L’État islamique : un dessein politico-religieux

Compte-rendu de la conférence du 8 octobre à l’Espace-Bernanos sur l’État islamique. Au cours de la soirée, sont intervenus Henri de Saint-Bon (L'Islam à la lumière de la foi chrétienne) et Charles de Meyer (SOS-Chrétiens d'Orient), puis furent présentées les conclusions de l’ouvrage État islamique, anatomie du nouveau Califat (BG Editions). Ce premier livre sur l’État islamique, qui paraîtra fin octobre, a été écrit par un historien, Olivier Hanne, enseignant-chercheur à l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste de la naissance de l’islam, et par le géopolitologue Thomas Flichy de La Neuville, présent le 8 octobre, professeur de relations internationales à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. 

L’AVÈNEMENT de l’État islamique n’est pas une surprise pour tout le monde. En 2004, le National Intelligence Council publiait Cartographie du futur global, un document envisageant plusieurs scénarii pour le monde en 2020. L’un deux était intitulé Le Califat. Aujourd’hui, ce scénario improbable est devenu réalité.

Les fondements de l’État islamique sont d’abord religieux. Le projet baassiste se voulait laïque pour mieux fédérer des populations mélangées ; par réaction, la majorité shiite se révéla piétiste. Les affidés de l’EI, qui se situent dans une surenchère religieuse, présentent le Califat comme le retour d’un sunnisme débarrassé du laïcisme.

L’État islamique se distingue clairement d’Al-Qaïda avec lequel il est en concurrence. La nouvelle organisation souhaite une étatisation du djihadisme. Son recrutement est plus moderne. Il souhaite l’émigration des musulmans en Mésopotamie afin de structurer un État fort. Le danger serait naturellement que les deux mouvements se combinent. Mais l’État islamique repose également sur le soutien de tribus opportunistes et d’élites provinciales, qui se servent de cette structure afin de reconquérir le pouvoir. L’émergence du Califat se présente comme la réponse à ce qui est vécu comme une humiliation : depuis cinq siècles, les Arabes ont perdu la maîtrise de leur destin politique au profit des Turcs puis de l’Occident.

La terreur en images

Le chef de ce califat, Al-Baghdâdî, surnommé « le fantôme » (al-shabah), est connu pour sa grande discrétion. Déjà repéré par l’armée américaine, il est la cible d’une frappe aérienne en octobre 2005 et se fait arrêter la même année. Sa libération en 2009 suscite bien des interrogations : pourquoi laisser partir un personnage déjà réputé comme dangereux ? Était-ce un geste d’apaisement du gouvernement ? Les États-Unis voulaient-ils s’en servir en Syrie contre al-Assad ?

La publicité des exactions constitue la partie la plus glaçante et la plus connue de la médiatisation de Daesh (anagramme arabe d’“État islamique”). L’État islamique dispose depuis 2007 de son propre label de vidéo-production, Al-Furqan Media Production. Cette plateforme propagandiste a été capable d’envoyer 40.000 tweets en une journée lors de la prise de Mossoul. Pourtant, Barack Obama a renoncé à lui couper ses communications et ses plateformes médiatiques, à la fois pour faire de la géolocalisation et laisser l’EI se décrédibiliser auprès des musulmans modérés.

Une guerre religieuse

Il serait trop simple que les hommes de l’EI soient des fous, des illuminés ou des victimes d’un embrigadement. Leur détermination n’est pas celle du psychopathe, mais de l’homme de foi qui sait que la vie de l’au-delà l’emporte sur celle du monde. L’État islamique soumet toute son action à un impératif : la victoire de Dieu. Au-delà de cet objectif conscient, rationnalisé, il fonde ses revendications dans le takfirisme. Ce courant médiéval, réapparu à la fin des années 1970, prône non seulement un retour à l’islam des origines, mais aussi une utilisation de la violence légale contre les kufar, les « infidèles ».

L’EI rallie à lui un nombre croissant de musulmans auprès desquels il apparaît comme un régime tout à fait respectable. Voulant se montrer responsable, l’État islamique œuvre pour que son implantation territoriale soit durable.

La puissance militaire d’un État

Contrairement aux djihadistes d’al-Qaïda, Daesh veut être un État à part entière, c'est-à-dire associer un territoire, une population et une administration.

L’État islamique dispose d’un nombre de combattants difficile à estimer car il est en constante évolution. Le chiffre le plus stable avant l’été 2014 s’élèverait à une dizaine de milliers d’hommes, dont 6 000 pour l’Irak et 5 000 en Syrie. Mais cette base se serait accrue jusqu’à 20 000 durant les grandes opérations de juin-juillet qui ont permis de libérer des prisonniers djihadistes dans le centre et le nord du pays. La moitié des combattants est donc étrangère à la région.

Outre son recrutement, les succès militaires de l’EI tant en Syrie qu’en Irak s’expliquent par la surprenante quantité d’armement dont il dispose et qu’il présente fièrement lors de ses défilés à Raqqa. De fait, l’EI s’est emparé de l’armement de six divisions irakiennes dont quatre divisions blindées.

Le jeu des puissances régionales

L’Arabie saoudite a joué la carte du salafisme politique en Syrie et en Irak pour mieux contrer le rapprochement mis au point depuis 2003 entre l’Iran, l’Irak d’Al-Maliki et la Syrie de Bachar-al-Assad, réseau noué avec la complicité de la Russie, voire de la Chine. Dans cet affrontement, l’Arabie saoudite a été soutenue par la Turquie, Israël et les pays du Golfe, c’est-à-dire l’ensemble du bloc rallié aux États-Unis.

Toutefois, l’EI représente une menace pour ce pays. Autant l’État islamique sera bloqué par Ankara et Téhéran, autant l’Arabie pourrait représenter un réservoir de conquête.

Pour venir à bout de l’État islamique, il conviendrait en premier lieu de le confiner à l’Ouest et à l’Est en s’appuyant sur la Syrie de Bachar-el-Assad et l’Iran. Sans cette inflexion pragmatique de notre politique étrangère, la guerre est déjà perdue. Ceci implique un rapprochement avec la Russie qui soutient la Syrie.

Les USA dans un piège

Or ce rapprochement est difficile à double égard pour les États-Unis. D’une part, la puissance financière des États-Unis repose sur la suprématie du dollar, et en particulier sur l’achat en dollar du pétrole saoudien. Il est difficile pour les États-Unis de jouer à la fois l’Arabie Saoudite et son ennemie iranienne.

En second lieu, un rapprochement tactique américain avec la Russie au Moyen-Orient entraînerait mécaniquement un rapprochement entre l’Union européenne et ce même pays. Cela aurait pour effet de fragiliser la puissance impériale américaine, qui craint par-dessus tout la constitution d’une puissance eurasiatique.

C’est pour cette raison que la grande coalition mise en place par les États-Unis contre l’État islamique se présente en partie comme une opération de communication. Elle n’a pas réussi à mobiliser réellement un seul pays musulman pour la partie militaire.

En revanche, la partie humanitaire, c’est-à-dire la moins coûteuse et la plus prestigieuse auprès des populations, sera conduite par l’Arabie saoudite, le Koweït et la Turquie. Cette coalition s’est pour l’instant bornée à protéger les intérêts pétroliers américains au Kurdistan, tout en laissant l’État islamique déstabiliser encore davantage le régime de Bachar-al-assad. Devant ces ambiguïtés, il y a fort à parier pour que le Califat ait de beaux jours devant lui.

Liberté politique

 

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Thomas Flichy de La Neuville
 Olivier Hanne
 L’État islamique, anatomie du nouveau califat
 BG Editions, 17 € (à paraître)

 

 

 

 

 

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