Impots

L’abondance des propositions qui fleurissent actuellement et la confusion permanente en matière de fiscalité des revenus conduisent à prendre le problème par l’autre sens, en partant des principes. Que peut-on appeler justice en la matière[1] ?

L’impôt sur le revenu : considérations générales

Qu’est-ce que la justice ?

Traditionnellement on distingue la justice commutative, qui gouverne les échanges ; la justice distributive, qui traite de ce que chacun reçoit de sa participation à la société ; certains ajoutent la justice ‘sociale’ qui traite de la contribution de chacun à la société – mais ce peut être vu sous l’angle de la justice distributive.  Cette distinction est bien utile car on parle de notions très différentes.

La justice commutative demande que l’impôt soit proportionné au service rendu par les pouvoirs publics. On peut alors considérer selon les cas qu’il doit être le même pour tous, ou proportionnel aux sommes considérées. Un impôt proportionnel sur les revenus serait donc assez logique. Le choix va dépendre de ce que cet impôt finance.

En termes de justice distributive, on considérera les facultés de chacun ; elles sont plus grandes pour qui est plus riche. Ce qui peut justifier un impôt sur le revenu comportant des tranches croissantes. Il faut en outre traiter toutes les natures de revenus de la même façon, sauf motif particulier. L’universalité de l’impôt sur le revenu est donc en soi justifiée. Mais la justice distributive demande aussi de proportionner l’impact : un impôt levé sur les uns n’a de sens que pour financer des actions qui apportent réellement quelque chose aux autres membres de la société. De ce point de vue, on ne voit pas de motif justifiant un impôt dont le seul but serait d’éviter que certains aient un revenu jugé ‘excessif’. La super tranche de 75 % de M. Hollande, qui effectue une ponction très forte voire confiscatoire sur les intéressés (83 % avec la CSG, et beaucoup plus si on tient compte de l’ISF), pour un produit extrêmement limité en valeur absolue, est de ce point de vue inique.

Bien sûr on peut imaginer des cas où une opération confiscatoire pourrait avoir un sens, par exemple en cas de puissance excessive de l’individu imposé ; et encore ce serait plus sur la fortune que sur le revenu.  Ou de mauvaise utilisation socialement nocive (comme les impôts somptuaires d’autrefois). Mais cela ne paraît pas pertinent en l’espèce. Par ailleurs, si on n’aime pas les bonus des traders, les ponts d’or des grands patrons ou l’argent des footballeurs, on agit dessus, sans mobiliser toute la fiscalité.

Les niches

En termes de justice, il faut supprimer les niches, mais uniquement les vraies niches. Ne sont pas des niches ce qui est la simple prise en compte de la vraie capacité contributive du citoyen : ainsi le quotient familial qui tient compte de la moindre capacité contributive des familles, à revenu identique du foyer ; ou la déduction des dons ou des rentes versées, qui enregistre le fait que l’argent va à quelqu’un d’autre sans contrepartie pour le donneur etc.

Toutes les autres mesures sont des niches. Elles ne sont fiscalement pas justifiées parce qu’opaques et trompeuses. L’Etat n’a pas à intervenir dans ce qui est économie privée sous une forme fiscale, qui distord la compréhension du budget, opacifie la contribution réelle des uns et des autres et habitue à la chasse aux trous dans la législation. Mais tout au plus par subventions, prévues et inscrites comme dépenses, et uniquement s’il y a un vrai motif de bien commun, ce qui est rare. 

Traiter avec équité revenus de l’épargne et du travail

Les revenus de l’épargne sont indéniablement des revenus. Il est donc normal qu’ils payent l’impôt sur le revenu. Faut-il alors les aligner sur la fiscalité du travail et de la plupart des autres revenus (qu’on prendra ici comme une donnée), comme le propose François Hollande ? 

Tenir compte de l’imposition du capital

Rappelons d’abord qu’il y a des impôts sur le capital, à commencer par l’ISF. L’équité impose d’en tenir compte. Mais en fait on ne voit pas pourquoi imposer ce qui ne rapporte pas de revenu au contribuable, car seul le revenu est consommable – sauf concentration exceptionnelle des richesses dans le pays concerné et/ou inutilisation massive des ressources (latifundia etc.). En dehors de ce cas, la meilleure solution est donc la suppression de tout impôt sur le capital - hors droits de succession, pour se concentrer sur les revenus. La question de la double imposition disparaît alors.

Imposer le vrai revenu de l’épargne

On dit parfois que l’épargne a, par construction, déjà été imposée lors de sa constitution. C’est vrai, mais l’impôt sur le revenu ne vise pas l’épargne elle-même, mais les revenus qu’elle procure, qui sont un facteur nouveau. Il apparaît alors naturel d’aligner les revenus de l’épargne sur ceux du travail. Mais plusieurs points essentiels sont à rappeler.

D’abord il faut tenir compte de l’inflation. Avant de faire réellement gagner de l’argent, les revenus de l’épargne servent à en couvrir l’effet, qui ronge la valeur réelle des patrimoines. La fraction correspondante du revenu ne peut donc pas être considérée ni imposée comme un revenu.

Ensuite, bien sûr, il faut considérer toute l’épargne. Il n’y a aucune raison de maintenir des exonérations a priori comme celle des livrets A et autres, qui sont en outre de l’argent garanti, immédiatement disponible.  Et qu’on ne dise pas que c’est de l’épargne populaire, car ce qu’on appelle alors le ‘peuple’ ne paye pas l’impôt sur le revenu et ne gagne donc rien à l’exemption.

En outre, il faut tenir compte des impôts déjà perçus sur le même revenu ; le plus évident est l’impôt sur les sociétés pour les revenus tirés des actions ; il doit être intégralement pris en compte.

Par ailleurs il n’y a de raison de privilégier ni les plus-values, ni inversement les coupons ou dividendes ; le revenu est dans les deux cas tiré de l’investissement ; l’impôt doit être le même. Il faut également tenir compte des moins-values éventuelles et ne prendre que le résultat net. On peut avoir aussi à lisser sur plusieurs années les opérations exceptionnelles.

Tenir compte de la logique des investissements longs et utiles

Enfin il faut prendre en compte l’horizon de l’épargne et les risques pris par l’épargnant, si du moins les instruments choisis sont utiles. On ne peut équitablement traiter de la même manière des revenus garantis, constamment disponibles, comme le livret A, et des revenus résultant d’investissement faits sur la durée, dans des produits à long terme et à risque, très utiles à l’économie, comme le sont les actions. De tels investissements ne sont pas disponibles immédiatement, ou alors sont exposés au risque de marché. En cas de perte nette c’est l’investisseur seul qui subit, pas le fisc. L’équité commande d’en tenir compte et de taxer de façon nulle ou très modérée une telle épargne à long terme. 

Plus précisément, la croissance et plus généralement toute activité, voire le simple entretien de l’existant, exigent en permanence la création ou le renouvellement d’investissements productifs. Ne serait-ce que pour lutter contre la concurrence étrangère et maintenir l’emploi. Et pout ce faire les entreprises ont un besoin vital de fonds propres, donc d’investisseurs en actions. C’est en outre nécessaire  pour sécuriser leur bilan et assurer leur autonomie.  Or on ne peut plus compter sur le secteur financier classique, banques et assurances[1]. Les entreprises et plus généralement toute l’économie devront donc se tourner de plus en plus vers les marchés. Si l’épargne française n’est pas suffisamment tournée vers le long terme et notamment les actions, elles seront alors encore plus dépendantes du bon vouloir des fonds de pension et hedge funds étrangers, avec la perte corrélative d’autonomie nationale et l’instabilité potentielle que cela implique. La prise en compte de l’équité rencontre donc l’intérêt économique et social national.

Articulation avec l’immobilier

L’immobilier est avec l’épargne financière l’autre grand domaine où l’épargne peut se placer à long terme et qui contribue aussi à la création de richesse. Il n’y a aucune raison de le favoriser ni de le défavoriser par rapport à l’épargne financière. S’il doit être considéré épargne longue, ses fluctuations sont moindres que celles des actions, il peut donc s’assimiler à une rente : un traitement aligné sur les produits de taux serait plus rationnel. Naturellement, il ne faut compter que les revenus, nets des frais et charges réels ou forfaitisés. Quant à la résidence principale, l’exemption paraît la solution la plus simple, s’agissant d’un besoin élémentaire.

Simplicité

Tant pour des raisons de commodité, de transparence que d’équité, les règles doivent être aussi simples et universelles que possible. Toutefois ces objectifs peuvent conduire cas par cas à chercher à éviter des complexités inutiles lorsque les sommes sont faibles, et donc soit à des planchers, soit à des forfaitisations - si on peut par une formule simple obtenir un résultat à peu près équivalent à l’application des règles générales.

La réalité des 20 dernières années est celle d’un prélèvement sans cesse croissant sur l’épargne

Comparons maintenant avec ce qui s’est passé en France depuis 20 ans. Au fil des ans, l’épargne ordinaire (hors dispositifs spéciaux ; donc actions, obligations, SICAV) est devenue une variable d’ajustement budgétaire. Mais on ne s’interroge jamais sur l’impact économique de ces mesures. Résultat, le taux du prélèvement libératoire est passé de 15% en 1990 à 21% (dividendes) ou 24% (intérêts) ; et le poids des prélèvements sociaux de 3,5% en 1990 à 15,5%, soit au total presque 40 %. Dans le même temps, le taux marginal du barème d’imposition à l’impôt sur le revenu diminuait de 58% à 41% (hors effets temporaires de la contribution hauts revenus) – plus 8 % de CSG. En revanche les livrets A et le LDD, une épargne pourtant à très court terme, sont totalement exonérés.

Il y a bien sûr des dispositifs spécialisés, notamment le PEA pour les actions et le plan d’épargne logement (PEL), mais ils sont compliqués et plafonnés assez bas. Plafonnés aussi, mais plus importants, on a les plans d’épargne entreprise (PEE) investis en actions ou obligations, de l’entreprise elle-même dans certains cas, sur le marché dans d’autres. Plus divers mécanismes, eux aussi plafonnés, pour l’investissement dans le capital des PME.

Quant aux fonds de pension, très faibles comme on sait en France, leur fiscalité ne donne pas d’avantage important ; en effet, si les cotisations sont déductibles, les pensions une fois versées sont imposées moyennant un petit abattement.

En définitive, malgré les alourdissements dont elle a fait aussi l’objet, l’assurance-vie reste le seul dispositif significatif d’épargne longue à fiscalité réellement modérée. Ce qui est curieux car on ne voit pas pourquoi un tel dispositif serait la voie normale de l’investissement long. En outre, on l’a vu, elle est maintenant dans une mesure appréciable exclue des actions.

Que faire alors ?

Ce que l’équité commande, et dont l’économie nationale a besoin, c’est d’abord d’un pacte de stabilité dans la taxation de l’épargne, grâce auquel l’épargne longue, indispensable aux investissements porteurs de croissance et d’emploi, reçoive ou conserve le traitement fiscal modéré qu’elle mérite.

Il me paraît alors possible de poser les principes simples suivants :

  • Dans tous les cas, ne considérer que des revenus nets d’inflation et de moins-values ;
  • Faire un abattement sur les revenus d’actions en fonction de l’IS déjà payé.
  • Taxer au barème ordinaire de l’impôt sur le revenu tout produit d’une épargne de durée inférieure à 5 ans.
  • Traiter de façon préférentielle et sous condition de plafond le produit long par excellence (les actions) ; ainsi que l’immobilier et les obligations[2], mais dans leur cas pour une fraction (50 % par exemple).
  • N’exempter d’imposition que les actifs détenus au moins 10 ans.
  • Pratiquer un barème dégressif entre 5 et 10 ans. Taxer tout le reste au barème.
  • Appliquer ces règles à tous les régimes juridiques (détention directe, OPCVM, assurance-vie, plans de tout type etc.).

On a parlé de plafond pour l’épargne longue préférentielle. Quel est le bon niveau ? Le plus juste est sans doute de définir ce qu’on peut appeler une épargne « normale ». Si on admet un niveau de 20 % du revenu, on plafonnera la base d’exemption à 20% des revenus imposables. Avec naturellement possibilité d’étaler sur plusieurs années s’il y a une année exceptionnelle.

[1] Je me limiterai ici à la question de la nature et du niveau de ces impôts. Le laisse ici de côté la question de l’affectation de ces impôts, ou celle des rapports entre l’impôt sur le revenu, la CSG et les diverses cotisations sociales (voir par exemple les propositions de notre ami Jacques Bichot).

[2] Leur rôle est appelé à diminuer sur ces plans voire à disparaître, du fait des nouvelles réglementations (Bâle 3 pour les banques et Solvabilité 2 pour les assurances).

[3] Et autres produits de taux de durée intrinsèque égale ou supérieure à 5 ans.