Au milieu de l’été, deux événements occupent l’actualité médiatique et « polluent » la quiétude des vacances des Français [1]. L’un est l’annonce des déboires de PSA, avec la fermeture du site d’Aulnay, et les difficiles tractations entre la direction du Groupe et le pétulant Ministre du Redressement Productif. L’autre est évidemment la guerre civile syrienne, qui entre dans sa phase décisive, celle où l’un des deux belligérants va prendre le dessus.

F_Martin

Sanglante et meurtrière pour l’une, économique et sociale pour l’autre, dans les deux cas, c’est une tragédie. En France, le groupe automobile, fleuron de notre industrie, annonce non seulement la fermeture d’un site historique, mais aussi, ne l’oublions surtout pas, un océan de pertes, avec plus de 800 millions pour l’année en cours (contre 200 millions attendues) et  un cours de bourse qui ne cesse de chuter, atteignant son plus bas en 23 ans [2]. Face à cette situation, le nouveau Président Hollande et surtout son ministre Montebourg tirent à boulets rouges sur le groupe, augmentant ainsi la méfiance des analystes et des investisseurs et le risque d’une OPA étrangère, mettant les syndicats en ordre de bataille pour que la fermeture inévitable du site (sur laquelle le groupe n’a en rien renoncé, contrairement à ce que voulait le gouvernement) se passe, à la rentrée, le plus mal possible, et compromettant les efforts de PSA pour son redressement [3].

En Syrie, alors que la presse et les politiques se déchaînent depuis un an contre le dictateur Assad, contribuant à l’isoler en le rendant responsable unique de tous les maux de son pays, on semble maintenant découvrir brusquement qu’il ne s’agit pas d’une répression, mais d’une guerre civile, que les opposants, superbement armés, puisqu’ils font mieux que résister à l’armée syrienne, ses chars et ses avions, ne sont pas des enfants de chœur, amicaux, démocrates et laïques, mais des islamistes, alliés à Al Qaida et soutenus par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Après un an de « story telling », au moment où le pouvoir vacille, on commence à peine à dire que s’il tombe, ce ne sera sans doute pas la liberté qui s’instaurera, mais une chape de plomb islamique, avec un bain de sang promis, sous les yeux de la communauté internationale qui alors tournera la tête, contre les 30% de minoritaires, alaouites, mais aussi druzes, kurdes et bien sûr chrétiens.

Dans un cas comme dans l’autre, l’opinion assiste impuissante à la destruction des équilibres, aux souffrances des populations, humbles ouvriers d’un côté, pauvres habitants fuyant les combats ou terrés sous les bombes de l’autre, et surtout à la promesse de catastrophes encore plus grandes à venir. L’impression de pagaille est générale, tant pour ce qui concerne la politique internationale que l’Europe, ou bien la gestion des crises françaises par le gouvernement [4].

Mais, franchement, pourquoi sommes-nous si étonnés ? A quoi diable nous attendions-nous ?

Pour ce qui est de la situation de nos entreprises, est-ce que nous ne savons pas encore que nous ne sommes pas compétitifs ? Est-ce que nous avons jamais cru, nonobstant la « démondialisation » prônée autrefois par Mr Montebourg, qu’il peut exister une Ligne Maginot pour nous protéger des importations de pays à bas coût ?  Est-ce qu’il n’est pas clair, depuis au moins quinze ou vingt ans, que si nous ne réduisons pas drastiquement les charges de l’Etat, et travaillons tous plus et mieux pour réduire le différentiel avec les autres, c’est la catastrophe industrielle qui nous est promise ? Dans notre for intérieur, bien sûr, nous le savons. Et pourtant, alors qu’il est clair que la priorité, avant même l’emploi, c’est de conserver au moins nos entreprises, il est encore impossible à un homme politique de prononcer le mot « délocalisation » sans être promis au bûcher médiatique. Aucun, ni de gauche ni de droite, n’a osé s’attaquer vraiment au secteur de l’Etat, au risque de s’attirer non seulement les foudres syndicales, mais aussi, ce qui est plus grave, la vindicte populaire [5]. Plus incroyable encore, le débat surréaliste autour du mot « rigueur » : « Vous avez dit rigueur ? », « non, je vous jure, j’ai dit effort, je n’ai pas dit rigueur ! ». Nous connaissons notre situation plus que dégradée, nous voyons les pays neufs mettre les bouchées doubles, nos entreprises licencier à tour de bras, les irlandais, les anglais, les portugais, les italiens, les espagnols et même les grecs se serrer la ceinture tant qu’ils peuvent pour rembourser leurs dettes [6], et chez nous, il est interdit de prononcer le mot « rigueur » ? Quel peuplement d’autruches sommes-nous donc devenus ? Quel goût a le sable dans lequel nous avons enfoncé la tête ?

Pour la situation internationale, c’est bien la même chose. Nous savons à quel point l’islamisme est dangereux, à quel point le communautarisme, dont les islamistes sont l’âme et la direction politique, verrouille un peu plus nos banlieues chaque jour, au point de provoquer un jour, à Dieu ne plaise, une véritable guerre civile. Même si le pire n’est jamais sûr, nous voyons que tout autour de la méditerranée, juste en face de nous, s’installe peu à peu une tenaille de fer de ces régimes, puissants, tenaces, totalitaires, très bien financés, une sorte de communisme religieux plus dangereux encore, déterminé à nous faire basculer de l’extérieur et de l’intérieur, et dont nous aurons le plus grand mal à nous défaire. Nous savons tout cela. Nous le voyons, et eux-mêmes nous l’ont dit. Et malgré cela, nous continuons à répéter contre vents et marées que nous voulons détruire, partout, les systèmes autoritaires aujourd’hui en place, même lorsqu’ils nous protègent contre ces futurs régimes qui, c’est certain, seront pires. Comme le mot « rigueur » est tabou en économie, le mot « dictateur » est banni en politique internationale. Nous ne voulons pas voir le sang qui coule, et nous voulons le rêve, une conversion de tous, tout de suite, à la démocratie et aux droits de l’homme, alors que nous savons bien, par ailleurs, que c’est impossible, et qu’en le croyant nous creusons nos tombes. En pleine guerre économique, en pleine guerre des civilisations, nous voulons la paix, non pas celle que l’on gagne au combat, mais celle des fleurs et du pacifisme. Mais où avons-nous la tête ? 

On peut sans doute reprocher à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir osé parler de sacrifices, ou de ne pas avoir pris à bras-le-corps le problème des dépenses de l’Etat, ou bien de s’être embarqué dans l’affaire libyenne par peur de l’opinion, très critique depuis la révolution tunisienne, ou encore d’avoir contribué à l’isolement d’Assad, pour les mêmes raisons. Il n’a fait, en cela, que suivre la presse, et le gouvernement actuel reprend, avec plus de faiblesse encore, les mêmes thématiques. Mais sont-ils les seuls coupables ? Si les uns ou les autres avaient senti une opinion exigeante, moins complaisante envers le mensonge qui fait plaisir, n’auraient-ils pas été eux-mêmes plus courageux ?

On raconte que lorsque le Général de Gaulle s’apprêtait à prendre une décision impopulaire, et qu’on lui faisait remarquer que les Français seraient probablement mécontents, il fixait son interlocuteur dans les yeux et lui répondait « Et alors ? ». Sans doute, il était d’une autre trempe, mais ne s’adressait-il pas aussi à des Français d’une autre trempe, qui sortaient de la guerre et savaient « encaisser » la vérité ? Si nos gouvernants sont des pleutres, n’est-ce pas parce que nous le sommes aussi ? La cause de nos maux, qui vont en grandissant, nous le voyons bien, n’est-elle pas d’abord en nous-mêmes ?

Si nous voulons nous redresser, beaucoup de choses, dans nos comportements, sont à revoir. Ouvrir les yeux est la première d’entre elles. Si nous ne sommes pas efficaces, en ouvrant les yeux, nous le serons. Si nous ne sommes pas patriotes, en voyant le danger tel qu’il est, pas de doute, nous le deviendrons. Si l’on se moque de notre faiblesse, en cessant de nous mentir à nous-mêmes, nous gagnerons le respect. Si nous avons de mauvais dirigeants, en cessant de faire semblant de croire à leurs sornettes, demain nous en aurons de bons. On dit que l’avenir n’est écrit nulle part, et qu’on l’écrit en marchant. Le pire n’est jamais sûr. Au milieu des difficultés, des solutions sont possibles, des belles pages restent encore à écrire. « Marchons, marchons », chantons-nous. Marchons, oui, les yeux ouverts.  

François Martin

[1] Nous excluons les Jeux Olympiques…

[2] Avec une capitalisation boursière du groupe à 2 Milliards d’Euros, alors que Volkswagen, par exemple, en fait 60 Milliards, pour un CA à peu près trois fois supérieur (PSA : 29 Milliards, Volkswagen : 95 Milliards), et sort 6,5 Milliards d’Euros de profits au 1er semestre 2012... Cf http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/auto-transport/dossier/0202171808246/0202178472610-l-action-peugeot-ne-parvient-pas-a-enrayer-sa-chute-345138.php

[3] Et malgré cela, selon les sondages les plus récents, les Français “saluent” la façon « intelligente » dont le gouvernement gère la crise PSA. Et la cote du Président remonte… Si demain, un constructeur chinois ou qatari le rachète, que diront-ils ?

[4] Cf http://www.liberation.fr/economie/2012/07/25/debacle_835620

[5] Tous les Français savent qu’on ne peut survivre avec notre secteur public pléthorique. Combien affirmeront, encore aujourd’hui, qu’ils « comprennent » les grévistes du secteur public qui les prennent en otages, maintenant ainsi en place un système qui nous coule chaque jour un peu plus ?

[6] Les allemands l’ont fait depuis dix ans