29 septembre, fête de saint Michel. Par quel dessein mystérieux, la Providence a-t-elle permis qu'en ce jour l'Archange de lumière ébranle Mammon ? Si la majorité de la Chambre des Représentants a fini par voter le Plan Paulson, l'acte politique majeur a bien été posé en ce 29 septembre lorsque, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, 228 députés s'y sont opposés.

Ils répugnaient à délivrer un blanc-seing au Secrétaire au Trésor qui, récemment encore, était l'un des grands prêtres de l'idole [1], l'un des architectes de cette tour de Babel financière qui devait monter jusqu'au ciel ! D'autant plus qu'ils doivent en rendre compte à leurs électeurs dans moins d'un mois.
L'intuition des opposants était pourtant juste : le Plan Paulson est erroné. Ce n'est pas outrecuidance de le dire : dès sa parution, beaucoup d'économistes en ont contesté les principes autant que les modalités [2] ; et les acteurs économiques ont rapidement exprimé des doutes sur son efficacité potentielle. De fait, il n'a pas empêché la crise de prendre la dimension systémique qui est maintenant la sienne. Son seul mérite est de montrer par où il ne faut pas passer, et d'obliger cette fois-ci à sortir des sentiers battus.
Le propos dans lequel je me lance ici est délibérément risqué. Il s'inscrit dans un espace étroit, incertain et discutable :

  • au-delà de la description des mécanismes par lesquels la crise s'est déclenchée puis propagée [3],
  • en-deçà des réflexions d'ordre moral et politique sur la perte du sens des valeurs et du sens de l'homme dans la société moderne et plus particulièrement dans le monde de la finance, à cet endroit et à cet instant où, ayant à l'esprit les unes et les autres, l'on doit poser les premiers jalons d'un redémarrage à engager dans la bonne direction.

I- LES ERREURS DU PLAN PAULSON...

... et de ceux qui commettent un contresens sur la nature du mal.

1/ C'est un plan de la démesure

En proposant de racheter les actifs toxiques aux banques et établissements financiers qui les détiennent, il se contente d'en traiter les symptômes pour tenter de les rendre inoffensifs. Voilà pourquoi il est écartelé par une double démesure qui le rend inopérant.

Il est démesuré pour le contribuable américain qui sera appelé à le financer. Que représentent 700 milliards de dollars auxquels il faut ajouter les 3 ou 400 milliards déjà engagés dans le sauvetage des banques et agences fédérales de crédit immobilier ? À total, plus du tiers du budget fédéral pour l'année en cours [4] et une multiplication par 2,5 de son déficit. Ce n'est pas rien ! Rapporté au nombre d'habitants, il coûte 3 500 $ par habitant, ou mieux encore 10 000 $ par foyer ! On conçoit que l'américain moyen se soit senti piégé tandis que tous ceux qui ont profité à plein du système vont réussir à se tirer d'affaire à ce prix.

Il est démesuré, par insignifiance cette fois-ci, si on le rapporte à l'encours d' actifs toxiques qu'il est censé traiter. L'encours des crédits immobiliers à risque qui ont été titrisés [5] se mesure non en centaines mais en milliers de milliards de dollars ; plus les milliers de milliards de dollars d'autres crédits (à la consommation, aux entreprises, etc.) également titrisés au moyen de multiples véhicules [6] ; plus les opérations de transfert de risques [7] qui ont causé la perte de l'assureur AIG [8] ; sans parler des produits financiers dérivés qui se sont greffés sur ces instruments, etc. En d'autres termes, pour remplir l'office auquel il est destiné, il faudrait ajouter un zéro, voire deux, à l'enveloppe. Autant en dire l'impossibilité.

2/ Il ne désactive pas la toxicité des actifs concernés

On a objecté l'intention exprimée par ses promoteurs de ne pas acheter ces actifs toxiques à leurs valeurs de bilan actuelles, mais à un prix suffisamment décotée pour que le Trésor n'en supporte pas les pertes. Les banques cédantes ne seront donc pas soulagées mais devront révéler et dégager ces pertes, pertes telles que ces institutions suivront probablement le sort des celles qui se sont déjà effondrées.

Simultanément, les transactions massives auxquelles donnera lieu le rachat de ces actifs serviront de référence, plaçant tous les détenteurs devant le dilemme suivant : soit évaluer leurs propres portefeuilles sur ces bases et dégager à leur tour des pertes considérables avec les conséquences qui s'ensuivent ; soit renoncer à marquer ces portefeuilles au marché en révisant les normes comptables en vigueur comme l'idée s'en répand, et publier des bilans à la sincérité douteuse, alimentant encore plus la défiance.

L'effet domino ne peut que se propager tandis que les actifs toxiques le resteront.

Comble de déraison, afin de remettre le train sur les rails, le Trésor américain s'apprête à faire appel à ceux-là même qui l'ont fait dérailler et à sous-traiter le démêlage des subprimes aux spécialistes qui les avaient inventés ! Comme par hasard, ce sont des anciens de Goldman Sachs qui forment le noyau de l'équipe. Voilà sans doute pourquoi, après l'euphorie qui a entouré l'annonce, le doute a saisi les acteurs dès que le mode opératoire a commencé d'être connu.

3/ Un contresens fondamental

L'intention n'est pas en cause ; mais le mécanisme est vicié à sa base car le Plan Paulson repose sur un contresens quant à la nature des opérations qui sont à l'origine de la crise.

La monnaie n'est pas un actif au sens propre du terme, mais une dette contractée par la banque qui l'émet (par exemple celle qui tient votre compte), c'est-à-dire un engagement de payer, et symétriquement une créance que détient le porteur sur cette même banque, c'est-à-dire une promesse d'être payé le jour où il décidera de la convertir en un actif ou un service [9] (par exemple en tirant un chèque sur cette banque). Le crédit accordé par une banque pour acquérir un actif, maison, machine, etc., ou pour régler un service dont son client a besoin, est de même nature : c'est de la monnaie émise par anticipation en vue de cette acquisition ou de ce paiement, qui sera remboursée le jour où le débiteur, notamment par son travail, aura acquis la créance monétaire nécessaire. La transcription comptable ne doit pas induire en erreur : certes la banque inscrit le crédit consenti à l'actif de son bilan comme l'emprunteur l'inscrit à son passif. Il faut néanmoins se garder de l'illusion nominaliste, trop répandue, selon laquelle ce crédit serait un actif au sens propre puisqu'il a vocation à s'éteindre au terme de l'engagement contracté ; et s'il ne s'éteint pas ainsi faute d'être remboursé à cause de la défaillance de l'emprunteur, il est purement et simplement rayé de son bilan par la banque qui enregistre une perte d'égal montant.

La titrisation générale des dettes repose sur cette illusion nominaliste. Elle l'a même aggravée : les créances bancaires étant traitées comme des actifs, elles ont été encapsulées dans des fonds eux-mêmes financés par d'autres dettes ; ces fonds ont été à leur tour inclus dans d'autres fonds, etc. Nous sommes en face de gigantesques poupée-gigognes constituées de dettes emboitées les unes dans les autres. D'un point de vue comptable, chaque poupée supplémentaire s'additionne à la précédente ; mais au fond il n'y a jamais qu'une seule opération réelle, celle qui se trouve à la base. Autrement dit, les titres et dettes intermédiaires n'ont pas de valeur propre.

Au début de la crise, on aurait pu envisager le rachat des titres intermédiaires, avant que la chaine de dettes liées ne se rompe, afin d'endiguer la marée montante des défaillances. Maintenant que la chaine est rompue en de multiples endroits, le Trésor américain va racheter des actifs comptables déconnectés les uns des autres qui sont devenus creux . Par contre les pertes dégagées sont réelles dans la mesure où les non-valeurs sont prioritairement imputées sur les fonds propres des institutions qui les détiennent avant que celles-ci ne renoncent à rembourser leurs propres dettes. Quand elles en sont là, il ne reste pas grand-chose pour dédommager les créanciers : c'est ce que révèle la liquidation de Lehman Brothers.

L'erreur est commune. L'idolâtrie dont l'Argent fait l'objet n'y est pas étrangère, tant celui-ci fascine par son apparence de valeur ultime apte à se substituer à toute autre. La crise nous offre l'occasion de faire tomber l'idole en la dépouillant de ce faux-semblant pour revenir au réel. Voilà pourquoi il est si important de restituer sa nature à la monnaie et d'en tirer les conséquences.

II- COMMENT EN SORTIR ?

Que Saint Michel me pardonne : je sais bien que la bourse n'est pas le lieu du combat eschatologique, ni cet effondrement la fin du monde. Mais quand même la fin d'un monde. Une de ces catastrophes qui marquent un tournant de l'Histoire. L'économie américaine telle qu'elle fonctionne depuis 60 ans, et avec elle l'ensemble de l'économie occidentale, fondée sur les déficits (publics et privés) et donc sur l'endettement, est touchée au cœur. L'ingénierie financière sophistiquée qui lui a permis de repousser les échéances jusqu'à maintenant n'y peut plus rien.
Actuellement, les sauvetages sont opérés au coup par coup, sans autre ligne directrice que de parer au plus pressé, tandis que les banques centrales prennent en charge la liquidité du système, à très grande échelle, pour éviter la panne sèche. En aucun cas ces palliatifs ne constituent une solution durable.
Il n'y a plus d'autre solution que de procéder à un véritable renversement des valeurs, autrement dit de renoncer à l'idolâtrie du marché et du court terme. Les crises passées et présentes suggèrent trois pistes, peu ou pas explorées, par conséquent incertaines, qu'il faudra ouvrir à la machette.

1/ Sortir temporairement les banques et autres acteurs financiers des mécanismes de marché

Les marchés sont devenus fous et ne peuvent plus servir de guide pour l'instant ; ils ne font qu'aggraver le mal. Faut-il rappeler qu'un marché, pour bien fonctionner, doit confronter une multitude d'acteurs aux objectifs et agissements complémentaires (mais non identiques), et comporter un continuum d'ajustements possibles. Pour l'heure, tous les acteurs se précipitent dans la même direction en même temps ; il n'y a donc plus aucune continuité mais des discontinuités brutales.

Par conséquent il faut :

  • Nationaliser toute institution bancaire ou financière qui ne parvient plus à lever des capitaux, afin de la faire échapper au risque létal. Ici l'ultime recours demeure l'instance étatique qui seule a la légitimité politique et les moyens (financiers et juridiques) adéquats. En dépit de toute prévention idéologique, les Etats n'hésitent plus à y recourir, comme l'ont démontré les sauvetages d'AIG aux Etats-Unis, ou de Fortis et des banques anglaises en Europe. C'est aussi le moyen de sanctionner actionnaires et dirigeants fautifs en les expropriant de facto par injonction de capital public, et en les poursuivant si nécessaire. Nationalisations temporaires, bien sûr, jusqu'à ce que le nettoyage soit opéré ;
  • Fermer les marchés financiers qui entretiennent la spirale destructrice ; non seulement les marchés de dettes et de produits dérivés puisque ces marchés reposent sur des actifs devenus fictifs ; mais aussi, le temps de refroidir les circuits, les bourses de valeur entrainées dans la dégringolade par les ventes forcées auxquelles sont contraints les investisseurs pris par la panique ou en manque de liquidité (liquidité qu'il faudra leur consentir par l'intermédiaire des banques centrales). On les rouvrira quand on les aura assainis et encadrés convenablement.

L'objection selon laquelle la décision de fermeture n'aurait aucune prise sur des marchés qui fonctionnent de façon libre, sans passer par des places organisées, ne tient pas : ils ont besoin d'intermédiaires et d'acteurs bancaires, à un bout ou à l'autre de la chaine, qui, eux, sont soumis aux autorités de tutelle. Je rappellerai aux sceptiques qu'aussitôt après son élection, le Président Roosevelt a autoritairement fermé toutes les banques pendant une semaine afin de stopper l'hémorragie des dépôts.

2/ Trier le bon grain de l'ivraie

Du côté du bon grain : les dépôts des clients dans les banques.

Plusieurs gouvernements ont eu le même réflexe salutaire : les garantir dans leur totalité pour éviter la panique, et non dans les limites étroites des réglementations en vigueur. Au nom de quoi d'ailleurs les déposants devraient-ils être pénalisés par le déraillement général ? Puisque, en effet, ces dépôts sont des créances sur l'ensemble de l'économie qui représentent la somme des services rendus et des productions réalisées non encore transformés en d'autres biens et services, il est indispensable de les préserver dans leur intégralité sauf à spolier leurs détenteurs et à mettre toute l'économie en panne. Un État qui accepterait de les laisser disparaitre, même partiellement, renoncerait à l'une de ses fonctions régaliennes essentielles, celle de garant ultime de la confiance sans laquelle il n'est pas de vie sociale possible. Cette garantie ne peut cependant pas être octroyée dans le désordre : l'initiative isolée du gouvernement irlandais a mis en difficulté les banques anglaises dont les déposants ont immédiatement traversé le Canal Saint-Georges ; quant à la demi-mesure [10] adoptée par le conseil des ministres européens des finances, aussitôt dépassée, elle illustre surtout l'impuissance à concilier des divergences politiques arc-boutées sur des intérêts contradictoires.

Du côté de l'ivraie : la pyramide des dettes.

Puisque les montages financiers ne reposent sur rien de tangible mais empoisonnent toute l'économie, il ne faut pas les laisser subsister. Comment faire ? Leur empilement atteint des montants tellement astronomiques et implique un si grand nombre d'acteurs qu'en démêler l'écheveau inextricable est impossible : on s'y casse les dents depuis dix-huit mois. C'est pourquoi, au lieu de chercher à vider la mer avec une cuiller, il n'y a pas d'autre méthode que celle, radicale, d'Hercule nettoyant les écuries d'Augias : les annuler tous, sans exception, et des deux côtés à la fois (actif et passif) pour crever effectivement la bulle, afin de ramener les bilans aux seuls actifs et passifs réels et économiquement fondés.

Techniquement, l'opération ne peut pas se faire d'un trait de plume. Je pense qu'il faudrait passer par une structure publique de défaisance, à créer auprès de chaque banque centrale, à laquelle les banques de chaque pays (et elles seules, non les hedge funds qu'on laissera tomber avec ceux qui en profitaient) devraient apporter, sans dégager de résultat, l'ensemble des SIV qu'elles ont en portefeuille, les passifs correspondants, ainsi que les opérations de hors-bilan et les produits financiers dérivés qui y ont été incorporées ou sur lesquelles ceux-ci sont adossés. Leur regroupement en une seule main permettrait de procéder à une première vague d'annulation par compensation. Ensuite les structures centrales de défaisance agiraient de même entre elles. Ce serait aussi le moyen de faire réapparaitre les opérations d'origine qui ont une réalité économique, afin de traiter efficacement le problème de surendettement.

Car trop de dettes, c'est trop. Trop d'emprunteurs finaux sont écrasés : particuliers qui vivent à crédit et qui ont été poussés à s'endetter au-delà du raisonnable pour leur maison ou leur consommation, entreprises qui font l'objet de LBO, etc. Si on n'allège pas leur fardeau, ils défailliront à leur tour et entraineront l'économie réelle dans la spirale. Il faut donc réduire leurs dettes, et pas seulement en baissant les taux d'intérêts, opération dont l'effet demeure marginal à l'échelle du problème ; en les rééchelonnant quand c'est possible, voire en les annulant partiellement ; c'est une question à la fois de bon sens économique et d'équité. Le candidat républicain McCain l'a bien compris qui a proposé (passant outre les avis de ses conseillers) de faire racheter par le Trésor américain tous les crédits immobiliers fragilisés à la valeur réelle du bien sous-jacent, fût-il décoté, afin de réduire le principal de la dette à ce même niveau et de stopper les ventes forcées.

Si on ne le fait pas rapidement, alors qu'en même temps le crédit va se contracter fortement, les défaillances d'entreprises et de particuliers se multiplieront, avec leur cortège de mises à l'encan et de pertes d'emplois dont les plus fragiles et les plus pauvres feront les frais.

C'est le moyen de repartir à zéro et de refonder le système sur des bases assainies.

3/ Réguler, mais sérieusement et de façon universelle

On ne reviendra pas sur la mondialisation des échanges : elle a produit suffisamment de bénéfices, notamment dans les pays émergents, pour qu'on veille à la préserver en ce qu'elle a de positif.

Il n'y a de marché en état de fonctionner que si les acteurs y sont égaux, honnêtes et réguliers, et s'ils appliquent identiquement des règles du jeu qui protègent les faibles contre les tricheries et les abus des forts. L'économie de marché ne peut pas faire l'impasse sur la morale, sous peine de s'autodétruire. Ce n'est pas le lieu de s'étendre ici sur la moralité nécessaire dans la conduite des affaires et de la vie économique en général : d'autres l'ont fait et de bonne façon. Ce qui ne signifie pas que les règlements soient inutiles, au contraire : la nature humaine étant ce qu'elle est, ils ont une fonction indispensable de guide et de suppléance. Donc il faut réguler, et réguler sérieusement, sur trois plans.

Réguler les marchés financiers c'est-à-dire :

  • retirer aux spéculateurs les instruments de leurs spéculation que sont, par exemple, les ventes à découvert [11], les prêts/emprunts de titres [12], la cotation en continu [13] ;
  • empêcher la création de produits financiers sans contreparties économiques directes, donc mettre un terme aux mécanismes de titrisation déconnectés de l'économie réelle, ainsi qu'aux activités de marché hors-sol et à leur création de produits dérivés conçus comme un but en soi : il ne s'agit pas de renoncer à toute technique financière, mais de veiller à leur bon usage au service de l'économie réelle par le moyen de règles prudentielles sévères ;
  • s'opposer aux exigences excessives de rentabilité : le taux minimal de 15%, voire 18 ou 20%, de retour sur fonds propres exigé par les investisseurs (et indirectement par chacun de nous au travers de nos placements), a été un pousse-au-crime : il n'était évidemment pas tenable sans épuiser les ressources des débiteurs ni sans faire prendre aux entreprises et aux banques des risques proportionnels au moyen de montages dangereux ; il faudra donc réguler les rémunérations des investisseurs (sans parler des dirigeants d'entreprise, des opérateurs de marché et des gestionnaires de fonds) de sorte que le long terme soit désormais privilégié.

Mieux réguler les banques (elles le sont déjà largement, du moins les banques de dépôt), en complétant le dispositif existant :

  • combler les brèches de la réglementation par lesquelles les banques d'investissement se sont engouffrées, en étant aussi sévère sur les activités de marché qu'on l'est sur les activités de crédit, d'une part en exigence de fonds propres, d'autre part en contrôle des risques, contrôle à effectuer non plus à partir de modèles mathématiques mais à partir des sous-jacents utilisés et de la réalité économique des opérations ;
  • compléter la surveillance des dirigeants et opérateurs par des mécanismes de sanctions rapides et efficaces entre les mains des autorités de contrôle, car sans peur du gendarme, il n'est point de sagesse commençante.

Enfin et surtout, réguler les États qui ont fait des marchés financiers leur principal fonds de commerce, par conséquent :

  • asphyxier les paradis fiscaux, où la plupart des spéculateurs (notamment les hedge funds) ont domicilié leurs opérations à l'abri des regards indiscrets, en bloquant les flux financiers qui les concernent ;
  • contraindre les États de complaisance à renoncer à leur laxisme : certains sont à nos frontières, au premier rang desquels le Royaume-Uni dont les gouvernements successifs, pour hisser la place de Londres au premier rang, ont délibérément encouragé les banques d'investissement américaines à y installer leurs opérations financières, en leur laissant faire tout ce qu'elles ne pouvaient pas faire à New-York, mais aussi le Luxembourg ; ce sont eux qui ont poussé à la dérégulation ou empêché l'adoption de réglementations contraignantes, derrière le paravent d'une autodiscipline dite de marché sans consistance réelle.

À cause de cette complaisance, il est aujourd'hui très difficile de parvenir à une vision partagée et à des décisions communes au niveau européen ; l'Union européenne est ainsi placée au pied du mur avec le choix entre l'impuissance incantatoire ou une révision déchirante . Par contraste, on peut s'attendre, comme ce fut le cas après les affaires ENRON et autres, à ce que les États-Unis agissent de façon ample et vigoureuse. Le feront-ils seuls et de façon unilatérale, selon leurs propres intérêts ?

Quoi qu'il en soit, on n'évitera pas que l'économie souffre gravement d'une réduction drastique de l'offre de crédit. Moins à cause de l'assèchement actuel de la liquidité interbancaire qui prendra fin dès que le système redémarrera, que par un manque durable de fonds propres Tout crédit consenti par une banque doit être adossé à des fonds propres dans le rapport de 12 à 1 [14] ; les pertes considérables cumulées au cours des derniers mois ont détruit autant de fonds propres, avec un effet réducteur mécanique, de facteur 12, sur la capacité des banques à faire crédit. Le retour des opérations titrisées dans le bilan des banques, qui est en train de s'opérer à grande allure, aura le même effet. Y parer en allégeant la contrainte de sécurité que constitue cette exigence de fonds propres reviendrait à enlever les garde-fous du virage au moment où la voiture dérape : politique de gribouille.

Il n'y a plus d'autre solution que la chirurgie lourde. Plus tard l'opération sera entreprise, plus la gangrène se généralisera, plus les pertes seront importantes et plus l'économie souffrira.

Que les bases nouvelles de l'économie qui doivent être posées soient donc morales d'abord, prudentes ensuite, communes et contrôlées enfin ! C'est à cette condition que Mammon pourra être sinon abattu, il faudra attendre la fin des temps, du moins combattu concrètement et pas seulement symboliquement.

[1] Avant d'être nommé secrétaire au Trésor, Henry Paulson était président de Goldman Sachs, la première banque d'investissement américaine.
[2] Et tout récemment encore, Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI dans une tribune publiée par Les Echos le 6 octobre.
[3] Cf. François de Lacoste Lareymondie, Crise financière : simple coup de tabac ou avis de tempêteDécryptage, 31 août 2007 (et Liberté politique n° 41, été 2008).
[4] Le budget fédéral pour l'année 2008/2009 prévoyait, en grandes masses, 2 900 milliards de dollars de dépenses pour 2 500 milliards de recettes ; les dépenses militaires en constituent le premier poste pour environ 400 milliards de dollars.
[5] Les fameux Residential Mortgage Backed Securities (RMBS).
[6] Les Special Investment Vehicles (SIV).
[7] Les Credit Default Swaps (CDS).
[8] À lui seul, il avait accordé 440 milliards de dollars de garanties de crédit, dans un marché évalué à 60 000 milliards ; ces garanties ont principalement servi à obtenir une notation AAA des SIV de la part des agences de notation, afin de les commercialiser.
[9] Sur ce point, je renvoie à Jacques Bichot, Crise financière, la crise révélatrice, Décryptage, 3 octobre 2008.
[10] Rehaussement du minimum garanti de 20 000 à 50 000 €.
[11] Ce n'est pas impossible : les ventes à découvert des actions de banques et sociétés financières ont été temporairement interdites par les autorités de tutelle des marchés financiers au mois de septembre pour bloquer les spéculations à la baisse.
[12] Ils permettent, par exemple, de vendre des titres empruntés, donc ne vous appartenant pas, pour en pousser le cours à la baisse, quitte à les restituer au prêteur en les rachetant plus tard et moins cher ; ou de voter en assemblée générale avec de tels titres pour faire pression sur le management sans être réellement actionnaire.
[13] La cotation en continu a été adoptée sur tous les marchés financiers depuis une vingtaine d'années sous la pression des professionnels, notamment des arbitragistes qui jouent sur les différences de cours pendant la journée ; elle s'oppose au fixing qui permet, à heure fixe une ou deux fois par jour, de rapprocher la totalité d'ordres d'achat et de vente rassemblés à cette fin, et qui, de ce fait, garantit un meilleur équilibre du marché. Maurice Allais, prix Nobel d'économie dont l'ouvrage sur le capital fait autorité, voyait dans la cotation en continu une perversion des marchés financiers.
[14] C'est une autre façon d'exprimer ce que l'on appelle le ratio de solvabilité des banques qui est fixé à 8% par les normes internationales dites de Bâle : les fonds propres doivent représenter au moins 8% des crédits consentis.