Le catholicisme face à la nouvelle question sociale

De retour de Terre Sainte, le pape François a répondu dans l’avion à une question sur « la montée inquiétante du populisme ». Il a écarté sèchement cette question purement rhétorique pour mettre le doigt là où ça fait mal : « Le problème, c’est la culture du rebut dans une société où l’argent est au centre. ». François dénonce la dérive d’un système économique mondialisé qui produit massivement du rebut humain, y compris dans nos sociétés d’abondance.

DEPUIS LE DEBUT DES ANNEES 1990, la finance est devenue une puissante industrie dématérialisée ; le libre-échange a ouvert l’espace des nations aux prédations économiques ; les principaux marchés mondiaux sont le théâtre d’un capitalisme de connivence entre oligarchies privées et puissance publique. Sous certains aspects, nous vivons actuellement une révolution comparable à la révolution industrielle du XIXe siècle. Elle est comparable en ce sens où elle pose à nouveau de manière cruciale « la question sociale ».

La culture du rebut

40 % des Français — qui vivent principalement dans la France profonde et la périphérie des métropoles — sont aujourd’hui directement concernés ou potentiellement menacés par la « culture du rebut ». Ce morcellement sociogéographique constitue le principal visage de la question sociale d’aujourd’hui. Il faut se saisir de cette question sociale, comme nos prédécesseurs s’en sont saisis au XIXe siècle. Ces « catholiques sociaux » présentaient des convictions politiques parfois opposées mais s’étaient attachés à l’urgence essentielle de leur temps.

Avec notre regard d’aujourd’hui, cela semble évident que la misère ouvrière du XIXe méritait une telle prise de responsabilité. Mais c’était loin d’être évident à l’époque. Certains déniaient alors qu’il existât une question sociale qui fût si urgente. L’histoire se répétera-t-elle ?

La France vient de connaître des convulsions dites « sociétales » ; elle connaît aujourd’hui des convulsions électorales ; et elle se dirige tout droit vers des convulsions sociales, au moment où se conjuguent la faillite de l’autorité politique et le morcellement de la France.

C’est un défi pour le catholicisme français, aujourd’hui marqué par une sociologie proche de la France urbaine aisée, naturellement tendue vers un certain conservatisme. Il n’est pas exclu que les circonstances historiques que nous vivons impliquent une obsolescence accélérée du logiciel classique du conservatisme catholique "bon teint".

Un train qui ne passera plus

À mon avis, les solutions aux problèmes de l’heure dépassent largement le cadre d’une alternance classique en 2017. De nombreux catholiques semblent rêver d’une recomposition politique dans laquelle une droite conservatrice et morale, une « droite des valeurs », pourrait trouver enfin sa place décisive dans l’histoire. Et la situation est semblable à gauche.

C’est un curieux spectacle que d’entendre des gens réclamer, qui une « vraie droite », qui une « vraie gauche », sans s’apercevoir que s’ils ressentent un tel manque, c’est précisément parce qu’ils courent après un train qui ne passera plus… L’enjeu n’est pas de reconstruire la droite ou la gauche. Dieu nous en préserve !

L’enjeu est d’engager progressivement, à partir de la question sociale, une réforme profonde de la Modernité et du système économique dont elle a goulûment et frénétiquement accouché, jusqu’à consacrer ce que le pape François appelle « la dictature de l’argent ». Face à cela, les vertus cardinales du siècle seront la force et la justice.

 

Guillaume de Prémare,
 Chronique prononcée sur Radio Espérance, 6 juin 2014

 

 

***