Les Filles au Moyen-Âge

Les Filles au Moyen-Âge d’Hubert Viel (2016) FR

Laura a invité des amies chez elle pour fêter ses 9 ans. Très vite, les garçons jouent à la console tandis que de  leur côté, les filles s'ennuient. Le grand-père de Laura, malicieux et passionné d'histoire, décide alors de leur parler du Moyen Age, période méconnue durant laquelle les femmes ont acquis peu à peu une place importante dans la société. Grâce à un livre extraordinaire, tous les enfants sont alors envoyés en pleine époque médiévale, à rejouer des saynètes symboliques dans lesquelles les garçons sont des rois, des moines et des chevaliers, mais où les filles ne sont pas de reste dans la peau de Jeanne d’Arc, Sainte Clothilde, Sainte Hildegarde de Bingen, Agnès Sorel… Avec : Michael Lonsdale (Daniel, le grand-père conteur), Chann Aglat (Jeanne d'Arc, Mélisande, ClotildeHildegarde de Bingen et autres), Léana Doucet (Eulalie, Irmingarde, Marie d'Anjou et d’autres), Malonn Lévana (Euphrosine, Blanche, Agnès Sorel et d’autres), Camille Loubens (Charles VII de FranceCyrille d’AlexandrieJésus et d’autres), Johlan Martin (Jacques Cœur, Nikolos, Hugues de Noé et d’autres), Noé Savoyat (un Président directeur général, Gondebaud, Clovis et d’autres), Maud le Grevellec (La maman de Léana, fille de Daniel le conteur), Hubert Viel (le papa de Malonn et Léana). Scénario : Hubert Viel. Directeur de la photographie : Alice Desplats. Musique originale: Frédéric Alvarez et Hubert Viel.

 

Le Moyen-Âge pour tous les âges…Pour son second long métrage après Artémis, cœur d’artichaut (2013), une comédie inspirée de la mythologie grecque, le cinéaste indépendant Hubert Viel, s’appuie, entre autres, sur l’œuvre de Régine Pernoud et plus précisément sur son ouvrage « La femme au temps des cathédrales ». En quatre chapitres, après une rapide présentation de la déplorable condition féminine sous l’empire romain et la prépondérance du passage de Jésus-Christ sur terre qui a remis à la pècheresse tous ses péchés, Hubert Viel fait survoler au spectateur  le moyen-Âge son récit commençant en 429 pour se terminer en 1429. De ces 1000 ans, il extrait ce qui caractérise le rôle influent de la femme, sa place heureuse dans l’organisation sociale, organisation dans laquelle elle pouvait tout autant être savante ou guerrière par exemple. Commençant par une évocation du Concile d’Ephèse au cours duquel l’Eglise prend totalement conscience de la place de la Vierge Marie par rapport à la Trinité, le cinéaste poursuit par une évocation de Clovis, de son baptême et donc de l’influence de sainte Clothilde. Puis après une évocation rapide de la création par les femmes des Hôtels-Dieu, des écoles dirigées par les femmes, d’Hildegarde de Bingen, religieuse et scientifique, canonisée en 2012 par le Pape Benoit XVI,  qui devança intuitivement Isaac Newton de plus de cinq siècles concernant la loi universelle de la gravitation ans, et enfin de l’amour courtois, Le cinéaste s’attarde un peu plus sur une évocation du rôle capitale jouée par Jeanne d’Arc, chef d’armée, auprès de Charles VII. Toutes ces saynettes font bel et bien la démonstration que la femme avait une place non seulement incontournable et importante mais prédominante jusqu’en ces années-là. Jusqu’en ces années là…  car sous l’influence de Jacques Cœur et d’Agnès Sorel, le roi Charles VII laisse s’installer dans le royaume, d’une part le libéralisme et le rationalisme, d’autre part la frivolité et l’hédonisme.

Et c’est par le moyen d’une ellipse fulgurante, possible seulement au cinéma, qu’Hubert Viel nous ramène en quelques instants au 21ème siècle dans un dernier chapitre intitulé « Le contrat de confiance » et qui fait exploser à la figure du spectateur comment de Jacques Cœur et Agnès Sorel nous en sommes arrivés là aujourd’hui avec les magasins « Darty » « Carrefour » et autres grandes surfaces au siècle du rationalisme où la femme ne rayonne plus ! A un siècle de l’avoir et plus à un siècle de l’être ! Retour également à une civilisation en décadence comme celle de la Rome du début du film. Mais, et c’est là toute l’originalité et toute la singularité de l’oeuvre, tout ceci est interprété par de jeunes enfants, d’une spontanéité et d’une fraicheur délicieuses, costumés comme pour jouer un spectacle de fin d’année scolaire, usant d’un langage d’aujourd’hui pour développer des concepts de l’époque, rendant le film visible pour toutes les générations à partir de l’âge de six ans. Egalement, Hubert Viel fait le choix judicieux de filmer en format 4/3, format ancien très peu usité de nos jours et  permettant des cadrages plus intimes et donc plus appropriés à ces petits comédiens.

Autres choix judicieux, celui du noir & blanc pour le passé et de la couleur pour le présent ainsi que de ne faire évoluer son petit monde que dans des décors naturels ne craignant pas les anachronismes. Avec une économie de mouvements de caméra et d’effets, mais surtout avec simplicité, un naturel presque déconcertant, douceur, pudeur même, humour et poésie, Hubert Viel fait de ce film une petite pierre précieuse à laquelle quelques défauts de taille n’enlèvent rien de sa brillance.

La vertu de ce petit joyau de cinéma est bien entendu de permettre de réfléchir sur la beauté de la création féminine mais aussi de renvoyer dans les rayons poussiéreux des bibliothèques toutes les théories stupides qui ont décrit le Moyen-âge comme la période la plus obscure de l’histoire de la civilisation occidentale. Alors même que le Christ y étant omniprésent dans la vie quotidienne et à tous les niveaux de l’organisation sociale, l’homme et la femme n’ont jamais  mieux vécus en harmonie qu’à cette époque. Eric Rohmer n’est pas loin, celui, bien sûr, des « Contes moraux » (1962-1972), des « Comédies et proverbes » (1981-1987), et des « Contes des quatre saisons » (1990-1998) mais sans doute plus encore celui de Perceval le Gallois (1978), L’Anglaise et le Duc (2001) et Les Amours d’Astrée et de Céladon dans cette façon à la fois fidèle et désinvolte d’aborder la représentation historique. Ce cinéma fait en tous les cas réagir de façon étonnante car, si le quotidien « Le Monde » est louangeux, qualifiant le film d’ « une d’une leçon décalée d’une fraicheur charmante », l’hebdomadaire de télévision « Télérama » porte un jugement lapidaire « Passé le charme des premières saynètes, le dispositif rabâche et s'enlise dans une poésie de pacotille. » Mais, La Fille aux Moyen-Âge se situe bien au-delà de ces jugements bons ou mauvais. Bien plus qu’un film didactique et ludique,  c’est un petit ruisseau de fraicheur et de pureté au milieu des fleuves de vulgarité qui déferlent toutes les semaines sur nos écrans, une œuvre simple et pratiquement touchée par la grâce : 4/5

 

Bruno de Seguins Pazzis