Bill Gates

Bill Gates est un des hommes les plus riches du monde. Il aime l’humanité.

Il veut en supprimer une partie.

Avec une fortune de plus de 50 milliards de dollars, Bill Gates était classé l’homme le plus riche du monde en 2010. Il a décidé d’en consacrer une partie (déjà 14 milliards) à une « charity» dirigée par sa femme, la Bill et Melinda Gates Foundation, créée en 2000.

Sa priorité est la santé. Et parmi les actions de santé, la vaccination : la GAVI, l'Alliance mondiale pour la vaccination et l'immunisation, a été lancée grâce à un don de 750 millions de dollars de la Fondation Gates. Jusque-là, rien à dire.

Mais Bill Gates veut aussi réduire la couche de gaz carbonique dans l’atmosphère. Pour cela, il pense qu’il faut réduire la population humaine. Certains experts estiment que l’optimum serait une population réduite à 600 millions d’hommes et de femmes, soit des 9/10. Lui ne va pas jusque là mais il croit possible de réduire très vite la population de 10 à 15 % - en attendant mieux - grâce à un vaccin contraceptif dont sa fondation finance la mise au point.

Convaincus de leur mission humanitaire, les époux Gates parcourent le monde pour répandre leur message malthusien.

Dans un partenariat public-privé qui se voulait exemplaire, la Fondation Gates, le gouvernement britannique et le Fonds des Nations Unies pour la population ont organisé à Londres un sommet mondial sur le planning familial. Tout en se disant catholique pratiquante, Melinda Gates a pris à partie les positions de l’Eglise catholique en la matière[1]. Campés sur leurs certitudes, les riches de ce monde peuvent toiser de haut les rois et les papes.

Eliminer les 9/10 de la population mondiale

Bill Gates n’a pas inventé grand-chose. Il ne fait que refléter un large consensus dans l’élite mondialisée selon lequel, les hommes se porteraient mieux si la population était réduite à un demi-milliard. C’est le chiffre que donnent généralement des personnalités comme David Rockefeller, Mikhaïl Gorbatchev, Ted Turner, Jacques Cousteau etc[2].

Faut-il s’attarder sur le paradoxe moral qui conduit, pour servir les hommes, à mettre en place un plan destiné à en réduire le nombre ? Si la personne, comme le disait Kant, est la fin de toute vie morale et ne peut en être le moyen, l’ajustement du nombre des hommes ne saurait être, de quelque manière qu’on y procède, tenu pour un moyen du bonheur des survivants.

On peut aussi prendre le problème à l’envers : si la population est réduite des 9/10, la question de savoir si la vie est bonne ou mauvaise ne se posera plus pour 9 hommes sur 10. On pourrait définitivement résoudre le problème en supprimant le dernier dixième !

Mais par-delà ces considérations morales, le raisonnement de Bill et Melinda Gates repose sur de graves erreurs.

D’abord le fait, largement établi, que la réduction du nombre des naissances n’est pas d’abord une question technique mais une question de volonté, pas celle des élites, celle des peuples. Avant la guerre de 1939, il n’y avait en France et en Allemagne ni pilule, ni stérilet, ni stérilisation et l’avortement était peu répandu et pourtant les taux de fécondité étaient tombés au-dessous du seuil de reproduction[3]. Dès qu’un vouloir collectif existe dans une population, cette population (que l’élite mondiale tend à considérer comme un troupeau irresponsable) prend les dispositions nécessaires pour réduire la natalité. De fait, les politiques de contrôle des naissances ne jouent qu’un rôle d‘accompagnement - largement inutile quand la population ne veut pas réduire les naissances, par exemple dans l’Inde des années soixante - superflu quand cette population veut les réduire, ce qui est le cas à peu près partout dans le monde aujourd’hui.

Le deuxième fait qui invalide largement les projets de la fondation est que, avec ou sans Bill Gates, la population mondiale va atteindre, vers 2040, un plafond et ensuite diminuer. Quel plafond ? Chaque année, les Nations Unies révisent ce plafond à la baisse : on le fixe à présent à 9 milliards d’habitants.

Il y en a aujourd’hui 7. On voit qu’il n’y a pas que quoi s’affoler, notamment sur le plan alimentaire. S’il y a de la nourriture pour 7 milliards, il y en aura pour 9 (sachant qu’au moins un milliard est mal alimenté, mais c’est une autre question). Le sait-on ? Les terres encore non ou mal exploitées dans le monde sont très étendues, notamment en Russie ou en Afrique noire et dans les Amériques.

Le taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme), qui est l’indice décisif du renouvellement des générations, est au-dessous du seuil de reproduction dans une grande partie du monde (en particulier, Chine, Russie, Europe occidentale, dominions britanniques, Iran, Brésil etc.) et dans aucun de ces pays, il ne parait sur la voie d’un redressement, à l’exception de la Russie qui, tombée très bas, a pris des mesures vigoureuses pour redresser sa natalité. Mais ces mesures sont loin d’avoir fait repasser ce pays au-dessus du seuil de reproduction. Il n’est même pas sûr qu’elles n’y parviennent jamais.

Et là où la fécondité est au-dessus du seuil de reproduction, elle se trouve partout en baisse : Inde, Pakistan, Monde arabe, Afrique noire. En prolongeant les courbes, on les voit passer au-dessous du seuil dans les prochaines années (Inde, Algérie) ou les prochaines décennies (Afrique sub-saharienne).

Seuls restent au niveau d’équilibre, les Etats-Unis.

Ces tendances ne signifient certes pas une diminution immédiate de la population comme l’imagine Bill Gates, car le taux de fécondité s’applique à une population de femmes qui est très supérieure à celle qu’il y avait sur la terre il y 50 ans. Les phénomènes démographiques ont ainsi un fort moment d’inertie : les effets ne suivent jamais immédiatement les actions tout simplement parce que, même en se fixant des objectifs chiffrés ambitieux, on ne saurait faire disparaître (heureusement !) les populations déjà nées.

Et de ce fait, le coup de frein qu’envisage Bill Gates n’aurait immédiatement qu’un faible effet à la marge, nullement la réduction de 1 milliard qu’il envisage.

Et réciproquement, sans ce coup de frein, le plafonnement de la population et sa réduction arriveront néanmoins immanquablement.

On peut même se demander si, à long terme, le vrai problème que devraient se poser les puissants de ce monde n’est pas d’abord là. Il n’y a pas d’exemple d’un pays passé au-dessous du seuil de reproduction (fécondité de 2,1 enfants par femme) qui se soit relevé. Le taux de fécondité peut se stabiliser (généralement entre 1,2 et 1,6) mais même à ce niveau stabilisé, il entraîne encore une diminution de la population. De ce fait, toutes les courbes de population prolongées conduisent non pas à une stabilisation à un niveau raisonnable, ni à un niveau « optimum » de 500 milliards d’hommes (et de femmes), mais à une disparition pure et simple de l’humanité à échéance de deux ou trois siècles. Deux ou trois siècles, c’est loin, dira-t-on. On peut aussi bien dire que compte tenu de la durée déjà accomplie de l’aventure humaine, 2 millions d’années au moins, c’est demain. Les choses pourraient se retourner. Elles le feront probablement, mais on n’en a pas encore la preuve.

En tous les cas, il n’y aura pas ce jour là de Bill Gates pour nous dire qu’il y a trop d’hommes sur la terre et l’intéressé pourrait d’ores et déjà penser à d’autres manières de dépenser utilement son argent.

 

Roland Hureaux est l'auteur de Le temps des derniers hommes, Le devenir de la population mondiale, Hachette, 2000

[1] http://www.naturalnews.tv/v.asp?v=A155D113455FAC882A3290536575C723

[2] http://endoftheamericandream.com/archives/from-7-billion-people-to-500-million-people-the-sick-population-control-agenda-of-the-global-elite

[3] Le régime nazi avait mis en place des mesures natalistes énergiques en 1937 mais elles avaient à peine commencé d’avoir des effets au début de la guerre. En France, le Code de la Famille n’a été établi qu’en    1939.