Profanation d’hosties en Espagne : l’artiste sacrilège bientôt devant la CEDH ?

Source [La Nef] Une association chrétienne espagnole a déposé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avec l’aide de l’ECLJ, à la suite de la profanation d’hosties consacrées par l’« artiste » Abel Azcona. L’« œuvre d’art » litigieuse était composée de 242 hosties subtilisées au cours de plusieurs messes puis arrangées sur le sol pour former le mot « pederastia ». L’« artiste » s’est ensuite photographié nu avec son « œuvre » et a exposé les photos dans des locaux prêtés par la ville de Pampelune.

Cette affaire pose deux questions majeures. La première est de la compétence de la Cour de Strasbourg : les juridictions espagnoles ont-elles effectué une juste mise en balance entre le droit à la liberté d’expression de l’« artiste » et le « droit à la protection des sentiments religieux en tant que composante de la liberté religieuse »[1] ? Pour en juger, nous pouvons espérer que la CEDH soit attentive à plusieurs aspects de l’affaire, qui pourraient jouer en la défaveur d’Abel Azcona.

En particulier, l’« artiste » a assumé avoir utilisé des hosties consacrées afin d’offenser les catholiques. Le juge espagnol qui a donné raison à Abel Azcona a également fait preuve d’une hostilité et d’un mépris évidents envers la foi chrétienne. Par ailleurs, l’exposition a été subventionnée par la mairie alors même que l’« artiste » a pu vendre sa création près de 300 000 euros. Si la CEDH accepte la requête, l’ECLJ lui présentera des observations afin de développer ces points.

La deuxième question est du ressort de l’Église. Pour voler 242 hosties consacrées, l’« artiste » a tout simplement communié dans la main, sans consommer les hosties. Si les exigences prévues par les textes en vigueur sur l’Eucharistie avaient été respectées, cela aurait dû permettre d’éviter une profanation aussi grave et massive[2]. En pratique, cependant, le Christ semble avoir été réduit à un objet à la disposition de tous, que le prêtre donne tel un distributeur automatique et que les laïcs prennent tels des consommateurs.

Ce constat malheureux pourrait avoir un impact indirect sur le raisonnement juridique de la CEDH. La Cour juge légitime de protéger les croyances en cas de « haut degré de profanation »[3], qui doit être établi à partir du degré de sacralité de l’objet profané. Or, celui-ci n’est pas évalué à partir du catéchisme et du droit canonique, mais des « croyances et convictions religieuses intimes des personnes »[4]. La CEDH pourrait considérer, selon sa logique, que les catholiques espagnols ont une sensibilité religieuse attachant une importance faible à l’Eucharistie. Les juges minimiseraient alors, en s’appuyant sur le vécu subjectif des catholiques, le degré de sacralité des hosties consacrées et par conséquent le « degré de profanation » de l’acte sacrilège d’Abel Azcona.

Pour éviter ce relativisme, il est essentiel de témoigner en pratique du mystère de l’Eucharistie. Nous pouvons à ce titre nous réjouir des réactions fortes de l’Église espagnole, qui ont signifié l’offense grave subie par le Christ et ainsi la sacralité des hosties. L’archevêque de Pampelune, Mgr Francisco Perez, a célébré une messe de réparation le 25 novembre 2015 à laquelle plus de 4500 personnes ont participé[5]. Il a rappelé à cette occasion que « l’Eucharistie constitue le sommet de l’action de salut de Dieu », par la présence réelle de Jésus. Il a fini son homélie par une prière : « Je demande à Marie du Tabernacle de nous aider à être des témoins vivants du Christ Eucharistie »[6].

De nombreux laïcs ont rendu un magnifique témoignage en priant agenouillés devant les photos d’hosties de l’exposition ou devant la porte du bâtiment où celle-ci a eu lieu. Des rosaires et manifestations publics ont également été organisés et une pétition a recueilli 115 000 signatures[7]. Ces réactions sont un excellent moyen de montrer à la CEDH la force et la violence de l’atteinte portée aux sentiments religieux des catholiques.

Au-delà de ces actes de réparation, la profanation d’Abel Azcona pourrait être l’occasion de redécouvrir plus pleinement « l’expression de la foi et de l’amour que tous doivent avoir pour ce sublime Sacrement »[8]. Les catholiques espagnols, en particulier la Conférence épiscopale d’Espagne, pourraient ainsi suivre l’impulsion initiée par le pape Benoît XVI[9] et s’inspirer des nombreuses réflexions actuelles sur l’Eucharistie[10]. Il est urgent, en Espagne et en Europe, de redonner à Jésus-Hostie l’adoration qui lui est due.

Nicolas Bauer

[1] Conseil de l’Europe/Cour européenne des Droits de l’Homme, Division de la recherche, « Aperçu de la jurisprudence de la Cour en matière de liberté de religion », 19 janvier 2011, mis à jour au 31 octobre 2013, § 41.

[2] Selon la règle générale prévue par l’Église catholique, la sainte communion se reçoit directement dans la bouche. La communion dans la main ne peut être acceptée qu’exceptionnellement, avec l’autorisation du Siège Apostolique, de la Conférence des Évêques et du prêtre célébrant, à condition que l’hostie soit consommée immédiatement et qu’il n’y ait aucun risque de profanation (Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, instruction Redemptionis Sacramentum, « sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie », § 92-94).

[3] CEDH, Wingrove c. Royaume-Uni, n°17419/90, 25 novembre 1996, § 58.

[4] Comité directeur pour les droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, « Analyse de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme et d’autres instruments du Conseil de l’Europe en vue de fournir des orientations complémentaires sur la manière de concilier la liberté d’expression avec d’autres droits et libertés, notamment dans les sociétés culturellement diverses », 13 juillet 2017, § 90.

[5] Raphaël Zbinden, « Voler des hosties pour de l’art anti-catholique? Légal en Espagne », Portail catholique suisse cath.ch, 22 novembre 2016.

[6] Abel Azcona, « Amen », op. cit.

[7] Association des juristes chrétiens, pétition « Paren ya esta grave profanación pública », Change.org.

[8] Benoît XVI, « Sacramentum Caritatis » (Sacrement de l’amour), Exhortation apostolique post-synodale sur l’Eucharistie, 22 février 2007

[9] Jean-Marie Guénois, « Pourquoi le pape renoue avec la liturgie traditionnelle », Le Figaro, 8 septembre 2008.

[10] Voir par exemple : Mgr Juan Rodolfo Laise, La communion dans la main, Éditions Artège, Perpignan, 2005 ; Mgr Athanasius Schneider, Dominus est, Pour comprendre le rite de communion pratiqué par Benoît XVI, Éditions Artège, Perpignan, 2008 ; Père Paul Cocard, La communion sur la langue, une pratique qui s’impose, Éditions Dominique Martin Morin, 2015 ; Federico Bortoli, La distribuzione della Comunione sulla mano, Profili storici, giuridici e pastorali, Edizioni Cantagalli, 2018.