L’éthique chrétienne, un échec politique ?

[Source : article de Alain Toulza]

Illusoire, l’espoir qu’avait fait courir, dans la dernière courbe des débats de la primaire de droite, la subite résurgence de la problématique de l’avortement. Le candidat prétendu de la droite catholique a très vite fait de préciser, avec un accent de dignité offensée, que ce n’était pas là un axe viable de son programme politique. Jusqu’au bout beaucoup d’entre nous avaient espéré que, d’un autre côté, le président de la démocratie chrétienne allait être fortement soutenu par ce qui semblait prendre l’allure d’une lame de fond des défenseurs de la vie et de la famille. Le choc de la déception a été rude, il faut l’avouer. Bien des observateurs catholiques de l’évolution de nos mœurs politiques ont dénoncé avec amertume et colère ce qu’il faut bien qualifier de capitulation de la majeure partie de la masse des adhérents et sympathisants des causes pro-vie. Certes, par peur de tout perdre en voulant trop gagner plus que par sympathie pour celui qui a tiré les marrons de leur feu. Mais, ce faisant, le Munich électoral auquel nos braves gens ont consenti n’en a pas moins traduit une versatilité inquiétante à l’égard des exigences fondamentales de l’éthique sociétale catholique. Comme quoi « tout commence en mystique et finit en politique » comme l’a si bien écrit Charles Péguy.

 

La première leçon qu’on est en droit de tirer de cette inconstance quasi généralisée, c’est que la multitude de nos manifestants manque sérieusement de formation doctrinale et d’entrainement à un engagement personnel vécu dans une perspective résolument chrétienne. Pourtant, s’il est une évidence irréfragable, c’est que les grandes manifestations lancées depuis novembre 2012, et particulièrement celle, inoubliable, du 13 janvier 2013, n’ont pu être organisées que grâce à la participation massive et quasi exclusive des associations et mouvements catholiques, notamment familiaux, auxquels se sont joints quelques éléments de confessions protestantes. Or, les dirigeants successifs de la Manif Pour Tous n’ont cessé de taire, sinon de s’efforcer de gommer, tout ce qui, dans l’organisation de ces manifestations et dans leurs propres discours, pouvait laisser percer la moindre allusion aux motivations religieuses des manifestants.

 

Par contre, il n’a pas paru choquant que la première ligne de la marche du 16 octobre 2016 soit composée, autour du responsable de l’association Alliance Vita, d’une quinzaine de jeunes gens et jeunes filles tous coiffés du bonnet phrygien de triste mémoire révolutionnaire. Pas plus que personne ne s’est ému de ce que les dirigeants de La Manif Pour Tous aient décidé souverainement, en avril 2015, de se constituer en parti politique. Quels que soient les motifs financiers invoqués, il y a, dans ce dernier fait, une récupération des voix des catholiques à des fins qui n’ont rien de spécifiquement catholique, mais dont les potentialités politiques offertes sont à la seule discrétion des quelques personnes qui ont su s’emparer des manettes de ce vaste mouvement populaire. De même que le travestissement des sans-culotte du cortège de tête à la dernière marche nationale constitue un symbole évident de ralliement à une idéologie républicaine à la française en contradiction avec les motivations de la foule qui suivait ; encore un détournement de fond !

 

Ce ne sont pas, dans la bouche de ces dirigeants se disant catholiques, les lois de Dieu qui sont menacées, ce sont des lois « naturelles » et des droits humains, dont certes la valeur ne peut être mise en cause mais dont les fondements purement « écologiques » ignorent l’existence d’un Créateur divin. Il était donc inévitable que l’élan s’essouffle, c’est ce qui arrive quand le discours demeure désespérément sécularisé. Il arrive même pire, il arrive que les adeptes conscients ou inconscients de cette culture teilhardienne, voire New Age, de la mère nature source des lois humaines, n’aient plus grand-chose d’assez puissant pour les retenir d’opérer, par petites étapes, un glissement tout plein d’une évidente ambition cachée, vers des compromis puis des concessions (dites d’attente) qui constitueront, au final, une démission non dite. C’est ce qui est arrivé aux éphémères combattants de Sens commun, comme au sénateur Bruneau Retailleau et à bien d’autres. Comme à M. Fillon.

 

Mais Dieu n’abandonne pas les siens, surtout quand ils errent de bonne foi. Et parce que demeurent encore dans nos rangs des militants de haute valeur spirituelle et d’authentique fidélité, au sein de partis politiques et dans les rouages du tissu associatif, il nous faut garder le cap, celui de l’Espérance sous le regard de la Vierge, et non celui de l’espoir adossé aux seuls aléas des promesses électorales. Un signe nous est donné, celui de la prochaine marche pour la vie, initiative portée par une jeune femme dont je sais la rigueur morale, la loyauté, le courage et... la foi qui ne se joue pas des mots. C’est là que vont se compter tous ceux qui entendent combattre de toutes leurs forces pour défendre, avec l’aide de Dieu, les lois d’amour et de vie qu’Il a posées.

 

Au demeurant, il convient de se rappeler que l’issue du combat pour les droits de la vie et de l’amour authentique ne dépendra pas, comme le laissent croire nombre de politologues au petit pied, du résultat des élections présidentielles : ce n’est pas le président de la République qui décide du sort des lois, ce sont les parlementaires. Il est donc d’une importance majeure que nous nous montrions attentifs au choix, par les deux formations politiques qui seront en lice, de leurs candidats aux élections législatives. Et que nous nous efforcions de peser, par tous les moyens, sur ce choix avant qu’il soit définitif. C’est dès à présent qu’il nous faut agir en ce sens.

 

Alain Toulza

Président de l’association Papa, Maman et Nous, auteur de Le Meilleur des Mondes Sexuels (2008) et de La Grande Guerre des Hommes de Dieu (2015) (prix des Ecrivains Combattants 2015)