Comme répondrait monsieur Jourdain, si on lui demandait de résumer d'un mot les trois lectures de ce dimanche (Jérémie 23, 1-16 ; Éph. 2, 13-18 ; Marc 6, 30-34) : Il y a du mouton dedans.

Du mouton ? Oui, il aurait raison, et des bergers, encore des bergers. Il commenterait, à nouveau : Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout (Molière, Le Bourgeois gentilhomme, I, 2). Dans l'Évangile, c'est un peu vrai, des moutons, des bergers, on ne voit que cela partout. Aujourd'hui, ça court dans tous les sens, et même un peu en désordre.
D'un côté, le Seigneur se plaint de ce que les bergers font mal leur travail et laissent ses brebis s'égarer et se disperser. De l'autre, il invite ses bergers à se rendre à l'écart, dans un endroit désert, et à se reposer. D'un côté, il clame qu'il ne peut pas paître le troupeau tout seul. De l'autre, il déclare que, puisque c'est comme ça, il va tout faire lui-même.
Prenons-le au mot : qu'il paisse ! Ses brebis n'en seront que mieux gardées.
Nos pasteurs, de leur mieux
Pourtant, il s'y refuse. Nous le savons : des pasteurs, il en veut, il en institue, il le dit et il le réalise. A-t-il le droit de se plaindre que les bergers, qu'il a institués lui-même, n'ont pas fait leur travail, ou mal ? Oui, cela arrive. Pour un pasteur modèle, pour un curé d'Ars, que d'autres pasteurs, quelconques, médiocres, ordinaires, parfois indignes.
Laissons les indignes. Ils ne font que magnifier, les malheureux, mais à l'envers, la grandeur de leur vocation. Parlons des quelconques, des ordinaires, des médiocres, c'est-à-dire les pasteurs normaux, ceux qui font tout ce qu'ils peuvent, les vôtres, nous.
Ces pasteurs sont des pauvres hommes, qui ont accepté de donner leur personne au Christ, laissant tout, pour votre salut, pour vous. Ils traversent la vie en même temps que vous, vieillissent au même rythme que vous, s'affinent et progressent à petits pas, comme vous. Bien sûr, ils ont mal fait leur travail, puisqu'ils n'ont pas été assez saints pour vous convaincre de le devenir plus vite. Mais enfin, ils sont là. Ils font de leur mieux. D'ailleurs, s'ils le font trop bien, on les trouve inaccessibles, et l'on se détourne d'eux presqu'autant que s'ils étaient indignes. Les gens ne sont jamais contents.
Bref, il n'y a ni enfant parfait, ni famille parfaite, ni prêtre parfait. Le seul qui soit parfait, c'est le Christ, et l'Église son épouse. La perfection que les prêtres transmettent, c'est celle-là, non la leur.
Le Bon Pasteur ne pense qu'à vous
Justement, le seul parfait, le Christ, veut nous rendre conformes à lui, parfaits quand même, selon notre mesure de perfection, mesure d'êtres humains pécheurs et rachetés. Les uns comme les autres dit saint Paul, réunis en un seul corps , il veut les réconcilier avec Dieu par la croix . Le but que le Christ s'est donné à lui-même en venant sur la terre, et nous a donné à nous, c'est le salut, le salut et la vie éternelle, la grâce, la croix, la rédemption.
C'est pour cela qu'il semble parfois s'énerver. Il est peut-être le seul à se rendre compte de l'importance de notre salut. Il nous connaît mieux que nous-mêmes ; il nous a aimés jusqu'à mourir ; il fait tout pour nous rendre saints comme son Père est saint. Il prêche, il guérit, il souffre, il aime, il meurt, il vit, il sauve. Et nous, indifférents, nous traversons l'existence en disant : Ah bon, il fait tout ça ? Tiens ! Oui, le Christ s'est voulu pasteur, parce qu'il sait le prix de ses brebis. Elles, gavées, repues, engraissées jusqu'aux oreilles, n'en ont cure.
Les brebis n'en ont cure. C'est justement pour cela que le berger a institué des bergers, à sa suite, qui, eux, auront cure des brebis (d'où le nom de curés !). Ils en ont cure, ils s'en occupent, ils s'en soucient. Tout leur agenda est pour elles, sauf ce qui est dû à Dieu lui-même, et à la popote.
Vos pasteurs, messieurs les moutons et vous, dames brebis, ne pensent qu'à vous. Ils ont reçu un sacrement, qui les marque à vie, pour devenir pasteurs, selon la grâce sacerdotale du Christ. Ils sont prêtres, configurés au Christ prêtre. Ils sont marqués, ils sont consacrés. Ils ne sont pas seulement des animateurs, des instituteurs, des agitateurs sociaux, des psychologues pour petits bobos d'occidentaux décadents, des beaux parleurs qu'on invite à figurer dans un mariage, comme un colonel en retraite et l'inévitable tante Berthe. Ils sont consacrés pour vous faire participer au sacrifice de la Messe, pour pardonner, instruire de la vérité de l'Évangile et de la doctrine de l'Église, encourager, annoncer la grâce de Dieu.
Les pasteurs vous dispensent la grâce du Christ, qui passe dans et par son Église.
Pas de miracles
N'attendez pas de saints tout cuits. Les prêtres seront saints, comme vous, du fait de leur baptême. Leur baptême, comme le vôtre, les transforme en saints petit à petit. La sainteté est à l'arrivée, pas au départ. Attendez d'eux, en revanche, qu'ils vous donnent les moyens de cette sainteté, les moyens voulus par le Christ : les sacrements et tout ce qui en découle ou bien y conduit.
L'Église, les sacrements, les prêtres, la prédication, sont des intermédiaires nécessaires, à la fois signes et réalités de la grâce, de la charité divine, de la communion des saints. Selon les dispositions voulues par Dieu, le salut passe par des intermédiaires, des intermédiaires de chair et de sang, à commencer par le Christ lui-même, intermédiaire incarné, jusqu'au sang, entre Dieu et nous. La grâce passe ainsi, parce qu'elle nous est donnée. On ne se la donne pas soi-même, on la reçoit. Nul ne pourrait prétendre : Moi, le pardon, je me débrouille avec Dieu ! Le feriez-vous avec un conjoint ou un ami offensé, sans l'en informer, sans lui demander ce pardon, sans l'entendre vous être adressé ? Ne péchons pas par désincarnation.
C'est bien le Christ qui nous donne des bergers à visage humain. Ils prient et se dépensent pour vous. C'est pour cela qu'il leur arrive d'être fatigués. L'été, ils se reposent. Dans ces cas-là, le Christ dit qu'il prend les choses en main. Est-ce pour les remplacer, les bergers ? Non, certes, non, nous le constatons. Il ne prend pas leur place, s'ils viennent à nous manquer. Quand ils manquent, la grâce vient aussi à manquer.
C'est à nous de pourvoir à leur remplacement, à nous, la communauté chrétienne. Ce n'est pas un miracle qu'il faut attendre, c'est notre sursaut. Un tel sursaut appelle prière, prise de conscience, responsabilité collective et personnelle, révision de nos idéaux de vie professionnelle et même familiale. Renonçons à nos rêves honteux d'importations de prêtres, venus de pays pauvres pour achever d'endormir notre paresse de moutons de pays riches.
En revanche, le Christ nous invite à prier pour nos bergers, à être gentils avec les plus démunis d'entre eux. Il nous supplie de permettre à quelques-uns de vos moutons de préparer le diplôme de berger. Si nous voulons des bergers à point, il faut dès aujourd'hui faire cuire de nombreux moutons, ceux de notre troupeau, nos propres agneaux !
*Homélie du fr. Thierry-Dominique Humbrecht op, dominicain du couvent de Bordeaux, dimanche 19 juillet 2009, 16e T.O., année B, sur Jérémie 23, 1-16 ; Éph. 2, 13-18 ; Marc 6, 30-34.
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