Dimitri Casali

ENTRETIEN – Historien, ancien enseignant en ZEP, Dimitri Casali explore depuis plusieurs années de nouvelles voies pédagogiques pour donner le goût de l’Histoire aux générations futures. Spécialiste du Premier Empire, il a collaboré à la création d’un jeu vidéo sur Napoléon (NTW) et écrit des spectacles musicaux sur les grands personnages historiques. Sa dernière création, Napoléon, l’opéra rock, sera donnée à Rueil-Malmaison le 16 septembre à l’occasion du premier jubilé impérial de la ville.  Engagé et enthousiaste, Dimitri Casali est également l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont L’Altermanuel d'Histoire de France (Perrin) et plus récemment L’Histoire de France interdite (JCLattès). Conscient des difficultés que rencontre notre société contemporaine, ce passionné plaide pour plus d’Histoire et n’hésite pas à poser les questions qui fâchent. Dans son dernier essai, il s’interroge : pourquoi ne sommes-nous plus fiers de notre Histoire ?

Vous dites que votre livre n’a pas pour but de déplorer une perte des valeurs traditionnelles mais de réconcilier la France avec son Histoire. Qu’est-ce que cela signifie ?

L’enseignement de l’Histoire de France aujourd’hui est catastrophique. Cet ouvrage se veut donc plein de propositions concrètes pour l’améliorer.

Nous pouvons et nous devons être fiers de cette Histoire exceptionnelle que le monde nous envie. Mais c’est également notre devoir d’historien d’être objectif.

Historiquement et culturellement, la France est tributaire d’un double héritage. Nous avons en effet à la fois un héritage catholique et royal, mais également un héritage républicain et laïc. Nous devrions être fiers de ces deux héritages, l’Histoire de France est un bloc ! « Les Français ne peuvent comprendre la France s’ils ne sont pas capables de vibrer à la fois au sujet du sacre de Reims et de l’évocation de la Fête de la Fédération de 1790 » disait le grand historien Marc Bloch. Cette phrase à mon sens intègre toute la quintessence d’une conception de la France éternelle, d’un génie français qui a énormément apporté au monde.

Ces deux héritages qui ont façonné la France d’aujourd’hui sont également à l’origine de ses valeurs fondementales. Elles viennent à la fois de nos grands rois catholiques (de Saint-Louis à Louis XVI) mais aussi de l’esprit des Lumières, de la Déclaration des droits de l’homme et des grands personnages comme Victor Hugo ou Gambetta.

Aujourd’hui, malheureusement, ce n’est plus ainsi que l’enseignement de l’Histoire est pensé. On minimise certains aspects trop glorieux pour faire ressortir uniquement les épisodes les plus sombres. On crée ainsi des abérrations historiques. L’enseignement de l’Histoire de France ne tient plus compte de la complexité des faits historiques ni de la diversité de la société française. 

Vous insistez beaucoup dans votre livre sur ce point : la question historique est pour vous une question de fierté nationale. Elle est une des clefs du défi que représente aujourd’hui l’intégration dans un contexte de crise économique dramatique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

L’Histoire est une garantie d’intégration. Notre école républicaine était une véritable réussite. Pendant cent ans nos voisins nous l’ont enviée et ont essayé de reproduire ce modèle. Aujourd’hui pourtant, notre système éducatif est en faillite totale. Or l’un des signes de cette débâcle se trouve justement du côté de l’intégration des populations étrangères. Alors qu’autrefois l’école républicaine réussissait parfaitement l’intégration des immigrés, elle va aujourd’hui d’échecs en échecs : 37% des Français d’origine étrangère ne se sentent pas Français selon l’INED. Plus grave encore, 71% des jeunes Français ne croient pas en l’avenir de leur pays (PISA). La France est championne du monde de pessimisme mais comment cela pourrait en être autrement puisque nous ne cessons d’apprendre aux petits Français à quel point nous avons été d’odieux esclavagistes au XVIIIe, d’horribles colonialistes au XIXe ou d’affreux collaborateurs au XXe siècle. Cette représentation binaire entre, d’un côté, les oppresseurs, de l’autre, les oppréssés est une vision biaisée. On laisse de côté des pans entiers et merveilleux de l’Histoire de France. Aujourd’hui, tout est fait pour diviser et creuser un peu plus la fracture nationale qui sépare les Français d’origines diverses alors même que cette Histoire pourrait être un fabuleux vecteur d’unification.

Cicéron disait « l’Histoire est l’institutrice de la vie ». Nos grands anciens avaient compris que c’est par l’Histoire que l’on forme à la citoyenneté. Elle permet de donner du sens et de la cohésion à la nation souveraine. Cela signifie aujourd’hui que la culture française est la base même de notre vivre ensemble. Il est impossible de s’intégrer sans une bonne compréhension des repères et des modes de représentation de la société dans laquelle nous vivons. Plus qu’un droit, c’est un devoir que de les comprendre. C’est à cela que devrait s’employer l’école pour réussir le pari essentiel de l’intégration.

La France dispose à l’heure actuelle de la première communauté musulmane d’Europe, de la première communauté juive d’Europe et d’une très importante communauté asiatique. Cette diversité de notre société est devenue dans le monde d’aujourd’hui une chance extraordinaire pour la France à condition qu’elle réussisse à intégrer ces populations. Dans le contexte économique actuel d’un monde globalisé que nous connaissons, c’est même une question de survie. Or à mon sens, ce ne sera possible que si nous parvenons à inverser notre rapport au passé pour y voir non plus une source de lamentations mais plutôt un motif d’espérance. Notre patrimoine historique ne manque pas de grandes figures d’immigrés qui ont adopté la France et sa culture jusqu’ à verser leur sang pour elle. Souvenons-nous de cette phrase emblématique de l’écrivain Romain Gary devenu l’un des 1038 Compagnons de la Libération (de son vrai nom Romain Kacew, juif lituanien arrivé en France dans les années 30) : « Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines ».

Selon vous, qu’est-ce qui a changé entre cette école de la République championne de l’intégration et cette France d’aujourd’hui championne de pessimisme ?

Nous avons capitulé sur nos valeurs fondamentales. Les grandes valeurs républicaines mais aussi celles de la France éternelle. Je suis républicain, laïc et pro-européen mais la France c’est celle de nos grands rois bâtisseurs de cathédrales, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du siècle des Lumières, etc…Nous avons tiré un trait sur tout cela. 

Aujourd’hui, sous l’impulsion de M. Laurent Wirth, doyen des inspecteurs généraux en histoire et géographie, on préfère enseigner l’Histoire africaine aux petits Français. On espère ainsi que la forte proportion d’enfants issus de l’immigration africaine sera fière de ses origines. Cela revient à se tirer une balle dans le pied. Cela va à l’inverse de ce que nous enseigne le modèle réussi de l’école républicaine qui a réussi à intégrer des personnages issus de l’immigration comme Félix Eboué, Gaston Monnerville, Léopold Sédar Senghor, Marie Curie, Romain Gary, en évoquant les grands personnages qui ont fait l’Histoire de France, comme Mazarin d’origine italienne ou bien Napoléon Bonaparte qui est arrivé en France à l’âge de 10 ans sans parler un seul mot de français à l’Ecole royale de Brienne-le-Château et qui est, par la suite, devenu le fondateur de la France moderne et le maître de l’Occident.

Mais plutôt que de rappeler ces exemples d’intégration, on préfère consacrer en classe de cinquième 10% du programme d’histoire à l’Afrique. Cela pourrait être passionnant si ces items étaient proposés à des lycéens qui possèderaient déjà tous les repères nécessaires par rapport à l’Histoire de France. Il s’agit ici de respecter un ordre pédagogique. Ce n’est pas en enseignant au collège l’Histoire de l’Afrique que nous parviendrons à faire de nos enfants des citoyens confiants en leur pays et armés pour affronter la compétition économique mondiale. Il serait beaucoup plus bénéfique de rappeler les points de contact entre l’Histoire de France et le reste du monde. Et de Pondichéry en Inde à Monréal au Canada en passant par le Congo Brazzaville, Dieu sait si ils sont nombreux…

Au lieu de cela, on joue la carte de la culpabilisation, voire de la criminalisation de l’Histoire de France. On met sans cesse en avant la face négative et on ignore volontairement la face lumineuse qui a rayonné bien au-delà de nos frontières. Au point qu’aujourd’hui, les étrangers apprécient plus que les Français eux-mêmes l’Histoire de notre pays. Nous sommes la première destination touristique du monde. Mais que viennent voir les 80 millions de touristes annuels ? Versailles, le palais du Louvre, les Invalides, la Tour Eiffel…

Prenons garde à ne pas dilapider notre héritage historique car il recèle un véritable trésor qui nous permettra d’affronter l’avenir sans crainte.

Quelles sont, à votre avis, les raisons politiques de la suppression des grandes figures historiques de nos manuels ?

Je crois que c’est par manque de courage. Il ne faut pas heurter les populations d’origine étrangère, or c’est parfaitement anti-pédagogique. Il y a aussi le poids de toute l’idéologie. Il est devenu aujourd’hui terrible. Dans le domaine des idées, il règne un véritable terrorisme intellectuel, et les médias ne sont pas les derniers à plébisciter une pensée unique, soutenue par quelques intellectuels bobos qui bénéficient d’une importante visibilité.

L’exemple de Napoléon à ce titre est très parlant. Alors que c’est un personnage mondialement admiré qui susite des expositions dans le monde entier, nous sommes en France les seuls à interdire les manifestations qui rendent hommage à cette figure de notre Histoire à cause d’une loi mémorielle (la loi Taubira de 2001) votée sous la pression d’une minorité offensée. Voilà un exemple de terrorisme intellectuel. Je rappelle dans mon livre que nous sommes le seul pays au monde à faire voter des lois mémorielles et nous continuons de multiplier les lois de ce type (sur le génocide arménien).

Vous affirmez que la France est en pleine crise morale et identitaire. Vous dites également que tout ce qui peut évoquer un certain patriotisme est édulcoré. Quel est selon vous ce patriotisme que l’enseignement moderne de l’histoire veut enterrer ?

« Le patriotisme c’est l’amour des siens et le nationalisme c’est la haine des autres » disait encore Romain Gary. Le patriotisme naît au sein de sa collectivité proche, sa commune, sa ville, sa région. Quand on est fier de cette Histoire, on peut affronter les difficultés de tout ordre plus sereinement. L’enjeu est donc de réapprendre à nos enfants à aimer notre Histoire et notre pays pour leur donner les armes et l’espérance d’affronter notre futur. Cela passe nécessairement par un enseignement équilibré de l’Histoire de France. Car il ne s’agit pas de mettre en avant une Histoire « positive » et de gommer les aspects négatifs. Ce serait tout aussi néfaste. Il faut enseigner à nos enfants les horreurs comme les merveilles de l’Histoire. Ne pas insister uniquement sur les erreurs du colonialisme comme les zoos humains, mais aussi les bénéfices comme l’hôpital de Hanoï et l’invention du vaccin contre la fièvre jaune. Il n’y a pas de manichéisme dans l’Histoire. Ce n’est pas noir ou blanc. C’est d’ailleurs ce qui en fait tout l’intérêt et passionne ceux qui l’étudient.

Propos recueillis par Antoine Besson