôt rassurant.

 

Vérité et liberté

 

Il reste que l’ensemble de l’épisode, du début à la fin, repose sur des mensonges. Sans doute les hommes politiques de premier plan ne sont-ils pas dupes (du moins on l’espère), mais ils s’en ont que mieux menti aux opinions occidentales, persuadées aujourd’hui que Bachar el Assad a utilisé des armes chimiques et que les Alliés l’ont, pour cela,  lourdement sanctionné.

Cette dramatisation tient autant de la démonologie que de la démagogie ; en construisant une image monstrueuse du président  syrien  qui n’est ni meilleur  ni pire que les autres  dictateurs de la région, les dirigeants, en France en particulier,  se donnent  le beau rôle, celui du chevalier blanc qui punit le méchant. Infantile !

Singulière déchéance pour ce qu’on appelait naguère le monde libre, où il était acquis que le liberté et la vérité allaient de pair, le mensonge étant tenu alors pour  le propre des  régimes  totalitaires .    Le plus grave dans cette affaire est  que  nous assistons à une véritable orwellisation du  monde occidental : les  mots n’y  ont plus de sens : « la guerre c’est  la paix » ;  que les puissants  bombardent un petit pays, voilà  un acte  hautement moral. L’Empire ne tient que parce qu’une guerre obscure se  poursuit indéfiniment  quelque part à ses confins.

Par rapport aux idéaux qui semblaient devoir triompher en   1945 et à la longue guerre froide que se sont faite  le camp de la liberté et celui du totalitarisme soviétique, c’est  à une véritable inversion de signes que nous assistons.

Tout cela est grave : comme leurs enfant accros des jeux vidéos, les  dirigeants  occidentaux vivent désormais dans un monde virtuel  – nous disons  occidentaux car il    semble bien que Poutine et ses proches aient, eux,  gardé le sens du  réel   et la tête froide.

Certes par  derrière la scène , les arrangements  entre les états-majors américain et russe pour éviter tout affrontement direct    montrent que, quelque part, un certain réalisme demeure – peut-être grâce à Trump.  Mais pourquoi toute  cette mascarade ?

Pourquoi aussi courir de tels  risques ?    Les grandes catastrophes arrivent par la perte du  sens du réel. Or ceux qui semblent ainsi  vivre dans l’irréalité ou au moins les contre-vérités, ne sont pas n’importe qui : ce sont les dirigeants de la principale puissance mondiale  et de leurs deux principaux alliés, pas moins :  autant dire qu’ils ont , plus que quiconque,   barre sur le monde dans lequel nous vivons.

Et c’est bien ce qui  rend le monde  actuel éminemment dangereux et même  inquiétant :  cette  déraison qui touche  les  dirigeants des  principaux pays occidentaux,  jusqu’où  nous mènera-t-elle ?