Dépistage : l'engrenage eugéniste

En se prononçant dans son dernier avis pour l’autorisation en France d’un test révolutionnaire de dépistage de la trisomie 21 à partir d’un simple prélèvement de sang maternel [1], le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) encourage l’élimination des enfants porteurs de cette maladie. Plus grave, il prépare l’avènement d’un eugénisme “industriel” impliquant la lecture complète du génome de l’enfant à naître [2].

LA MEDECINE PRENATALE est aujourd’hui l’objet d’un bouleversement technologique majeur résultant de la convergence de deux facteurs : d’une part la découverte récente que l’ADN du fœtus, c’est-à-dire sa carte génétique, est accessible dans le sang maternel dès les premières semaines de grossesse, d’autre part les progrès spectaculaires enregistrés dans le séquençage moléculaire à très haut débit, couplé à une démultiplication de nos capacités d’analyse statistique et de biologie informatique.

Le perfectionnement du décryptage du génome (ce sont des dizaines de milliers de parties codantes de l’ADN qui pourraient être lues en moins de 48h) est sur le point d’exposer les enfants à naître à un « contrôle qualité » qui défie l’imagination.

100% d’élimination ?

Première application de cette révolution technique, la mise au point d’un dépistage de la trisomie 21 à partir de l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel. Bien qu’il reconnaisse que cette méthode aura « très probablement pour conséquence de diminuer le nombre de naissances d’enfants porteurs d’une trisomie 21 », le CCNE milite pour son introduction en France. Veut-il passer de 96% d’enfants trisomiques supprimés annuellement à 100% ?

Dans un premier temps, il serait prescrit chez les 24 000 femmes à risque identifiées par le dépistage combiné du premier trimestre en vigueur depuis 2010 (dosage classique des marqueurs sériques associé à une échographie). Pour justifier son feu vert, le CCNE fait valoir qu’en raison de sa remarquable fiabilité, ce nouveau test moléculaire permettra de réduire significativement le nombre de fausses couches induites par les prélèvements invasifs (ponction de liquide amniotique au premier chef) requis dans le protocole actuel pour confirmer le diagnostic.

Argument purement de circonstance quand on sait que notre plus haute instance morale n’a jamais trouvé à redire à ce que 500 enfants à naître périssent annuellement du fait de ces gestes iatrogènes.

Eugénisme extensif

La limitation du test au groupe des femmes à risque n’est qu’une première étape car le CCNE souhaite que soit étudiée rapidement la possibilité d’un passage à l’ensemble des plus de 800 000 femmes enceintes que compte la France chaque année. « Les limites de cette mise en place sont d’ordre technique, organisationnel et financier plus qu’éthique » ne craint pas d’affirmer le CCNE.

De fait, seules les contraintes économiques semblent circonscrire le raisonnement des « Sages » qui estiment toutefois que la concurrence sur le marché entre les différentes sociétés de biotechnologies conduira à une réduction rapide des coûts. Dans la seconde partie de leur rapport, les rédacteurs vont jusqu’à se féliciter de l’existence d’un contexte technologique et commercial particulièrement propice pour que dans un proche avenir il soit bien moins onéreux d’effectuer un séquençage extensif et à grande échelle du génome entier de l’enfant à naître plutôt que de réaliser un test ciblé visant uniquement la trisomie 21.

L’enfant à naître privé du droit à la vie

L’indigence des arguments éthiques avancés dans cet avis est telle que pour la première fois des journalistes spécialisés dans les questions de santé se sont émus du rétrécissement de la réflexion du CCNE[3]. On peut avancer deux explications à cette désertion de la morale. La première, c’est que le statut de l’enfant à naître est devenu le point aveugle du discours officiel si bien que tout fœtus étiqueté comme handicapé ou malade est considéré comme ne méritant pas de vivre, sauf choix contraire exceptionnel des parents (mais jusqu’à quand cette liberté leur sera-t-elle concédée ?).

La seconde qui s’inscrit dans la logique de la première est que le diagnostic prénatal, véritable antichambre de l’avortement en cas d’attestation de l’existence d’une malformation ou d’une anomalie génétique, est devenu « l’équivalent d’une sentence de mort » selon l’expression très juste de l’Instruction Donum vitae (Cardinal Joseph Ratzinger, 22 février 1987).

La conséquence de cette disqualification de la vie humaine est que « les techniques de diagnostic prénatal qui sont moralement licites lorsqu’elles sont ordonnées à rendre possible une thérapie précoce ou à favoriser une acceptation sereine et consciente de l’enfant à naître » ont perdu toute finalité soignante (Jean-Paul II, Evangelium vitae, n. 63, 25 mars 1995).

Seule compte l’amélioration asymptotique de leur puissance de traque des êtres humains non conformes.  Nous devons être lucides sur le caractère inexorable de l’amplification de cet eugénisme high-tech – il ne manque plus que les décrets d’application pour le rendre effectif – pour mieux nous en démarquer comme nous y invite l’analyse prophétique du cardinal André Vingt-Trois lors de la dernière Assemblée des évêques de France :

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« Se confirme peu à peu que [notre] conception de la dignité humaine […] n’est plus reconnue comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique. Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s’accommode plus d’un vague conformisme social. Elle relève d’un choix délibéré qui nous marque dans notre différence [4]. »

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En tant que parents ou soignants, nous devons nous désolidariser de ce système injuste, et pour cela nous former pour ne pas coopérer à cet eugénisme biomédical tentaculaire en posant si nécessaire des actes courageux d’objection de conscience contre des pratiques de diagnostic prénatal qui ont perdu toute finalité au service de la vie de l’enfant à naître[5].

 

P.-Ol. A

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[1] CCNE, « Questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel », Avis n. 120, 25 avril 2013.
[2] P.-Ol. Arduin, « Engrenage eugéniste », La Nef, mai 2013.
[3] Cf. par exemple Jean-Yves Nau qui parle du « refus d’une véritable perspective éthique » et d’un « champ de réflexion réduit », Slate.fr, 26 avril 2013.
[4] Discours d’ouverture du cardinal Vingt-Trois de l’Assemblée plénière des évêques de France, Eglise.catholique.fr, 16 avril 2013.
[5] Pierre-Olivier Arduin, « Le diagnostic prénatal : un éclairage éthique pour parents et soignants », Préface de Mgr Suaudeau, Editions de l’Emmanuel, 2012.