La recherche sur l'embryon demeurera finalement interdite dans son principe en France. Après les nombreuses péripéties qui ont émaillé les débats au sein des deux chambres du Parlement depuis février, le pire a été évité de justesse, la pression du chef de l'Etat et du gouvernement l'emportant dans la dernière ligne droite de l'examen du texte.

164 voix pour, 161 contre. C'est in extremis que le Sénat a maintenu en seconde lecture le principe général d'interdiction de la recherche sur l'embryon humain. Le vote étant conforme à celui des députés, il s'agit de la version définitive du texte qui aura désormais force de loi. Rien n'était pourtant acquis sur ce sujet phare de la révision de la loi de bioéthique qui a divisé les élus jusque dans le parti majoritaire. Militant acharné d'une libéralisation de la recherche, le rapporteur du texte au Palais du Luxembourg Alain Milon (UMP) a ainsi ferraillé jusqu'au bout contre son propre camp au risque de verser dans l'outrance :  Comme il s'agit d'une question scientifique, le législateur doit confier le pouvoir de décision à des scientifiques. Je crains les régimes dans lesquels la loi dicte la vérité scientifique [1]. Avec un bel aplomb, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin (UMP) lui a rétorqué :  Je crains, moi, ceux où la science serait supérieure au droit (...) Une interdiction avec dérogation garantit le primat du politique .

Si le sentiment de soulagement domine, trois points nous semblent cependant particulièrement négatifs. Reconduire un système d'interdiction assorti de dérogations permet certes de continuer à marquer le caractère exceptionnel de cette recherche d'un point de vue moral, il n'empêche que cela revient in fine à porter atteinte au respect de  l'être humain dès le commencement de sa vie  (article 16 du Code civil) et par voie de conséquence à affaiblir la portée du principe de dignité que le législateur entend pourtant honorer dans le même temps.

Deuxièmement, la nouvelle loi avalise une option anthropologique plus que contestable en rappelant que seuls les embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental peuvent être cédés à la technoscience. Cela revient à dire que lorsque le désir des parents disparaît, il peut être porté atteinte à l'intégrité de leurs embryons surnuméraires congelés, lesquels se retrouvent évacués de notre commune humanité pour basculer dans le monde des choses appropriables. En raisonnant ainsi, le législateur crée arbitrairement deux catégories juridiques d'embryons humains, ceux qui seraient  couverts  ou non par un projet parental. Or, l'être humain au début de sa vie ne change pas de nature en fonction du regard porté sur lui, son  être  n'est pas tributaire d'un quelconque  projet  dont il serait artificiellement l'objet. Ce sont les parents qui changent en ayant d'abord un  projet parental , puis en l'abandonnant : l'embryon n'est que la victime de ce changement dont profitent certains scientifiques pour en disposer[2]. Il faut ici répéter qu'un individu humain au commencement de sa vie existe indépendamment de l'intention de ses parents comme un être personnel et unique.

Troisième point qui nous semble regrettable, l'exigence antérieure de  finalité thérapeutique  pour déroger à l'interdit sera dorénavant remplacée par celle, beaucoup moins contraignante, de  progrès médicaux , risquant d'ouvrir la porte à la validation de protocoles de recherche sensés améliorer nos connaissances fondamentales. En 2004, le Parlement n'a toléré que soient accordées des exceptions à l'interdit de la recherche sur l'embryon qu'à la condition qu'elles se situent dans une perspective d'application thérapeutique. En substituant le terme de  médical  à celui de  thérapeutique , on accepte désormais de détruire un être humain à son premier stade de développement uniquement pour améliorer nos connaissances scientifiques. Est-ce vraiment ce que veut le législateur ? On va voir plus loin que certaines modifications du texte pourraient peut-être contrebalancer cette aggravation sémantique.

Car en effet, des députés courageux ont apporté à l'économie générale du projet de loi initial des inflexions qui sont loin d'être négligeables. En premier lieu est bien spécifié que l'interdiction porte non seulement sur l'embryon humain mais encore sur  les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches  qui en sont dérivées. La culture de cellules souches embryonnaires résultant directement de la destruction d'un embryon humain vivant, l'ensemble des expérimentations est donc considéré par le législateur comme répréhensible sans qu'aucune des étapes ne puisse en être dissociée sur le plan éthique.

Par ailleurs est admis officiellement pour la première fois qu'  aucun chercheur, ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu'il soit, aucun médecin ou auxiliaire médical n'est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains . En la matière, inscrire explicitement un droit à l'objection de conscience dans le code de la santé publique témoigne d'un réel souci éthique et montre en creux que ce type de recherche, en enfonçant un coin dans le principe du respect de la vie humaine, relève avant tout de la transgression.

Mais surtout, la loi précise expressément qu'il doit être  impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains  et que les  recherches alternatives et conformes à l'éthique doivent être favorisées .  Dit autrement, le législateur souhaite donner la priorité à des méthodes de recherche qui n'instrumentalisent pas la vie humaine. Or justement, il n'y a jamais eu aussi peu d'arguments scientifiques pour sacrifier des embryons humains qu'aujourd'hui, la révolution des cellules souches induites et de cordon ombilical étant passée par là. Les pouvoirs publics vont-ils réellement en tenir compte ?

Un élément positif pour répondre à cette question est que la procédure d'examen des dossiers par l'Agence de la biomédecine a été remaniée. Lors des débats à l'Assemblée nationale, le rapporteur Jean Leonetti (UMP) avait admis que cette Agence créée par la loi de 2004 avait autorisé  des recherches qu'elle aurait dû interdire si elle avait fait une application rigoureuse du texte  de la loi. Il faut dire que l'ABM, à la fois juge et partie, n'avait aucun compte à rendre à qui que ce soit. Pour y remédier, le législateur demande à l'avenir que la décision d'autorisation d'un protocole de recherche soit  motivée  et accompagnée en outre de  l'avis également motivé du conseil d'orientation . Ce point est extrêmement important car le conseil d'orientation est la seule instance dans l'organigramme de l'Agence où sont susceptibles d'être nommées par le pouvoir politique quelques personnalités indépendantes des lobbies scientifiques et pharmaceutiques. De plus, toute décision favorable de l'ABM à une recherche sur l'embryon ou des cellules souches d'origine embryonnaire devra être communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche, lesquels auront la faculté de la suspendre si les conditions que nous avons rappelées n'étaient pas remplies. On peut lire dans ces dispositions la volonté du Parlement de mettre en place des  contre-pouvoirs , ou à tout le moins le désir de mieux contrôler une institution dont le fonctionnement a loin d'avoir été toujours transparent. Dernier point, l'ABM sera obligée de fournir un rapport annuel au Parlement qui comprenne  une évaluation de l'état d'avancement des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, incluant un comparatif avec les recherches concernant les cellules souches adultes, les cellules pluripotentes induites et les cellules issues du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta, ainsi qu'un comparatif avec la recherche internationale . Ce à quoi elle s'était toujours refusée jusqu'ici.

Toute la question est maintenant d'avoir des garanties sur l'interprétation qui sera donnée de ce nouveau dispositif qui devra impérativement constituer un verrou solide et opérationnel contre l'instrumentalisation de l'embryon humain. A nous d'exercer une veille éthique et scientifique de haut niveau pour que la nouvelle législation soit appliquée le plus strictement possible. C'est ce à quoi va s'employer la Fondation de Service Politique dans les mois qui viennent.

 

 

[1] On retrouve la même approche scientiste chez Barack Obama qui a justifié ainsi en 2009 le décret autorisant le financement fédéral de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines aux Etats-Unis :  L'action du gouvernement doit être guidée par la science, et pas l'inverse  (Le Monde, 11 mars 2009).

[2] Mgr Pierre d'Ornellas, Bioéthique. Questions pour un discernement, Lethielleux/DDB, 2009, p. 44-52.

 

 

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