Après l'analyse de Thierry Boutet, celle de Philippe Oswald sur l'article de Luc Ferry publié dans le Figaro du 8 septembre mettant en cause de manière tendancieuse l'enseignement de l'Eglise.

Luc Ferry sort du bois. Le philosophe et ancien ministre de l'Education nationale a choisi la page  débats  du Figaro (8 septembre) pour voler au secours de son successeur, Luc Chatel. Celui-ci, on le sait, est à juste titre pris à partie par de nombreux parents et éducateurs dans une pétition  -relayée par 80 députés de la majorité- contre l'enseignement de la théorie du  gender  dans des manuels scolaires. La meilleure défense étant l'attaque, Luc Ferry n'y va pas par quatre chemins : il se lance dans la critique du Catéchisme de l'Eglise catholique qu'il estime être la source des opposants. Remarquons qu'il le fait en citant longuement et en commentant le n°2357 du CEC où il n'est nullement question de la théorie du  gender  (dont ne parle pas le CEC) mais de l'homosexualité. C'est implicitement avouer que cette théorie n'existe pas par elle-même, comme fruit d'une réflexion menée en toute liberté intellectuelle, mais comme une arme idéologique au service de la cause homosexuelle. De fait, son article s'intitule  Le sexe, le genre...et l'homophobie .

L'ancien ministre se risque donc à commenter le passage du Catéchisme rappelant la doctrine de l'Eglise, fondée sur l'Ecriture sainte, qui réprouve  les actes d'homosexualité  comme  intrinsèquement désordonnés . C'est donc, explique-t-il, que l'Eglise épouse la vision classique, déjà présente chez les Grecs, d'un  cosmos , d'une  organisation harmonieuse et bonne de la création  et d'une  loi naturelle . Jusque-là, rien à dire, sinon que ce n'est pas là une originalité de l'Eglise mais le double héritage gréco-latin et judéo-chrétien de la civilisation occidentale. Celle-ci n'a-t-elle pas puisé dans la conviction que le monde est fondamentalement ordonné et bon, son incomparable dynamisme pour élaborer et perfectionner le droit, pour entreprendre le prodigieux  développement des sciences, et pour se lancer avec audace dans l'exploration du monde ?  Mais Luc Ferry durcit et fausse déjà la pensée de l'Eglise en concluant qu'elle ne considère pas la nature  comme une donnée de fait, mais bel et bien comme une norme morale. Et de l'accuser de  naturalisme , ce qui serait un fameux paradoxe pour une religion qui annonce le Royaume de Dieu et sa transcendance ! S'il avait pris la peine de lire ce que le CEC dit de la nature, Luc Ferry aurait vu que celui-ci distingue clairement le monde physique du monde moral. Le premier, n'a pas été créé  aussi parfait qu'aucun mal ne puisse y exister  mais c'est  un monde en état de cheminement vers sa perfection ultime. (...) Avec le bien physique existe donc aussi le mal physique, aussi longtemps que la création n'a pas atteint sa perfection  (CECn°310). Quant au monde moral, il est le champ ouvert  aux créatures intelligentes et libres (qui) doivent cheminer vers leur destinée ultime par le choix libre et l'amour de préférence  (n°311). Tout le contraire du naturalisme !  S'il dépend en effet de la nature dont il est partie prenante, l'homme ne lui est pas soumis comme la plante ou l'animal. Il lui revient d'agir au sein de cette nature pour la perfectionner, étant entendu qu'  on ne commande à la nature qu'en lui obéissant  (Bacon, Novum Organum) : toute la science expérimentale s'est développée sur la base de l'apprentissage progressif des lois de la nature, les avancées technologiques procédant de l'alliance entre l'observation et l'imagination : aurait-on inventé l'avion sans avoir jamais vu un oiseau voler ? Cela vaut naturellement aussi pour les sciences de la nature, la biologie et déjà pour la médecine : soignerait-on sans avoir quelque idée de ce qu'est la santé ? Et d'où viendrait cette idée sinon de l'observation d'un organisme sain ? Quant à la loi morale - fais le bien, évite le mal  -, sa recherche est présente dans la conscience humaine. Celle-ci la découvre dans la connaissance plus fine du bien par l'éducation morale et religieuse et par les lois  (encore faut-il que ces dernières restent au service de l'homme tel qu'il est et non tel qu'il rêve de s'inventer).

Luc Ferry concède que  la doctrine de l'Eglise possède sa cohérence propre  lorsqu'elle affirme l'existence d'une loi naturelle et d'une nature humaine au regard desquelles l'orientation homosexuelle est  désordonnée  et l'acte homosexuel peccamineux. Objection pourtant : ce n'est pas seulement une question de   cohérence  mais de vérité ! Laquelle n'est pas  propre  à l'Eglise, ni même à  tous les monothéismes  comme le reconnaît Luc Ferry, mais ressortit au sens commun : il n'est pas besoin de connaître le Catéchisme de l'Eglise catholique, ni même la pensée grecque ou judéo-chrétienne pour comprendre qu'une  société valorisant l'homosexualité dans une sorte d'indifférenciation artificielle est une société en péril, non seulement biologiquement, mais aussi psychologiquement et socialement, l'altérité fondée sur la différence sexuelle étant principe vital de dynamisme et d'équilibre pour tous et chacun, homme ou femme.

Cependant, Luc Ferry pointe  les préjugés homophobes les plus niais  pour affirmer qu'ils trouvent  une légitimation philosophique prestigieuse  dans la doctrine de l'Eglise ! Un niais, certes, peut trouver n'importe où  une légitimation  à sa niaiserie, y compris dans ce que Luc Ferry nomme plus loin  la pensée démocratique  héritée des Lumières dont il se réclame. N'est-ce pas en leur nom que la terreur révolutionnaire a ensanglanté la France puis, via le marxisme et les prétendues   démocraties populaires , la moitié de la planète ? (Mais au fait, s'agissait-il de regrettables dérapages  ou de l'aboutissement logique de la philosophie des  Lumières  ?)

Dévoilant davantage ses batteries en se rapprochant de sa conclusion, Luc Ferry accuse  les associations catholiques conservatrices  aveuglées par leur prétendu  naturalisme  de se montrer  hostiles aux interventions de la science dans l'ordre supposé parfait [le Catéchisme, on l'a vu, dit le contraire !], parce que créé par Dieu, de la nature et de la vie : hostilité au tri d'embryon, à la culture des cellules souches, aux techniques modernes de procréation assistée, etc.  Tandis que  la pensée démocratique , elle, n'aurait eu de cesse de lutter contre ce  naturalisme , guidée par  la conviction que la nature est tout sauf une norme morale, que l'éthique et la politique républicaines, comme du reste la médecine, se constituent justement dans une lutte acharnée contre la logique brutale qui règne dans la nature.  Et de citer en vrac  la sélection naturelle, un virus mortel, un tsunami  comme des exemples de ce que produit la nature - comme si celle-ci n'était pas avant tout la source de toute vie !  Mais non,  la nature, pour les héritiers des Lumières, c'est d'abord l'ennemi  ! Les écologistes apprécieront...

Cette conclusion délirante est pourtant bien dans la ligne de l'idéologie du gender comme d'ailleurs de toutes les idéologies héritées des Lumières. Pour Judith Butler, grande prêtresse d'un féminisme homosexuel radical ayant enfanté la théorie du  gender , la tâche des gays et lesbiennes est ni plus ni moins que la reconstruction de la réalité. C'était déjà la mission que Marx, puis Lénine et Staline assignaient au prolétariat ! Dans tous les cas, il s'agit en effet de bâtir un homme nouveau, affranchi de la nature et donc de sa propre nature. La révolution prolétarienne ayant échoué, place à la révolution sexuelle niant la différence des sexes et la complémentarité naturelle entre l'homme et la femme,  l'homosexualité ou la transsexualité relevant de la liberté souveraine des individus  (cité par Pierre-Olivier Arduin Liberté Politique, 23 mai 2011).

Comme toutes les idéologies, celle-ci échouera, mais au prix de quelles violences et de quelles souffrances ? Loin de  nous faire entrer dans l'espace de la civilité, de l'histoire et de la culture  comme le soutient in fine Luc Ferry, une culture qui prétend se dresser contre la nature au lieu de coopérer avec elle est dans son principe une culture déshumanisante, une contre-culture, une  culture de mort . C'est malheureusement celle qu'enseigne l'Education nationale sous la direction de ces disciples des  Lumières  que sont Luc Ferry et Luc Chatel.

 

 

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