Assemblée nationale

J’entends trop de commentateurs blasés et soi-disant sérieux qui s’impatientent : cette parenthèse électorale est trop longue, vivement qu’on en finisse. Comme si les élections législatives devaient n’être qu’une formalité ennuyeuse. Eh bien non ! Elles ont de l’importance . Evidemment à cause du rôle du Parlement , mais aussi en ce qu’elles révèlent – autrement que l’élection présidentielle – de la situation politique française. Or, du premier tour des élections législatives, nous pouvons tirer trois enseignements.

1/ Quel est le sens de la très forte abstention (42,8% : record absolu sous la V° République) ?

– Un signe de lassitude après une très longue campagne présidentielle ? Certainement, pour partie.

– Un problème de thématique ? Certainement aussi : sur quoi faire campagne si ce n’est, d’un côté sur la confirmation du vote présidentiel et sur la cohérence, de l’autre sur le rééquilibrage et le partage du pouvoir ? Thèmes qui résument ce qu’on a entendu pendant trois semaines. Mais à ce jeu, le perdant de l’élection présidentielle est handicapé car il semble alors revendiquer une cohabitation de mauvaise mémoire ; et la droite est spécialement mal placée, elle qui a perdu une grande part de son assise territoriale au fil de ses défaites dans les scrutins locaux.

– Plus fondamentalement, c’est la preuve, de nouveau apportée, du déséquilibre de nos institutions : celles-ci sont bancales. Certes, l’élection présidentielle est dominante et structure la vie politique ; mais elle n’est finalement pas décisive car le Président de la République ne peut rien faire sans une majorité parlementaire, alors que l’inverse n’est pas vrai : comme on l’a vu en période de cohabitation, une majorité parlementaire peut gouverner contre le Président. On conçoit que la perception, même inexprimée, de cette réalité déboussole l’électeur qui, dès lors, a tendance à délaisser le scrutin législatif dont il ne comprend plus bien l’enjeu réel.

Y remédiera-t-on en bricolant à nouveau les institutions ; par exemple en avançant la date des élections législatives pour la faire coïncider avec celle de l’élection présidentielle ? On le murmure dans les couloirs de l’Élysée. D’autres pays, comme les USA, ont fait ce choix de regrouper tous leurs scrutins à la même date. Mais ayons conscience que l’on perdrait la garantie de cohérence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire (situation fréquente outre-Atlantique, mais dans un contexte où le compromis avec le Président est inscrit dans les gènes du Congrès) ; et que l’on rendrait encore plus problématique tout arbitrage entre un Président et une majorité qui lui serait moins inféodée qu’aujourd’hui et qui pourrait même lui devenir contraire.

À dire vrai, il ne peut pas y avoir deux scrutins décisifs, deux sources de légitimité. Si l’élection présidentielle est devenue politiquement dominante en raison de la personnalisation du pouvoir qui a toujours fasciné les Français, pour le pire plus que pour le meilleur, les élections législatives sont techniquement plus importantes car c’est le Parlement (et d’abord l’Assemblée Nationale) qui vote la loi, approuve le budget, contrôle le gouvernement et peut le renverser.

2/ La poursuite de la bipolarisation.

Le rapport gauche/droite a peu bougé depuis l’élection présidentielle, que ce soit au niveau des deux principales formations ou au niveau global :

– Le PS a recueilli 29,3% des suffrages exprimés, et l’UMP 27,1% ; on notera simplement que ces deux formations enregistrent un score qui n’est pas inférieur à celui de leurs champions respectifs au premier tour de l’élection présidentielle, démontrant ainsi qu’elles existent par elles-mêmes.

– L’ensemble des voix de gauche bénéficiant du « désistement républicain » (PS, Front de Gauche, Radicaux de Gauche, Europe-Écologie-Les Verts et divers gauche) a obtenu 46,8% des suffrages exprimés, tandis que l’ensemble des voix de droite (UMP, Nouveau Centre, Parti Radical Valoisien, divers droite et FN) 47,8%, faisant encore apparaître un rapport légèrement favorable à la droite[1].

Le centre est laminé avec 4,4% des voix dont seulement 1,8% pour le MoDem[2]. Celui-ci signe probablement ici son implosion finale et sa disparition de la scène politique. Ce n’est pas seulement le fruit de l’erreur commise par François Bayrou à la veille du second tour de l’élection présidentielle, erreur qu’il a fini par reconnaître ; mais plus profondément la conséquence mécanique d’un paysage structuré et bipolarisé par l’élection présidentielle.

De fait, il est devenu impossible pour un candidat d’émerger sans le label d’un grand parti : pour être reconnu par les électeurs, il faut être repéré sur l’échiquier politique. J’en veux pour preuve l’échec de tous les candidats de droite qui n’ont pas été investis par l’UMP ou ses alliés et se sont présentés en dissidents, ou qui, bien qu’officiellement investis, ont escamoté le label UMP parce qu’ils craignaient d’être marqués par le sceau de la défaite du 7 mai. Partout ils ont eu tort et ont enregistré de mauvais résultats.

Les seules exceptions, assez rares, ont concerné le PS, là où l’appareil avait imposé des parachutages parisiens ou des arbitrages déséquilibrés en faveur des écologistes (La Rochelle, Lyon, Marseille, pour ne citer que les plus symboliques), tandis que les militants locaux ont porté avec succès des candidatures dissidentes bien repérées et bien implantées.

Est-ce un bien ou un mal ? Je sais la diversité des avis sur cette question et la sempiternelle contestation à l’encontre des grands partis qui sont accusés d’étouffer la démocratie et de privilégier leurs appareils. Mais, sans vouloir rappeler les effets gravement néfastes qu’a eula situation inverse sous les III° et IV° Républiques, je sais aussi que pour être présent sur le terrain et avoir une chance de porter une voix audible, il faut disposer d’alliés, de militants et d’une logistique : à ce niveau, on ne fait pas (ou plus) de politique tout seul.

Cette bipolarisation se double d’une forte volonté d’union chez les électeurs de la droite : on le voit dans l’entre-deux-tours, et ce sera peut-être sa chance si elle dépasse les blocages traditionnels. Mais, à long terme, cela implique d’un côté que le FN et l’UMP reconnaissent que leurs électeurs sont finalement de plus en plus proches, de l’autre que le premier quitte une posture strictement protestataire dans laquelle son voisin est son principal adversaire et que le second cesse de vouloir l’y enfermer, enfin que les deux apprennent les lois et contraintes de toute alliance : le chemin à parcourir reste long et incertain.

3/ L’émiettement.

Qui n’a pas été agacé par le foisonnement des candidatures : souvent plus de dix, parfois plus de quinze dans certaines circonscriptions ?

La raison principale en est connue : le financement public des partis politiques est déterminé pour cinq ans en fonction des résultats aux élections législatives. Il comprend deux tranches :

– La première est proportionnelle au nombre de voix recueillies au premier tour. Elle est attribuée à chaque formation politique ayant présenté des candidats qui ont obtenu chacun au moins 1% des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions. Au cours de la législature écoulée, chaque voix répondant à ces critères a rapporté 1,60 € par an pendant cinq ans au parti bénéficiaire (soit un total d’un peu plus de 30 millions d’euros par an pour l’ensemble des partis).

–  La deuxième tranche est proportionnelle au nombre de parlementaires inscrits au parti concerné, à raison de 42 000 € par an et par élu rattaché (soit un total d’environ 40 millions d’euros par an). Elle suppose donc des élus et se traduit par de sombres tractations entre partis pour obtenir le maximum de rattachements dès le dépôt des candidatures.

Par conséquent, tous les partis, jusqu’au plus petit et au plus improbable, sont très fortement incités à multiplier les candidatures dans un maximum de circonscriptions. Comme le seuil de 1% des voix exprimées n’est pas difficile à atteindre, il n’y a aucun frein, même si l’espoir d’obtenir des élus est nul. La prolifération des micro-formations (au détriment des courants internes dans les grands partis, notamment à droite) ne s’explique pas autrement. Est-ce raisonnable ?

À quoi s’ajoute une propension de plus en plus grande à utiliser chaque élection comme une tribune de témoignage, voire de simple promotion personnelle : d’où présentement la multiplication des candidatures en provenance de groupuscules gauchistes ou anarchistes, de mouvements écologistes fantômes, de nostalgiques de toutes les strates de notre histoire, et des inévitables défenseurs de l’intérêt local. Tout cela peut sembler pathétique et vain.

Pourtant, nous devons prêter attention à un phénomène qui, de notre point de vue, révèle l’émergence d’une tendance nouvelle. Je veux parler des nombreux candidats qui se réclament des valeurs chrétiennes, et pas seulement sous l’étiquette du PCD [3] ; ils illustrent une réelle attente face à des partis établis qui s’en sont considérablement éloignés, en même temps qu’une nouvelle capacité d’engagement des chrétiens en politique, prenant au sérieux l’invitation qui leur est adressée par leurs pasteurs, à commencer par Benoit XVI. L’Association pour la Fondation de Service politique s’est d’ailleurs attachée à les faire connaître sur son site pour percer le mur médiatique auquel ils se heurtaient. Mais, à supposer que cette seule référence aux valeurs suffise à motiver une candidature et à fonder un programme (question qui appellerait une discussion approfondie), ne doit-on pas s’interroger sur cette multiplicité même ? Ne sont évidemment en cause ni les intentions de ces candidats, ni leur courage, voire leur abnégation : il en faut pour se lancer dans une aventure où ils n’avaient rien à gagner, sinon l’honneur d’affirmer des convictions que nous partageons. Reste une question qu’on ne peut pas éluder, celle que pose leur dispersion, avec ses deux conséquences : leurs très faibles scores, et la lecture qui en est faite de l’extérieur, qui tend à les tenir pour quantité négligeable.

Même si cette nouveauté doit être saluée en ce qu’elle a de positif, est-ce qu’on n’aboutit pas à une déperdition d’énergie d’autant plus préjudiciable que nous sommes peu nombreux ? Cela mérite réflexion. Les chrétiens devraient ouvrir ensemble une réflexion sérieuse, non seulement sur le sens du « service politique » qui motive leur engagement, mais aussi sur ses modalités afin que celles-ci le servent avec efficacité : quand on entre dans le champ de l’action politique, le devoir d’efficacité n’est pas moins grand que le devoir de témoignage. La clé de cette combinaison reste à trouver pour ne perdre ni l’acquis de l’expérience ni l’ardeur des premières tentatives.

C’est une des vocations de l’Association pour la Fondation de Service politique que d’y contribuer.

 

Photo : © Wikimedia Commons / Richard Ying et Tangui Morlier / Creative Commons paternité – partage à l’identique 3.0 (non transposée)

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[1] La question des reports est d’une autre nature et le second tour peut révéler des changements importants de comportement.

[2] Le total ne fait pas tout à fait 100% : j’ai laissé de côté les inclassables.

[3] PCD qui a aussi besoin d’émarger au financement public dans les conditions évoquées plus haut.