L’échec d’Obama : les contradictions de sa politique

Rarement un président des Etats-Unis aura quitté le pouvoir avec un bilan international aussi mauvais que Barack Obama, en particulier au Proche-Orient.   

L'élimination du réduit djihadiste d'Alep face à l'offensive des forces gouvernementales (l' armée de Bachar el Assad, comme on dit), appuyée par la Russie, apparaitra vite pour ce qu'elle est : une déroute en champ clos face à  une puissance que les Etats-Unis eux-mêmes avaient désigné comme leur adversaire principal.  Même si on ne sait pas exactement combien d'officiers américains et de l'OTAN  se trouvaient du  côté des djihadistes, les pays tiers ne manqueront pas d'y voir une terrible humiliation pour la puissance dominante, symboliquement peut-être aussi grave que celle du Vietnam (1975).  Le Proche-Orient, chasse gardée des Etats-Unis jusqu'à une date récente, est une région où il faut moins qu'ailleurs perdre la face. Désormais la Russie y apparait comme  la puissance dominante.

La gifle est si grande qu'il ne faut pas s'étonner que les éléments les plus bellicistes de l'administration démocrate  aient  envisagé de pousser le conflit aux extrêmes. Alors qu'il ne lui restait qu'un mois de mandat, Obama a  levé toutes les restrictions aux ventes d'armes aux djihadistes. Les sanctions prises en janvier 2017 à l'encontre de la Russie, au motif ridicule d'une interférence supposée de Poutine dans la campagne présidentielle, montrent dans quel état de déni se trouve  depuis sa défaite le clan Obama-Clinton.

Dans cet affaiblissement américain, il serait erroné  de mettre en cause, comme le font les milieux conservateurs, une insuffisance proprement militaire. Même si  les Russes ont  fait beaucoup de progrès, notamment  dans l'anti-aérien ou le brouillage, ce qui a accru  leur pouvoir de dissuasion, les Etats-Unis conservent la première armée du monde.

On met  aussi en cause la faiblesse d'Obama, son indécision, son manque d'emprise sur les services qu'il est supposé commander (Pentagone, CIA, Département  d'Etat). Hollande et Fabius, qui sont eux – c'est bien connu – des hommes forts, lui ont reproché,  à l'unisson des ultraconservateurs,  de ne pas avoir profité de l'attaque à l'arme chimique de la Ghouta (Faubourg de Damas)  du 21 août 2013 pour bombarder massivement Damas, ce qui n'aurait pas manqué de susciter une riposte russe.  Encore heureux  que le Prix Nobel de la Paix n'ait pas déclenché une  guerre mondiale !   Plonger dans la  guerre civile deux ou trois  pays était déjà bien assez. Il savait au demeurant qu’on ne  pouvait imputer l'attaque chimique au gouvernement syrien mais devait plutôt y voir une provocation d’Al Nosra.

De multiples contradictions

 

Mais derrière les hésitations d'Obama, il est une donnée encore plus  fondamentale : les contradictions de la politique étrangère américaine en sont venues non seulement à  la rendre illisible mais surtout à la paralyser.

Une première contradiction, imputable, elle, au prédécesseur  d'Obama,   était apparue avec la guerre de 2003 contre l'Irak. Au motif d'instaurer la démocratie dans ce pays, les Américains y ont donné le pouvoir aux chiites majoritaires : ils sont donc les premiers responsables de la constitution de  l'"arc chiite" qu'ils se sont mis  à combattre à partir de 2010 : Iran, Irak, Syrie, Liban (Hezbollah).

Ils ont été ainsi amenés à tancer le chiisme en Iran (par les sanctions imposées jusqu'à l'accord de Washington en 2015), en Syrie (si tant est que l' on puisse assimiler les alaouites dominants en Syrie à des chiites), au Liban et au Yemen  et à le  soutenir en Irak.

Une autre contradiction : renverser au nom de grands principes démocratiques des gouvernements amis. Ce n'est certes  pas nouveau : on connait les  précédents de Ngo Dinh Diem en 1963 ou du shah d'Iran en 2000. Mais cette pratique a pris une tournure systématique avec les "printemps arabes" : Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte. Kadhafi n'était pas vraiment un ami mais était devenu un utile stabilisateur de l'Afrique septentrionale. Erdogan, autre ami de l'Amérique  laquelle  avait  appuyé à fond sa candidature à l'Union européenne, a pu, sans être contredit,  mettre en  cause le rôle de Washington  dans la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016. Le roi du Maroc, autre allié, a vu récemment Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations-Unies et  à ce titre aux ordres de Washington remettre en cause  la  souveraineté marocaine sur le Sahara occidental : il s'est immédiatement   précipité à Moscou ! Comment ne pas se dire que les Russes qui n'ont pas  lâché Assad malgré une campagne internationale de diabolisation sans précédent sont un allié bien plus fiable que les Américains ?  

Le soutien aux islamistes ne vient pas seulement du souci de trouver des alliés contre les dictatures pro-russes  mais s'inscrit aussi dans une longue tradition d'alliance  avec l'Arabie saoudite principalement, les  émirats du Golfe accessoirement, qui soutiennent depuis longtemps les mouvements fondamentalistes, y compris terroristes,  un peu partout dans le monde arabe,  en Afrique et même en  Europe.

Contradiction encore plus grave, doublée  d'un mensonge : depuis le 11 septembre l'Amérique proclame à la face du monde qu'elle mène une grande croisade contre le djihadisme : 119 pays enrôlés dans la coalition contre Daech ! Seule la lutte contre les talibans en Afghanistan, qui n'ont pas, au bout de 13 ans été vaincus et dont l'implication dans l'attentat du 11 septembre demeure hypothétique peut être tenue comme une action anti-islamiste.  Pour le reste, loin de combattre l'islamisme, les Etats-Unis l'ont eu sous différents formes comme allié en Libye, en Egypte, en Turquie, et  surtout  en Irak et en Syrie : Trump lui-même  accuse le gouvernement américain d'avoir été à  l'origine de l'émergence de Daech. 

Le soutien aux islamistes est encore davantage en contradiction avec  la volonté affichée de faire avancer,  fût-ce par la force, la démocratie et les droits de l'homme au Proche-Orient, dans le cadre de la politique dite de regime change. Comme plus tôt en Algérie et en Turquie, les élections démocratiques ont fait  émerger en Tunisie  en Egypte des majorités islamistes[1]. En Syrie, le gouvernement américain, de pair avec les autres gouvernements occidentaux a été amené à maintenir la fiction d'une rébellion démocratique respectable et à l'appuyer contre le "tyran" Bachar el Assad, alors même que la suite devait montrer que l'osmose était telle entre l'opposition dite démocratique et les djihadistes que les moyens donnés aux uns allaient aux autres et que, en position de responsabilité, les uns et les autres n'avaient rien de plus pressé que d'établir la charia.

Il est significatif que les seuls pays à avoir échappé à la vague des printemps arabes soient les monarchies du Golfe (sauf Bahreïn[2]), alors qu'ils  ne sont pas, ni près, les moins oppressifs.

Le soutien aux islamistes a d'ailleurs toujours eu ses limites dans la mesure où, tout en leur fournissant des armes et de l'entrainement et même en les conseillant au combat (ce qui veut généralement dire diriger) comme à  Alep,  ni les Américains, ni les Israéliens, ni les Turcs, ni  les autres Occidentaux ne souhaitaient vraiment que Daech - et ses  frères jumeaux comme Al Nosra,    prennent le pouvoir à Damas. Ce qui veut dire que le soutien qui leur était apporté n'avait d'autre objectif que de faire durer aussi longtemps que possible la  guerre.  

Aux confins de la Syrie et de l'Irak et de la Turquie d'autres contradictions  sont apparues : soutenir les Kurdes tout en ayant la Turquie pour allié privilégié, soutenir en même temps les Kurdes, Daech et le gouvernement chiite de Bagdad, qui sont chacun ennemi des deux autres. S'agissant de Daech  et des autres mouvements islamistes, la contradiction a atteint son comble au mois de décembre 2016 qui a vu simultanément l'armée américaine les soutenir à Alep (et Palmyre) et les combattre à Mossoul.

Si  les Américains aidaient seulement Al Nosra (alias Al Qaida) à  Alep-Est,  c'est bien Daech qu'ils ont soutenu un peu plus à l'Est, l'aidant à garder Deir es-Zor et à reprendre Palmyre. Qui peut y comprendre quelque chose ? Comment s'étonner d'entendre que des mouvements islamistes aidés par la CIA se sont parfois battus avec d'autres soutenus par le Pentagone ?

 

En contraste, la clarté du jeu russe

 

Face à cette accumulation de politiques de gribouille, la position de Poutine a été depuis le début d'une parfaite clarté : d'abord face au droit  international, puisque la Russie n'est intervenue en Syrie qu'en accord avec le gouvernement officiel de Syrie et donc dans le respect de la légalité  internationale  alors que les interventions  occidentales se sont faites presque toutes en violation du principe de non-ingérence. La Russie a agi en défensive et non en offensive : face à la volonté des Etats-Unis de faire sauter le dernier point d'appui qu'elle avait conservé au Proche-Orient, elle l'a défendu.

 Au demeurant, comment peut-on promouvoir l'Etat de droit au sein des  différents pays alors qu'on ne respecte pas le droit au plan international ?

Légale, la guerre menée par les Russes n'a, non plus, quant à ses objectifs, présenté aucune ambigüité : elle avait pour but d'assurer le contrôle du territoire syrien dans sa totalité par le gouvernement syrien et donc d'y ramener la paix.

Les Etats-Unis ont-ils au contraire poursuivi délibérément une "stratégie du chaos" comme on leur en a fait grief ? Il le semble parfois sans que l'on puisse assurer que, dans un pays comme l'Irak, ils l'aient délibérément cherché. Il reste que parmi les nombreuses erreurs des néoconservateurs, se trouve l'idée que pour démocratiser des pays dominés par des dictatures, qui sont des Etats mais pas  forcement de droit,  il faut commencer par détruire l'Etat, ce qui est un  contresens, l'anarchie étant toujours plus préjudiciable à la vie des peuples que n'importe lequel régime fort. 

En face de cette politique désordonnée, peut-on mettre à l'actif d'Obama, l'accord de Washington (juillet 2015) sur le nucléaire iranien.  Quoique certains, notamment Israël, ne le tiennent pas pour positif, il a réintégré dans le concert international  un grand pays stratégique dans un jeu  asiatique appelé à prendre de l'importance.  De moindre portée, l'accord avec Cuba est de la même nature. En revanche Obama n'a ni évité le Brexit, ni pu faire signer le TAFTA.

Les  contradictions de la politique d'Obama ne tiennent pas seulement à sa personnalité mais à toute la politique menée durant l'ère néoconservatrice qu'on peut faire remonter à l’élection de Bill Clinton (1992) et qui couvre aussi bien la présidence de Bush fils (n'oublions pas que la seconde guerre du Golfe décidée par celui-ci s'est faite en violation de la légalité internationale alors que la première, décidée par son père, lui était conforme). Une politique marquée par l'idée d'un messianisme démocratique fondant les Américains à renverser les dictatures qui ne leur plaisaient pas et, à partir de 2000, de plus en plus hostile à la Russie. Une politique fondée sur l'idéologie, qui est toujours une forme de déraison, bien plus que sur la défense des intérêts américains comme celle que propose Trump.

 

[1] Les islamistes gagnent généralement les élections (Algérie, Egypte, Turquie)  car  ils  sont seuls sur le terrain à  apporter une aide humanitaire aux populations, et non parce que ces populations souhaiteraient le rétablissement de la charia.

[2] La population de Bahrein étant en majorité chiite, toute démocratisation aurait mis en difficulté l'émir sunnite.