Il y a l´été indien, il y a l´hiver brésilien, un hiver qui surprend le voyageur sur les hauteurs. Certes le climat change, nous rappellent les médias qui n´ont de cesse ici comme ailleurs de souligner la moindre catastrophe.

Mais il peut faire dix degrés sous la pluie dans la capitale kitsch de l´empereur -- Pétropolis --, il peut geler dans la sublime ville baroque d´Ouro Preto (photo), littéralement la ville de l´or noir, qui s´est muée avec le temps non plus en capitale des minerais, mais du tourisme culturel, qui comme une ombre folle recouvre notre monde. C´est à ce tourisme que l´on doit pourtant le sauvetage des antiquités qui justifiaient il y a peu encore le cours de l´histoire de l´humanité.

En découvrant le Brésil on se dit que ce pays ne mérite pas sa réputation. Mais le touriste n´est pas fou et lui-même s´est fait rare ; il se pourrait même que le tourisme entame une ère étrange de reflux dans le monde. En tout cas l´Amérique du sud est étrangement vide, hors des Disneyland consacrés par le tout-venant (Machu Pichu, les glaciers patagons, les chutes d´Iguaçu).

Le Brésil est en revanche une terre enlaidie par l´homme, couverte de pollutions, une nation dure pour ses démunis, américanisée dans le pire sens du terme y compris sur le plan religieux : les sectes protestantes y ont fait recette comme nulle part. Les relations humaines y sont féroces, et l´on y compte 11% des assassinats commis dans le monde. Comme cette terre est verte, elle est aussi incroyablement pluvieuse, beaucoup plus que l´Asie des Moussons terriblement frappée cette année.

Qui rêve de Salvador de Bahia doit couvrir quarante kilomètres d´autoroutes au milieu des rocades et des bidonvilles pour gagner le centre. Au bout de son chemin il verra les condominios, territoires protocolaires couverts de riches, isolés du reste du monde ; ou le quartier culturel du Pelourinho, "joyau du baroque portugais" dont il fera le tour en quelques heures.

Il verra aussi qu´il y a deux mondes, deux catégories de prix aussi, dans un pays où la classe moyenne n´existe pas. La société multiraciale tant vantée est impitoyable avec les races moins égales que les autres. On dit que Bahia est devenue un haut-lieu du tourisme sexuel mondialisé ; et on peut le vérifier.

Dieu n´a pas été juste pour ses fils noirs, disait un jour Elizabeth Badinter. Ce qui est frappant, s´agissant des Noirs, c´est qu´ici toute la culture vient d´eux. Le Brésil ne rend pas black muslim mais plutôt black christian. Ce sont les Noirs et les religieux portugais qui ont bâti le Pelourinho, Olinda, près de Recife, et bien sûr Ouro Preto, ce mélange prodigieux de Prague, de Noto la sicilienne et de Grenade (pour les collines) ; ce sont les Noirs qui ont écrit la musique – il faut assister à ces improvisations de danses guerrières de la jeunesse bahianaise qui laissent bien loin derrière la samba et les contorsions médiatiques des travelos de carnaval. Il faut voir l´art avec lequel les jeunes jouent au football ou s´entraînent à la capoeira, l´art martial national qui remonte à l´esclavage.

Ce sont aussi des Noirs qui m´ont plus éclairé sur la condition humaine et brésilienne ici. Charco, un brillant francophone, entraîneur de basket (le Brésil est devenu la troisième nation sportive du monde), lecteur du Monde diplomatique et qui voit se déliter le monde qu´il a connu. Il a vu que la cible principale du néo-libéralisme a été la culture. Le peuple ne veut plus entendre parler de culture, comme l´avait prévu la science-fiction anglaise, et le peuple ne veut plus entendre parler de révolution. Charco est un communiste humaniste : il connaît sur le bout des lèvres Brel ou Aznavour et il interpelle, du haut de ses 66 ans portés comme un charme, place Largo de Machado à Rio, les jolies filles qui passent devant lui. Mais elles sont aussi renfrognées que dans nos villes.

L´amie de Charco – alias Francisco – se nomme Teresa. Elle est journaliste, elle revient toujours d´un vernissage ou d´un salon. Elle a fait un rêve qui n´est pas celui de Luther King, et qui est de rétablir l´Empire. L´Empire de Pedro II, où pourtant l´esclavage n´était pas aboli, mais dont les musées de Rio offrent une image digne de la comtesse de Ségur. Teresa est monarchiste pratiquante et progressiste. Mes deux amis doutent en tout cas des mérites de la démocratie libérale avancée.

Il est vrai que le charme du Brésil vient de son passé – c´est même une exception en Amérique du sud. Il y a le centre historique de Rio, Santa-Teresa, il y a Ouro Preto et les trésors baroques d´Aleijadinho, le sculpteur métis magnifique, il y a Pétropolis ou Blumenau, les Bavières tropicales, il y a même Brasilia, dont la construction ruina le pays, mais qui symbolise les années cinquante ou soixante, quand on rêvait encore d´édifier des lendemains qui chantent. Brasilia dont les abstractions géométriques contrastent avec l´anarchie urbaine des villes portugaises, qui caressent le colline comme des graminées. Le Brésil paie aujourd´hui le prix d´un demi-siècle d´incurie, de dictature, d´inflation, de fiscalité luxuriante... Il est devenu la quinzième puissance mondiale et son revenu par habitant le place derrière la Jamaïque. Mais son potentiel reste fort grand.

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