Le 29 mai marque-t-il la fin du règne de la pensée unique ? Les élites dominantes, gauche et droite confondues, ont été désavouées. La majorité des actifs et des jeunes (60 %) a choisi de dire non à un projet conçu par des hauts fonctionnaires et des diplomates soutenus par tout l'establishment.

En rupture avec son dessein initial, la construction européenne est devenue un projet communautariste indigeste, libertaire en morale, néolibéral en économie, technocratique en politique. Ce cocktail idéologique, pensé par la génération 68, est largement dépassé. Les Français ne veulent plus de ce socialo-libéralisme obligatoire, quelle que soient ses formes, y compris morales.

La Sorbonne occupée, c'était il y a une génération. Les anciens combattants de 68 peuvent battre l'estrade avec François Bayrou, ils sont encore en dehors des clous : les jeunes, qu'ils soient blacks blancs ou beurs ne se reconnaissent plus dans l'utopie au pouvoir censée faire le bonheur du peuple malgré lui. Serge July morigènant les lecteurs de Libération qui ont voté non est l'exemple emblématique de la cécité intellectuelle d'une certaine élite. L'ouverture et la liberté, ce n'est pas la prospérité économique plus le désordre socioculturel. Les Français veulent de l'ordre - eh oui de l'ordre ! - et ce n'est pas en les traitant de fascistes ou d'imbéciles qu'on répondra à leur attente.

Cette demande d'ordre, mieux vaudrait l'analyser plutôt que de la traiter par le mépris. Elle comporte une bonne dose de besoin de sécurité. Sécurité dans la rue et l'on voit bien que ceux qui l'ont compris, comme Nicolas Sarkozy, font recette, mais aussi sécurité économique, morale et politique.

Or la classe politique et médiatique dominée par l'idéologie libertaire ne semble pas capable d'y répondre. Le problème est plus culturel que politique, plus profond que conjoncturel. La question est désormais de savoir qui sera capable de proposer aux Français une vraie alternative. Celle-ci pourrait venir d'agitateurs jusqu'ici marginalisés. Les mieux placés semblent les mouvements d'extrême-gauche. Mais en dépit de ses relais dans l'opinion, l'extrême-gauche souffre aussi de ses contradictions et de ses divisions idéologiques. Quelque soit sa sensibilité sociale, son anarcho-marxisme la condamne à la gesticulation. On ne s'en plaindra pas. L'extrême-droite peut avoir ses chances. Mais les Français, qui aiment secouer leurs dirigeants, se sont toujours méfiés des tribuns populistes.

Que reste-il ? À peu près rien. La France est aujourd'hui profondément éclatée, à l'image de son vote du 29 mai où oui et non se sont rassemblés sur des motivations diverses et parfois opposées. Nous sommes politiquement dans une impasse et les replâtrages technocratiques et politiciens ne feront que repousser – pour combien de temps ? – l' échéance. Cette situation est à terme explosive.

Sommes-nous capable d'en sortir, sans heurt et sans drame ? C'est encore au sein de la classe politique que demeurent probablement le plus de ressources et de compétences pour conduire un vrai changement d'orientation politique. Mais cela suppose une conversion radicale de la part d'un nombre critique d'hommes et de femmes aujourd'hui en charge de la destinée de la France.

Regrettable ou non, l'économie est au centre de la problématique. Celle-ci est en mauvaise posture. Pour la redresser, il faudrait une main ferme, dotée d'une autorité morale forte, capable de restaurer la confiance sur des orientations et des perspectives claires, capable de tenir tête aux lobbies syndicaux et patronaux, et de desserrer les fausses contraintes, même au prix d'un affrontement dur comme avait su le mener Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Le discours de politique générale du Premier ministre ne laisse rien présager de la sorte. La volonté politique est absente, et le peuple ne voit toujours pas le chemin.

L'avenir paraît donc incertain, mais la situation reste ouverte. Les Français attendent des idées neuves, et surtout une attitude nouvelle. Depuis vingt ans, la construction européenne a servi de placebo : on a vendu le processus d'intégration européenne comme le remède miracle et unique à tous les maux de la société française. Cet enfermement était dangereux, pour la France, et pour l'Europe elle-même. Par principe, la solution unique est une solution utopique et fragile. Aujourd'hui, les Français ne rêvent plus aux lendemains faciles. Le non du 29 mai n'est pas seulement protestataire, il est aussi résistant. Les conditions ne sont sans doute pas encore requises pour un redressement populaire, mais il est nécessaire de s'y préparer et les évènements peuvent précipiter les choses.

C'est toute la société française qu'il faut réorienter. Comment lui redonner une vaste ambition, délestées des habitudes et des préjugés du passé, depuis les éclatantes réussites du " modèle social français " aux effets de manche d'une politique étrangère artificielle ?

Dans cette perspective les catholiques peuvent jouer un rôle non négligeable comme ils l'ont fait à d'autres époques, au début du XXe siècle avec les premières lois sociales ou dans les années d'après guerre avec le lancement de la construction européenne. Ce chantier passe par un préalable : la remobilisation des catholiques sur l'essentiel politique, ces valeurs éthiques non négociables sans lesquelles la vie démocratique s'expose à tous les dangers, à commencer par l'effondrement démographique, la grande plaie européenne. C'est autour de ces fondements de la vie commune que la Fondation de service politique et tous ceux qui la soutiennent, peuvent apporter leur contribution à une redéfinition du pacte social.

Nous commencerons d'y travailler sous la forme d'un livre blanc. Il sera le fruit d'une vaste consultation auprès d'experts et des amis de la Fondation. Il tracera des orientations pour la France et l'Europe que nous voulons.

Dans une seconde étape, à partir de l'an prochain, nous médiatiserons les conclusions de nos travaux le plus largement possible et nous rencontrerons élus, partis et candidats aux élections de 2007. Nos analyses sont très souvent regardées avec attention. Nous en avons eu la preuve bien souvent. Durant la campagne référendaire, notre site Internet a reçu 1500 visites par jour. Beaucoup d'élus se sont manifestés pour témoigner de leurs attentes : ils ont besoin de ce travail en profondeur, dégagé des préoccupations partisanes.

Quand nous le pourrons, nous créerons un forum sur le site de Liberttepolitique.com ; dés à présent, n'attendez pas pour nous faire connaître par courriel votre point de vue, vos remarques, vos suggestions.

Ne laissons pas aux alter-mondialistes et aux cercles libéro-libertaires le monopole de la réflexion prospective et battons-nous, chacun à notre niveau, pour proposer à la société française qui l'attend, une voie fondée sur une autre conception de la personne humaine.

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