La gestation pour autrui, violation des droits de l’homme et de la dignité

La gestation pour autrui, généralement présentée comme une œuvre altruiste et généreuse, est une forme de procréation médicalement assistée qui permet à des couples stériles d’avoir des enfants. Elle ouvre en réalité la porte à toutes sortes d’abus car elle ne respecte pas la dignité humaine des personnes. Voici le texte de la communication donnée par l’auteur, docteur en droit, avocate, au Conseil de l’Europe puis au Parlement européen en avril et juillet 2012, à l’invitation de l’European Center for Law and Justice.

LA GESTATION POUR AUTRUI est un contrat par lequel une femme accepte de porter un enfant pour quelqu’un d’autre.

I- La gestation pour autrui

Un contrat « est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner,  à faire ou à ne pas faire quelque chose »[1].  Dans le contrat de gestation pour autrui, il y a pour la femme une obligation de faire (porter l’enfant) et une obligation de donner (le remettre à autrui). Le « quelque chose » objet du contrat est donc l’enfant or, selon le droit civil, « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions »[2]. L’enfant est donc considéré comme dans le commerce, autrement dit comme une marchandise.

La femme, quant à elle, est utilisée par le ou les mandataires comme une machine permettant le développement d’un fœtus, c’est-à-dire comme un incubateur. Dans l’affaire Baby M au New Jersey en 1988[3], le Dr Lee Salk, pédo-psychologue de renom, l’a ouvertement reconnu, précisant à la barre que les époux n’avaient pas eu recours à une mère de substitution mais à un utérus de substitution.

Ni la femme ni l’enfant ne sont traités comme des personnes humaines, ils sont traités comme des objets. Ceci est manifestement contraire à la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, pour reprendre les termes du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Traiter une personne comme un objet est la caractéristique de l’esclavage.

Dans un contrat de gestation pour autrui, la femme loue son corps, ou au moins une partie, son utérus. Louer son corps est la caractéristique de la prostitution.

Ces éléments laissent augurer de liens entre la gestation pour autrui et la traite des personnes. La gestation pour autrui, généralement présentée comme une œuvre altruiste et généreuse, une forme de procréation médicalement assistée qui permet à des couples stériles d’avoir des enfants, ouvre en réalité la porte à toutes sortes d’abus car elle ne respecte pas la dignité humaine des personnes.

Comme il n’existe pas encore de dispositions de droit international sur la gestation pour autrui, il est nécessaire de se référer à d’autres traités applicables à des situations comparables.

L’enfant peut soit être conçu par la mère porteuse au moyen d’une insémination artificielle, avec le sperme du père mandataire ou celui d’un donneur (elle est alors la mère génétique et biologique de l’enfant), soit être implanté dans l’utérus de la mère porteuse après fécondation in vitro. Dans ce cas, l’embryon peut avoir été créé avec les gamètes des deux parents contractants, de l’un d’entre eux et d’un donneur, ou de deux donneurs. L’enfant issu d’une gestation pour autrui peut donc avoir jusqu’à six parents : la mère génétique (donneuse d’ovocyte), le père génétique (donneur de sperme), la mère porteuse, son mari (présomption de paternité) et enfin les parents mandataires.

A.    Législation en Europe

Interdiction. Dans la majorité des pays, la gestation pour autrui est interdite soit expressément, comme en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Finlande, soit à travers les dispositions relatives en particulier à la filiation et à la procréation médicalement assistée. L’interdiction de cette pratique n’est pas liée au caractère « progressiste » ou « conservateur » de ces pays – puisqu’on y trouve aussi bien outre ceux déjà cités, des pays comme la Norvège, la Suède, l’Autriche, la Suisse, la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie ou l’Irlande – ni à la législation sur fécondation in vitro. Par exemple, la fécondation in vitro avec donneur est interdite en Allemagne et Italie mais autorisée en France.

Même si une très large majorité des pays d’Europe interdit la gestation pour autrui, il existe une forte pression en faveur de sa légalisation et des projets de loi en ce sens ont été déposés dans plusieurs pays.

Tolérance. Certains pays, tels que Belgique, Pays-Bas et Danemark, sans autoriser expressément la gestation pour autrui, la tolèrent à travers la procréation médicalement assistée et en encadrent les conséquences. La filiation est alors établie en utilisant l’adoption mais un lien génétique entre les parents mandataires (ou l’un d’eux) et l’enfant est exigé. La gestation pour autrui commerciale est interdite mais une compensation des frais est généralement acceptée, sauf au Danemark. Les contrats de gestation pour autrui ne sont pas exécutoires, ce qui signifie que, si la mère porteuse décide de garder l’enfant, nul ne peut la contraindre à le remettre aux mandataires.

Seuls deux pays de l’Union européenne autorisent expressément la GPA

Autorisation. Il s’agit d’abord du Royaume-Uni, depuis une loi de 1985 (Surrogacy Arrangement Act) qui dispose que les contrats de gestation pour autrui ne sont pas exécutoires et que la gestation pour autrui commerciale et la publicité pour cette activité sont interdites. Au moins six semaines après la naissance, le tribunal peut rendre une ordonnance appelée « parental order » : un nouveau certificat de naissance est émis avec le nom des parents mandataires (Human Fertilisation and Embryology Act 1990, modifié en 2008). Une compensation raisonnable peut être admise, souvent de l’ordre de 7000 à 10.000 £, mais les tribunaux n’ont pas annulé des accords portant sur des sommes supérieures. De telles sommes n’ont de toute évidence aucun lien avec d’éventuels frais et constituent en réalité une rémunération.

Le second pays de l’Union européenne qui admet la gestation pour autrui est la Grèce. La mère mandataire doit avoir moins de 50 ans et être dans l’incapacité médicale de porter un enfant ; la mère porteuse (et son mari s’il y a lieu) doivent donner leur accord par avance et le tribunal rend une ordonnance avant la naissance. Ceci pose un sérieux problème au regard de la législation relative à l’adoption. En effet, tant la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (article 4) que la Convention européenne en matière d'adoption des enfants révisée (article 5) exigent notamment que le consentement des parents soit donné librement, par écrit, n’ait pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d’aucune sorte, n’ait pas été retiré et que le consentement de la mère ait été donne seulement après la naissance de l’enfant. En outre, le droit international relatif à l’adoption interdit les contacts entre familles adoptive et biologique.

Plusieurs pays d’Europe de l’Est, issus de l’Union soviétique et membres du Conseil de l’Europe, autorisent la gestation pour autrui, même commerciale : Russie, Ukraine, Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan[4]. En Ukraine, contrairement à la Russie, un lien génétique est en principe exigé entre les parents mandataires (ou l’un d’eux) et l’enfant. Comme en Russie, les noms des parents mandataires sont directement inscrits sur le certificat de naissance. En Russie, la mère porteuse ne peut être condamnée à remettre l’enfant, mais elle peut être condamnée à des dommages et intérêts si elle refuse de le faire, cas qui ne semble pas s’être encore présenté. En Ukraine, l’enfant est considéré comme « appartenant » légalement aux parents mandataires à partir du moment de la conception : la mère porteuse ne peut garder l’enfant. La gestation pour autrui commerciale étant acceptée, la mère porteuse peut recevoir non seulement une indemnisation correspondant à ses frais ou à sa perte de salaire, mais aussi une véritable rémunération qui varie entre 15.000 et 100.000 $.

Une nouvelle fois, ceci n’est pas conforme au droit international relatif à l’adoption. Outre l’interdiction de paiement ou contrepartie pour obtenir le consentement des parents, la Convention de La Haye (article 32) et la Convention européenne en matière d'adoption des enfants (révisée) article 17 précisent : « Nul ne peut tirer indûment un gain financier ou autre d’une activité en relation avec l’adoption d’un enfant ».

B.     Problèmes juridiques

Comme tout contrat, les conventions de gestation pour autrui donneront (et donnent déjà) lieu à du contentieux, rendu plus complexe en raison de la matière. Parmi les principales causes de litige se trouve le changement d’avis de la mère porteuse si, s’étant attachée à l’enfant qu’elle porte, elle refuse de le remettre aux mandataires. Elle est protégée dans certains pays comme l’Angleterre[5] mais n’a aucun droit sur l’enfant dans d’autres comme l’Ukraine ou l’Inde. Aux Etats-Unis, dans l’affaire Bébé M, la mère porteuse – qui était aussi la mère biologique – a dû remettre l’enfant aux mandataires mais elle a obtenu un droit de visite. Il peut arriver aussi que les mandataires changent d’avis, par exemple lorsque le couple se sépare pendant la grossesse[6] ou si l’enfant nait porteur d’un handicap. Plus personne ne voudra de cet enfant objet du contrat. De nombreuses questions se posent aussi en cas de problème pendant la grossesse. Par exemple, si un handicap est décelé à l’échographie, peut-on obliger la mère porteuse à avorter ? Au contraire, peut-on l’en empêcher si la grossesse met en péril sa vie ou sa santé?[7] Si l’enfant est mort-né ou meurt peu après la naissance, comment résoudre les problèmes d’exécution du contrat ? La mère aura porté l’enfant, mais les mandataires ne le recevront pas. Devront-ils verser la somme convenue ? Si elle a déjà été versée, la mère devra-t-elle la restituer ?

En cas de gestation pour autrui internationale, de nombreux problèmes se posent également en raison des différences de régimes juridiques entre les Etats, notamment en ce qui concerne la filiation et la nationalité, ce qui a conduit la Conférence de La Haye de droit international privé à se pencher sur la question[8]. Par exemple, dans un pays qui accepte la gestation pour autrui, la filiation ne sera pas établie à l’égard de la mère porteuse mais à l’égard des mandataires. Ceux-ci ne pourront cependant la faire reconnaître dans leur pays si celui-ci juge la gestation pour autrui contraire à l’ordre public, comme la France, ou si la filiation elle-même est contraire à l’ordre public, par exemple si elle est établie à l’égard de deux personnes de même sexe, comme c’est possible en Californie. Ce refus de reconnaître la filiation est le seul moyen efficace pour les Etats de refuser la gestation pour autrui et de dissuader leurs ressortissants d’y recourir à l’étranger. Si la nationalité dépend de la filiation, elle ne peut être établie non plus et on se trouve avec des enfants apatrides et sans parents, ce qui est manifestement contraire à leurs droits (art. 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant). La législation relative à l’immigration peut aussi empêcher de régulariser la situation, comme au Royaume-Uni où le parental order ne peut être rendu que si l’enfant est présent sur le territoire, or il ne peut y entrer sans lien reconnu avec les parents mandataires.

Plus tard ne manqueront pas de surgir en outre des litiges entre les enfants conçus par gestation pour autrui et leurs nombreux « parents », voire « grands-parents », qu’il s’agisse d’obligations alimentaires, de succession ou autre, voire des conflits avec les demi-frères et demi-sœurs, ou des questions dans d’autres domaines, par exemple concernant les empêchements au mariage entre (demi-)frères et sœurs ou frères et sœurs adoptifs. Brouiller ainsi la filiation suscitera inévitablement d’innombrables problèmes juridiques.

II- Conséquences concrètes

A.    Sur les enfants

L’intérêt de l’enfant. En droit interne comme en droit international, le principe qui régit les mesures concernant les enfants est celui de leur intérêt. Ainsi, selon l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».  

La première question à se poser au sujet de la gestation pour autrui est donc de savoir si elle est dans l’intérêt des enfants. Est-ce l’intérêt de l’enfant ainsi conçu d’avoir cinq ou six adultes qui revendiquent des droits sur lui ? Est-ce son intérêt d’être séparé de sa mère dès sa naissance ? Est-ce l’intérêt des éventuels autres enfants de la mère porteuse de voir qu’on dispose ainsi de leur frère ou de leur sœur ? La simple formulation de la question conduit à une réponse négative.

Toujours selon la Convention relative aux droits de l’enfant, « Les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité » (Article 8). Cette Convention précise que l’identité inclut la nationalité et que l’enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (article 7).

La filiation constitue une part essentielle de l’identité. Dans beaucoup de pays, on identifie les enfants par le nom de leur père (untel fils d’untel), ce qui apparaît dans de multiples patronymes y compris en Europe. Comment établir la filiation de l’enfant né de gestation pour autrui ? Qui sont ses parents ? Paternité et maternité sont chacune dissociées entre trois revendications possibles. En outre, comme en cas de fécondation in vitro ou d’insémination artificielle avec donneur, les dons de gamètes sont souvent anonymes. L’enfant est en conséquence privé d’une grande partie de son identité. Cela est source de souffrance pour l’enfant et peut entraîner des difficultés d’ordre psychique et psychologique[9]. La filiation permet à l’enfant de se situer dans la chaîne des générations, ce qu’il aura du mal à faire si cette filiation est incohérente, manifestement incompatible avec la réalité naturelle.

Par définition, en cas de gestation pour autrui, la mère abandonne l’enfant à la naissance pour le remettre au(x) mandataire(s). Cette séparation est cause de souffrance pour le nouveau-né et pour la mère porteuse. Aux Etats-Unis, des agences de gestation pour autrui prévoient un accompagnement psychologique et des groupes de paroles pour les mères porteuses pour les aider en vue de cette séparation. La femme, pour se protéger, garde une certaine distance avec l’enfant qu’elle attend, évite « d’investir » sa grossesse[10]. Pourtant, depuis plusieurs décennies, toutes les études montrent l’importance des liens créés entre la mère et l’enfant pendant la grossesse. L’enfant ressent toutes les émotions de sa mère. Il est impossible qu’il ne ressente pas cette distance, le fait d’être comme tenu à l’écart dans le sein maternel, là où la relation devrait être la plus fusionnelle, et qu’il n’en souffre pas. Il est difficile de prétendre que cela n’affecte pas son développement.

Certes, plusieurs de ces difficultés sont semblables à celles que rencontrent les enfants adoptés. Néanmoins, l’adoption a pour but de remédier à une situation existante et de donner une famille à l’enfant, dans son intérêt. Au contraire, par la gestation pour autrui on crée volontairement une telle situation, pour satisfaire le désir des adultes, ce qui pose un grave problème quant à la légitimité d’un tel choix. En outre, la situation est plus complexe que dans le cas de l’adoption, notamment parce qu’on ajoute parfois des donneurs de gamètes et toujours une dimension volontaire. Pour l’enfant, savoir que l’abandon était décidé par avance, qu’il a été conçu dans le but d’être abandonné (voire vendu) est une violence et une grande source d’insécurité puisqu’il a été traité comme un objet par les adultes qui avaient pour mission de le protéger, à commencer par sa mère.

Certaines difficultés fréquentes chez les enfants adoptés sont connues. Des études commencent à montrer l’impact de la fécondation in vitro sur les enfants ainsi conçus ; les mêmes conséquences apparaîtront prochainement pour les enfants issus d’une maternité de substitution, aggravées parce que la gestation pour autrui est plus complexe et conjugue les deux.

Des chercheurs s’interrogent aussi sur l’impact de la gestation pour autrui sur les autres enfants de la mère porteuse. Ils pourraient notamment souffrir d’un sentiment d’insécurité et d’anxiété en pensant qu’ils auraient pu être ainsi traités, de même que certains enfants dont la mère a avorté souffrent du syndrome du survivant. L’intérêt de l’enfant n’est manifestement pas la considération primordiale dans la gestation pour autrui.

La vente d’enfants. La gestation pour autrui à but lucratif, et dans beaucoup de cas la gestation pour autrui non-commerciale, est un contrat par lequel un enfant est transféré de la mère porteuse aux parents contractants pour une rémunération ou un autre avantage or, selon l’article 2a) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants : « On entend par vente d'enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un enfant est remis par toute personne ou tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre groupe contre rémunération ou tout autre avantage ». La gestation pour autrui entre donc clairement dans le cadre de la vente et la traite des enfants prohibée par le droit international, y compris la Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants.

Un simple coup d’œil sur internet montre que la gestation pour autrui est un marché en pleine extension : des centaines de cliniques et d’agences proposent leurs services en la matière pour les prix les plus variés, soit au forfait soit en fonction des options choisies. Aux Etats-Unis, il faut prévoir entre 100.000 et 150.000 $, environ la moitié en Russie ou en Ukraine et le quart en Inde. Certains promeuvent sans vergogne leurs mères porteuses « low cost » et des tarifs différents pour les ovocytes selon que la donneuse est indienne ou blanche[11]. On estime que le chiffre d’affaire annuel du marché de la reproduction s’élève en Inde à 400 millions de dollars[12] et 6,5 milliards de dollars aux Etats-Unis[13].

Les réseaux plus ou moins mafieux de vente d’enfants ne sont pas réservés aux pays en voie de développement. L’été 2011 aux Etats-Unis, un réseau de vente d’enfants a ainsi été démantelé. Il était organisé par des avocats qui prétendaient que les enfants concernés avaient été conçus pour des parents mandataires qui s’étaient ensuite désistés. Ces enfants étaient vendus 100.000 $[14].

Les risques de traite organisée et de violence individuelle sont bien réels. Il y a quelques années, un homme célibataire aux Etats-Unis a obtenu un bébé par une mère porteuse : l’enfant est mort de violences répétées au bout de six semaines[15]. Faut-il rappeler que selon l’article 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant « Les Etats parties protègent l'enfant contre toutes autres formes d'exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien-être » ?

B.     Sur les femmes

Les droits des femmes. La première question suscitée par les contrats de gestation pour autrui concerne la liberté du consentement de la mère : si la gestation pour autrui est commerciale, la mère n’est pas vraiment libre car elle a besoin d’argent, souvent pour nourrir sa propre famille. En Inde, en une seule grossesse elle peut gagner jusqu’à dix fois le revenu annuel de son mari[16]. Dans ces circonstances, le consentement n’est manifestement pas libre mais contraint par la nécessité économique. Même si elle est « bénévole », la mère peut en réalité être soumise à un chantage affectif, voire à des promesses ou des menaces concernant son emploi. C’est déjà le cas en ce qui concerne le don d’ovules en France, comme le souligne le rapport de l’IGAS[17]. Si la gestation pour autrui n’est pas à but lucratif, peu de femmes acceptent de porter un enfant pour quelqu’un d’autre. En conséquence de l’inadéquation de l’offre à la demande, soit il y a des pressions sur les femmes plus vulnérables soit les « parents intentionnels » vont à l’étranger, là où c’est commercial, au risque qu’il n’y ait aucune protection pour la mère porteuse.

Là où la gestation pour autrui commerciale est admise, de nombreuses agences et cliniques font profit de la souffrance des couples en mal d’enfant et de la détresse de femmes vulnérables.

Sélection des femmes (donneuses d’ovocytes et mères porteuses)

Les femmes retenues pour être mères porteuses ou donneuses d’ovocytes sont soigneusement sélectionnées. En Inde, elles sont choisies sur des critères de beauté, d’obéissance et de dépendance économique. Aux Etats-Unis, le processus de recrutement commence par d’interminables questionnaires[18], examinant le dossier médical de l’intéressé et de toute sa famille jusqu’aux grands-parents (avec l’âge et la cause de leur mort) et aux oncles et tantes ou neveux et nièces, mais aussi les niveaux d’étude et professions de toute la famille, la vie sexuelle, les compétences musicales ou sportives, la religion (foi et pratique) sans oublier l’apparence physique : taille, poids, origine ethnique, couleur des yeux et des cheveux etc. Les femmes ne peuvent être retenues en présence d’antécédents médicaux ou judiciaires. Finalement, les femmes sont choisies sur des catalogues avec photos, pour permettre aux « parents intentionnels » d’avoir le bébé « de leurs rêves », le bébé parfait, qui leur ressemble et répond à leurs attentes. Beaucoup de cliniques proposent aussi le choix du sexe de l’enfant par diagnostic préimplantatoire[19]. L’enfant devient donc un bien que l’on choisit avec toutes ses options, comme on achète une voiture[20], sans avoir à subir les inconvénients d’une grossesse et d’un accouchement[21].

Surveillance des femmes

Pour assurer que l’enfant sera conforme à toutes les normes fixées, la mère est étroitement surveillée pendant la grossesse. Ceci peut être fait par différents moyens, en douceur ou de façon coercitive. Aux Etats-Unis par exemple, les clauses du contrat envisagent en détail ce que la mère peut faire ou manger pendant sa grossesse et ce dont elle doit s’abstenir, à un point qui peut devenir très contraignant. Dans de nombreux pays, l’agence exerce un contrôle régulier, parfois avec des visites quotidiennes, et le suivi psychologique peut devenir aussi un moyen de surveillance. Les mandataires eux-mêmes peuvent être en contact permanent avec la mère porteuse, par téléphone ou à travers des visites, au point d’empiéter sur l’intimité de la mère porteuse et d’entretenir une confusion malsaine[22].

La surveillance peut même devenir franchement coercitive, avec des femmes parquées dans une maison comme du bétail (de compétition) et obligées de suivre un régime et un emploi du temps stricts, incluant la sieste et l’écoute de Mozart puisque c’est bon pour le bébé[23].

Exploitation des femmes

Dans tous les cas, seul le bébé compte : il faut un produit de bonne qualité, correspondant en tous points aux désirs des parents. Pour cela, des cliniques indiennes imposent une césarienne sans raison médicale trois semaines avant terme, afin que le bébé ne soit pas marqué par la naissance, qu’il ait une belle tête bien ronde. Les mères ne reçoivent pas les soins adéquats après, ce qui fait que le taux de mortalité maternelle est élevé. Cela peut aussi permettre de réduire la rémunération de la mère qui est parfois payée selon le poids du bébé…

Des femmes délivrées d’une « ferme de bébés » ou elles avaient été retenues et contraintes de porter un enfant pour autrui ont raconté les méthodes de recrutement dans les villages : promesse d’un emploi, viol, retrait du passeport et enfermement loin de chez elles : ces méthodes sont en tous points semblables à celles des réseaux de prostitution. Les liens avec les réseaux mafieux, non seulement en Asie mais aussi en Europe de l’Est, sont d’ailleurs connus, même s’ils sont parfois difficiles à prouver.

Il peut être utile à ce stade de rappeler quelques normes de droit international. L’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale inclut la réduction en esclavage, la prostitution forcée et la grossesse forcée parmi les crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont pratiqués à grande échelle. L’article 6 de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes exige que « Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes », tandis que l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et l’article 4 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains stipulent :

 « a) L’expression “traite des personnes” désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes;

b) Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé. »

Même si dans certains pays des règles et une protection sont assurées pour limiter la marchandisation des enfants et l’exploitation des femmes, ces limites sont loin d’être suffisantes : une « contrepartie » peut en réalité constituer un paiement, le consentement de la mère peut être contraint et dans tous les cas l’enfant est traité comme une chose, objet d’un contrat.

Aucune protection ne peut être suffisante parce que la gestation pour autrui est en elle-même une violation de la dignité humaine, tant de la mère que de l’enfant.

Les pays membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe doivent fermement interdire les contrats de gestation pour autrui et refuser de reconnaître les effets de la gestation pour autrui à l’étranger, en particulier concernant la filiation. C’est la façon la plus efficace de dissuader leurs ressortissants d’avoir recours à la gestation pour autrui à l’étranger et de contribuer à l’exploitation des femmes et à la marchandisation des enfants.

Cl. de La H.

 

 

Le Centre européen pour le droit et la justice est une organisation non-gouvernementale internationale dédiée à la promotion et à la protection des droits de l'homme en Europe et dans le monde. L'ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations-Unies/ECOSOC depuis 2007. L'ECLJ agit dans les domaines juridiques, législatifs et culturels. L’ECLJ défend en particulier la protection des libertés religieuses, de la vie et de la dignité de la personne auprès de la Cour européenne des droits de l'homme et au moyen des autres mécanismes offertes par l'Organisation des Nations-unies, le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L'ECLJ fonde son action sur « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples [européens] et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable » (Préambule de la Statut du Conseil de l'Europe).

 

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[1] Définition de l’article 1101 du code civil français
[2] Article 1128 du code civil français
[3] M. et Mme Whitehead avaient conclu un accord avec les époux Stern selon lequel  Mme Whitehead serait inséminée avec  le sperme de M. Stern et lui remettrait l’enfant ainsi conçu.  Elle a finalement voulu garder l’enfant et refusé la somme convenue. A près diverses péripéties, le contrat de maternité de substitution fut annulé mais la garde de l’enfant fut confiée aux époux Stern avec un droit de visite pour Mme Whitehead par la Cour suprême du New Jersey le 3 février 1988.
[4] Konstantin Svitnev, “Legal regulation of assisted reproduction technology in Russia”, Reproductive BioMedicine Online (2010) 20, 892– 894
[5] Ces contrats ne sont pas exécutoires, la mère porteuse ne peut donc être obligée de donner l’enfant ; en revanche, le mandataire père biologique de l’enfant peut être condamné à lui verser une pension alimentaire pour l’éducation de l’enfant : Affaire rapportée dans le Daily mail online du 13 avril 2011 : http://www.dailymail.co.uk/femail/article-1376349/As-couple-ordered-pay-500-month-baby--Was-surrogate-took-baby-money.html
[6] Exemple dans un couple japonais qui a « commandé » un enfant en Inde, puis a divorcé ; c’est finalement la « grand-mère », mère du mandataire, qui a pris l’enfant : Baby Manji Yamada vs. Union of India and Another, Judgments Today 2008 (11) Supreme Court 150. Résumé de l’affaire sur http://www.lawgazette.com.sg/2009-3/regnews.htm
[7] Aux Etats-Unis, les contrats prévoient toutes ces hypothèses, comme dans l’affaire Baby M http://www.gale.cengage.com/free_resources/whm/trials/babym.htm
[8]  « Questions de droit international privé concernant le statut des enfants, notamment celles résultant des accords de maternité de substitution à caractère international », note de mars 2011 http://www.hcch.net/upload/wop/genaff2011pd11f.pdf
[9] Voir par exemple http://www.anonymousfathersday.com/
[10] Hazel Baslington, The Societal Organization of Surrogacy : Relinquishing a Baby and the Role of Payment in the Psychological Detachment Process, 7 J. Health Psychol.  57,63 (2002)
[11] http://www.artbaby.in/ivf-packages/
[12] Note de la conférence de La Haye p. 6.
[13] Sigrid Fry-Revere, “Funding Embryonic Stem Cell Research,” Genetic Engineering and Biotechnology News, Vol. 27, No. 6, March 15, 2007, cite par http://www.cbc-network.org/issues/making-life/egg-donation-and-exploitation-of-women/
[14] News Release, Office of the United States Attorney Southern district of California, Baby Selling Ring Busted 1 (Aug. 9, 2011).
[15] Huddleston v. Infertility Clinic of America Inc. (20 août 1997) (Superior Court de Pennsylvanie) – disponible à l’adresse < http://caselaw.findlaw.com/pa-superior-court/1190217.html   
[16] Note Conférence de La Haye.
[17] Etat des lieux et perspectives du don d'ovocytes en France, Février 2011, Documentation française, p. 25 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000113/0000.pdf. Voir aussi, concernant le marché d’ovocytes aux Etats-Unis, le film Eggsploitation présenté sur http://www.eggsploitation.com/ 
[18] http://www.egg411.com/download/EggDonorApplication.pdf
[19]  Par exemple: http://www.lasvegasfertility.net/index.html ; http://www.fertility-docs.com/fertility_gender.phtml
[20]  Par exemple: http://mother-surrogate.com/anketa.html ; http://www.affordablesurrogacy.com/33.html
[21] Dans 10% des cas, les femmes qui ont recours à une mère porteuse le font pour ne pas compromettre leur carrière ou leur silhouette, ou pour éviter les douleurs de l’accouchement : http://www.ewtn.com/vnews/getstory.asp?number=17113
[22] Comme cette mandataire anglaise qui racontait qu’elle avait inséminé elle-même la mère porteuse avec le sperme de son mari pour participer à la conception, que la mère porteuse lui avait annoncé « Nous sommes enceintes » et qu’elle étalait de la crème sur le ventre de la mère porteuse… Daily Mail online du 13 avril 2011 : http://www.dailymail.co.uk/femail/article-1376349/As-couple-ordered-pay-500-month-baby--Was-surrogate-took-baby-money.html
[23] http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-pacific-12575566