Le G 20 n'a rien dit de la crise des relations économiques internationales. Si l'on veut vraiment progresser, il faut lever le malentendu sur le libre échange (I), par exemple avec les droits compensateurs aux frontières (II). Mais on ne sortira pas de la crise si l'on ne replace pas l'économie de l'Union européenne sous le contrôle politique de ses peuples (III).

POUR SORTIR DE LA CRISE, il faut donc mettre fin aux dérèglements qui l'ont engendrée, et pas seulement aux excès de la finance. Il faudra notamment retrouver le sens de la frontière – séparation perméable qui assure un filtrage pour l'équilibre et la paix – afin d'asseoir sur elle le système des droits compensateurs.

Mais si l'on veut changer de politique, de grandes difficultés vont se présenter. D'abord, il faudra gérer la transition avec diplomatie. La Chine, jusqu'à récemment, pouvait penser qu'étant la grande bénéficiaire de la mondialisation sauvage, elle risquait de perdre à toute tentative de mise en place d'une concurrence plus équitable. Il n'est pas sûr aujourd'hui que ses dirigeants raisonnent encore ainsi. Comment pourraient-ils ne pas voir qu'ils sont dépendants aussi de la bonne santé de leurs clients ? Un système commercial plus équilibré peut aller de l'intérêt commun. Il reste qu'au vu des conclusions du dernier G 20, nous en sommes loin. Mais il y aura d'autres G 20.

Une difficulté encore plus grande tient à la politique de l'Union européenne. Jusqu'ici, elle a soutenu avec dogmatisme la politique d'ouverture des frontières qui a conduit à la mondialisation sauvage, et donc à la crise actuelle. Même si le déclenchement ne s'est pas produit en Europe, cette crise est néanmoins aussi la sienne, c'est la crise du monde qu'elle a voulu.

Pour mener cette politique, la Commission européenne a faussement interprété les traités. Et elle a forcé la main des États, en se servant de sa position dominante échappant largement au contrôle des démocraties nationales.

La fausse interprétation, d'abord : pour mener à bien sa politique libre-échangiste, la Commission a étendu au-delà des frontières extérieures le raisonnement qui avait servi à constituer le marché intérieur. Or il n'est pas transposable. Car l'effacement des droits de douane intérieurs n'apportait pas de grands déséquilibres dans une communauté d'États relativement homogène. Alors que le même effacement, sur les frontières extérieures, peut engendrer les plus grandes destructions.

Il faut savoir que la Commission n'a guère d'excuse, car le traité de Rome était explicitement porteur d'une politique beaucoup plus saine, qui figure encore dans le texte actuel (article 23 TCE et suivants) quoique recouverte par des couches successives qui la dénaturent : une union douanière comportant à la fois un libre commerce entre les États membres et des droits de douane protecteurs aux frontières extérieures ; donc une différence de traitement affirmée entre l'intérieur et l'extérieur ; et une Commission chargée de gérer le tout avec la mission d'éviter des troubles sérieux dans la vie économique des États membres et d'assurer un développement rationnel de la production... (article 27 d TCE).

Qu'est devenue cette mission ? Tout cela est bien loin aujourd'hui. Maintenant règne l'objectif d'élimination de l'ensemble des barrières douanières, quelles qu'elles soient, que la Commission a fait introduire ultérieurement dans les traités (article 131 TCE), et que le projet de Lisbonne reprend et amplifie.
Parallèlement la Commission, négociatrice au nom des États membres, a contribué à faire inscrire cet objectif libre-échangiste dans toute une série de traités internationaux tels que les accords de Marrakech en 1994, qu'elle a réussi à faire ratifier dans l'inconscience générale, et qu'elle invoque maintenant pour essayer d'intimider ceux qui voudraient corriger l'erreur.

Comment la Commission, en négociant des traités qui démantelaient nos protections, a-t-elle pu à ce point renier sa mission d'origine ? La réponse se trouve dans le vice initial de la construction européenne : la faiblesse du contrôle démocratique par les États membres. Les Pères fondateurs ont voulu mettre leur projet à l'abri des élections nationales, de peur que les peuples ne le freinent. Et ils ont trop bien réussi. Aujourd'hui la construction européenne existe, mais elle n'a pas pu se défaire du vice initial : malgré tous les efforts d'implantation du Parlement européen, elle reste redoutablement peu démocratique.

Cette faiblesse du contrôle des peuples explique trois phénomènes cumulatifs : pourquoi les lobbies libre-échangistes ont pu s'infiltrer si facilement dans le système, pourquoi la Commission s'est sentie en position de force vis-à-vis des États pour changer le sens de sa mission, et enfin pourquoi elle s'est constamment montrée insensible aux souffrances causées, chez les petits, par les ravages de cette politique.

La situation pourrait donc être résumée ainsi : on ne sortira pas de la crise si l'on n'abandonne pas la politique européenne doctrinaire d'ouverture à tout prix et de libre échangisme, mais on ne sortira pas de cette politique si, d'abord, on ne replace pas l'Union européenne sous le contrôle de ses peuples. Tout se tient.
Nous ne décrirons pas ici en détail les réformes nécessaires, déjà développées dans notre ouvrage L'Europe sans les peuples [1]. Soulignons seulement que le projet de Lisbonne, comme l'ancienne Constitution européenne dont il est le décalque, va malheureusement dans le mauvais sens puisqu'il consolide le libre-échangisme et donne de nouveaux pouvoirs à l'Union sans apporter aucune innovation de poids pour combler le déficit démocratique.

Nous connaissons bien tous les arguments qu'on oppose à nos propositions : rétablir le contrôle des peuples, en respectant leurs souverainetés, risquerait de fragmenter l'Union, et cela coûterait trop cher en termes d'efficacité ; instaurer des droits compensateurs freinerait le commerce international, et cela coûterait trop cher en termes de croissance. La démocratie, c'est trop cher payé, la concurrence équitable, c'est trop cher payé aussi ! Tout cela ne tient pas debout. Les doctrinaires de l'Europe supranationale s'enferment dans leur aveuglement, ils ne voient rien des souffrances des gens.
Ils devraient savoir que la ruine du pays, cela coûte encore plus cher

* Georges Berthu est économiste, ancien député européen (1994-2004).

 

Articles précédents :

Relancer l'économie (I/II)
Une économie au service de l'homme (II/III)

Lire aussi :

Comment améliorer l'efficacité du Parlement européen (Décryptage, 20 mai 2004)
La vraie crise derrière le krach financier (Décryptage, 14 novembre 2008).

Et les livres de Georges Berthu, L'Europe sans les peuples, éditions François-Xavier de Guibert, 2004 ; Le Piège de la Constitution européenne, même éditeur, 2005.

 

 

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