Aung San Suu Kyi : « La peur n’est pas le propre de l’homme civilisé »

Aung San Suu Kyi est une femme birmane née en 1945. En 1988, alors que son pays est gouverné par une junte militaire au moyen de la peur, elle y retourne, résolue à renverser la dictature, après des études aux États-Unis et une vie partagée entre le Royaume-Uni et le Bouthan. Son message : c’est le courage qui est le propre de l’homme.

Influencée par la méthode non-violente de Gandhi, elle est convaincue que la libération de son peuple passe d’abord par la révolution des esprits. Dans cet extrait de discours, elle montre que la liberté est avant tout une disposition intérieure, une domination de la peur, qui étouffait alors la vie politique de son pays, tant dans le cœur des gouvernant que celui des gouvernés.

De tous temps, le climat politique et social se tend à mesure que la culture s’écarte des aspirations fondamentales de la personne humaine. En France, la société semble aller vers d’importants problèmes, voire à sa dissolution, sans que le peuple trouve en lui l’énergie d’infléchir le cours des choses.

Incapables d’entrer en relation les uns avec les autres, les Français deviennent incapables de s’unir autour d’un projet politique et finissent par se craindre les uns le autres. Les institutions politiques n’offrent plus d’espoir de protection ou de « redressement », ne fut-il que « productif ». Le contexte est propice à la peur. Cette sensation paralyse, qu’on y cède ou qu’on la sème, et devient un moteur maléfique de l’existence, donc de la culture, de la vie politique et sociale.

Aung San Suu Kyi a vécu dans une société soumise à une dictature, régie par la peur. Il est frappant de voir combien son décryptage de la crainte politique ne nous est pas totalement étranger. Une société qui vit dans la peur est une société déshumanisée, qui a perdu le sens de la finalité dans la recherche du bien qui élève et de la vérité qui libère.

Axel Rokvam

 

LA PEUR N’EST PAS LE PROPRE DE L’HOMME CIVILISE

Dans un système qui dénie l'existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l'ordre des choses ; peur d'être emprisonné ou torturé, peur de la mort, peur de perdre ses amis, sa famille, ses biens ou ses moyens de subsistance, peur de la pauvreté, de l'isolement ou de l'échec.

La peur comme masque de la sagesse

Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. Un peuple assujetti à une loi de fer et conditionné par la crainte a bien du mal à se libérer des souillures débilitantes de la peur. Mais aucune machinerie d'État, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de resurgir encore et toujours, car la peur n'est pas l'état naturel de l'homme civilisé.

Le courage et l’endurance face à un pouvoir illimité découlent en général d’une ferme conviction dans les principes sacrés de la morale, associée à un sens de l’histoire qui veut que, en dépit de toutes les régressions, la condition humaine est vouée à progresser à la fois sur les plans spirituel et matériel. C’est sa capacité à s’améliorer et à se racheter qui distingue essentiellement l’être humain de la simple brute.

L’idée de perfection

À l’origine de la responsabilité humaine se trouve l’idée de perfection, la nécessité d’y parvenir, l’intelligence pour trouver un chemin vers celle-ci, ainsi que la volonté de suivre ce chemin, et, sinon jusqu’au bout, au moins d’en parcourir la distance nécessaire pour dépasser les limites individuelles et les obstacles qui se présentent. C’est la vision du monde convenant à une humanité civilisée rationnelle qui pousse l’être humain à oser et à souffrir en vue de construire des sociétés libérées du besoin et de la peur. Les concepts de vérité, de justice et de compassion ne peuvent être rejetés comme rebattus quand ils sont souvent les seuls remparts qui se dressent contre un pouvoir impitoyable.

Ce n'est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l'exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime.

Aung San Suu Kyi, discours « Une révolution des consciences », 1990

 

 

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