Sur la dignité humaine (3/3)

Voici un troisième et dernier extrait d’une conférence que j’ai prononcée à Rome, le 5 novembre 2015, au Congrès pour le 50ème anniversaire de la publication de la constitution Gaudium et spes, de Vatican II.  Ce congrès était organisé par le Conseil pontifical Justice et Paix. Le sujet de cette conférence était : rapport entre la dignité humaine et la loi naturelle selon Gaudium et spes et son actualité.

La dignité de l’homme image de Dieu

 

Depuis le De Trinitate de saint Augustin, il est classique de rechercher en l’homme l’image de Dieu Un et Trine. Gaudium et spes amplifie et j’oserais dire accomplit cette recherche, avec une très grande profondeur théologique.

-      1. La nature humaine est à l’image de la nature divine, qui est esprit, intelligence (n°15), volonté (n°61-1), liberté (n°14-2, 17[1]) ; la sublimité des objets de la pensée et de la conscience de l’homme (n°16) le force à reconnaître son âme spirituelle et immortelle, image de Dieu et, en effet, la meilleure image qu’il puisse avoir de Dieu (n°14-2) ;

-      2. la personne humaine est à l’image de la personne du Fils de Dieu[2] (n°22-4[3]).

-      3. l’homme, nature, personne et société ou famille, est à l’image de Dieu, unique nature en trois personnes en communion (n°12-4[4], 24-3) ; et aussi, en ce qui concerne le mariage, « à l’image de l’union du Christ avec l’Eglise » (n°48-2) ;

-      4. l’homme opérant et travaillant (n°34-2), maître de la terre qui est son domaine[5], est à l’image de Dieu créateur et rédempteur (n°12-3, 22-2) ;

Un autre point, que G.S. ne rappelle pas, sinon indirectement[6], mais qui est traditionnel : l’homme, âme et corps en vraie unité (n°14-1, 3-1), est à l’image du Verbe incarné.

De ce qui précède résultent deux dignités humaines : celle de la nature humaine à l’image de la nature divine (n°41-2) et celle de la personne humaine[7], à l’image de la personne du Christ. Leur liaison doit sans doute s’entendre théologiquement, comme dans la doctrine trinitaire. Le mystère de la structure de l’homme, qui est nature et personne, est à l’image du mystère de Dieu lui-même[8].

En vérité l’homme est donc prodigieusement image de Dieu.

Il est vrai que la dignité qui nous est donnée n’est en soi ni absolue, ni infinie, au sens métaphysique du mot ; mais, existentiellement, relativement à notre désir, elle est pour nous aussi infinie et immense que le ciel étoilé relativement à notre corps.

L’erreur et la faute de l’homme sont de vouloir arracher à Dieu ce que Dieu veut lui donner. Assurément, si le bien est l’amitié divine, comment l’homme pourrait-il la posséder par sa seule force et sans la recevoir de l’Ami ? 

Mais comment en convaincre l’homme ?  En lui montrant que l’Eglise comprend et approuve dans une large mesure son horreur d’une morale pélagienne névrosante, et son refus de toute dépendance indigne. Mais, on ne résout pas ces problèmes en rejetant Dieu. Le moyen pour l’en convaincre, c’est que soit assumé et renouvelé le concept de nature, et donc celui de loi naturelle. Et c’est précisément là ce que fait Gaudium et spes, par son enseignement sur la nature comme vocation, et la loi naturelle comme vocation à la dignité.

 

 

[1] « Mais la vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine. »  (n°17).

[2] « Devenu conforme à l’image du Fils, premier-né d’une multitude de frères, le chrétien reçoit « les prémices de l’Esprit » (Rm 8, 23), qui le rendent capable d’accomplir la loi nouvelle de l’amour. Par cet Esprit, « gage de l’héritage » (Ep 1, 14), c’est tout l’homme qui est intérieurement renouvelé, dans l’attente de « la rédemption du corps » (Rm 8, 23) : « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts demeure en vous, celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous (Rm 8, 11). Certes, pour un chrétien, c’est une nécessité et un devoir de combattre le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l’espérance, il va au-devant de la résurrection. » (n°22-4)

[3] Gaudium et spes ne parle en ce lieu que du chrétien à l’image du Fils incarné, le Christ, et dont la vie doit reproduire celle du Christ en sa charité et son mystère pascal. Que, dès la création, l’homme soit à l’image du Fils relèverait de perspectives qui « dépassent absolument la portée de la raison » (n°24-3). 

[4] « Mais Dieu n’a pas créé l’homme solitaire : dès l’origine, « il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cette société de l’homme et de la femme est l’expression première de la communion des personnes. Car l’homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités. »

[5] Ajoutons en note ceci : l’Homme, image de Dieu, est digne parce que Dieu est éminemment digne. Dieu est digne, parce qu’il est Seigneur (Gaudium et spes, n°10-2), loi éternelle, justice infinie, liberté absolue, maîtresse d’elle-même, toute-puissance (qui « consiste à faire miséricorde », Saint Thomas, Somme de théologie, II-IIae, Q.30, a.4, cité par François,Misericordiae Vultus, n°6). De tous ces attributs de la gloire de Dieu (doxa), la nature humaine porte l’image dans sa dignité. L’homme est « seigneur de toutes les créatures terrestres » (G.S., n°12-3) et seigneur de lui-même. La dignité humaine est une participation à la dignité divine (Ps 8, 6-7, cité dans G.S., n°12-3). La dignité de l’homme est l’image de la seigneurie de Dieu. La dignité de l’Homme consiste généralement à être à l’image des attributs de Dieu, mais aussi à être particulièrement à l’image de la dignité de Dieu, c’est-à-dire « seigneur de toutes les créatures terrestres » (G.S., n°12-3) et seigneur de soi-même à l’image du Seigneur. L’Homme, image de Dieu, est digne parce que Dieu est éminemment digne.   

[6] Au n°14-1 de G.S., quand il parle de la dignité du corps, « appelé à ressusciter » (=>dans le Christ). Et aussi sans doute à travers la reprise de la « solidarité » (G.S., n°32-2).

[7] Sept références à la « dignité de la personne » : G.S., Chapitre 1er, n°12 sq., n°26-2, n°29-3, n°40-1, n°40-3, n°46-1, n°60-1, n°63-1.

[8] Cette interprétation de l’« image de Dieu » est probablement justifiée par une formule telle que : « Enfin, la nature intelligente de la personne trouve et doit trouver sa perfection dans la sagesse (G.S., n°15). »